Céramique: Travailler la terre, incomparable bulle d’air

Pascale Naessens. © PHOTOS PG

On la pensait tombée en désuétude. Or, depuis quelques années, la céramique revient en force, séduisant un public en quête d’un hobby apaisant qui, parfois, se mue en passion. Et plus encore, en métier.

Février 2022, la plateforme française Wecandoo qui, depuis 2017, orchestre des rencontres entre des artisans et le grand public dans l’Hexagone, lançait ses premiers ateliers à Bruxelles. Parmi la septantaine de cours proposés, 10% sont dédiés à la poterie et à la céramique… et sont pris d’assaut. C’est le cas de ceux de Clara Dwels. La jeune femme, originaire de Liège, a travaillé dans l’univers de la publicité durant sept ans, avant de décider, voici un an, de tout plaquer pour démarrer une nouvelle vie en ouvrant, avec la fleuriste Elodie Mouton, Boucan, une boutique-concept saint-gilloise mêlant fleuriste, galerie d’art et atelier de céramique. “J’ai commencé à m’intéresser à la céramique lorsque je travaillais à Londres. Là-bas, les prix demandés étaient exorbitants et les sessions s’étalaient sur plusieurs mois. Or, j’avais juste envie de mettre les mains dans la terre quelques heures par semaine, de m’initier à la discipline ; ce que j’ai finalement fait à mon retour en Belgique, il y a cinq ans. A Bruxelles, j’ai trouvé des stages et ateliers bien plus accessibles – chez Studio Kiwi par exemple. J’ai tout de suite accroché et tout s’est déroulé progressivement: j’ai débuté en m’y adonnant après le boulot. J’ai commencé à recevoir des commandes ; je me suis dit que ce que je faisais ne devait pas être si mal ( rires). Alors je suis passée à mi-temps. Quand le covid est arrivé, je me suis installée dans un atelier temporaire et je m’y suis mise à fond. C’est là que j’ai rencontré Elodie, qui m’a parlé de son projet de boutique-concept et ça a été le déclic: j’ai quitté mon job, où je courais non-stop et je me suis lancée avec elle comme indépendante. Depuis un an, je bosse désormais à temps plein dans la boutique où je consacre une grosse partie de mes journées à la céramique en créant, mais aussi en délivrant des cours sous forme d’ateliers apéros.”

CLARA DWELS, boutique-atelier Boucan:
CLARA DWELS, boutique-atelier Boucan: “Il existe autant de manières d’approcher la céramique qu’il y a de personnalités ; c’est cela aussi qui la rend accessible.”© PHOTOS PG

Majoritairement des femmes

Trois soirs par semaine, Clara reçoit donc des petits groupes qu’elle initie aux bases de sa discipline (120 euros par personne pour cinq heures de cours, à raisons de deux ateliers de 2h30). “Ce sont majoritairement des femmes – je dois avoir reçu quatre hommes en tout depuis le lancement des cours – de tous âges, qui viennent essentiellement par curiosité. Généralement, la première demi-heure se passe dans un sacré brouhaha, mais dès que les mains touchent la terre, le silence se fait ; les participants sont ultra-concentrés…” Car la céramique interpelle, titille… et surtout, apaise! Serait-ce le secret de son succès?

Retour aux sources

Comment expliquer en effet un tel engouement pour la céramique? Pour Kim Verbeke, ex-biologiste, passionnée par cette discipline depuis plus de 15 ans, et installée à temps plein comme céramiste depuis plus de quatre ans dans le Brabant wallon, les raisons sont multiples. D’abord, le besoin d’un certain retour aux sources: “La céramique est un métier très ancien. Il y a une connexion profonde et ancrée avec cette tradition, qui fait écho chez les gens”. Pour la trentenaire, qui travaille notamment pour une dizaine de restaurants en vue (dont le Hors-Champs de Stefan Jacobs), l’engouement actuel apparaît aussi comme un contrepoids à la frénésie de notre époque: “C’est une réponse à la période que nous traversons, dominée par le stress, les angoisses, le burn-out… Les gens ont besoin d’une bulle apaisante et la trouvent notamment en se tournant vers des activités manuelles qui les calment, les ancrent. En travaillant avec leurs mains, en renouant avec la terre – un élément simple, basique – , ils reconnectent avec quelque chose de primaire: le sol, la nature, mais aussi leur corps, donc eux-mêmes”.

Céramique: Travailler la terre, incomparable bulle d'air
© PHOTOS PG

S’y mettre

Enfin, la céramique génère un sentiment de fierté… “On le voit dans les ateliers et cours: ce qui parle couramment aux gens, c’est la poterie utilitaire, remarque Kim Verbeke. C’est révélateur: assiette, pot, mug, vase… les gens aiment créer des objets qu’ils vont utiliser. C’est pour eux très gratifiant!”

Autre point fort de la céramique: elle est accessible à tous! Nathalie Stillemans, fondatrice de Clay by N, peut en témoigner. A 40 ans, cette maman qui travaillait à temps plein dans l’événementiel s’est mise à la céramique durant le confinement et, séduite, s’y est investie au point de revoir complètement l’organisation de sa vie, réduisant son temps de travail à trois cinquièmes pour se lancer comme céramiste et créer sa propre marque. Ses productions sont aujourd’hui disponibles dans quelques boutiques à Bruxelles et dans le Brabant wallon. “C’est une discipline à laquelle on accroche vite, explique-t-elle. En outre, quand on débute, ce n’est pas très coûteux: on trouve déjà des cours pour une trentaine d’euros. Et si l’on veut se lancer chez soi ensuite, un pain de terre coûte environ 8 euros et on peut déjà concevoir pas mal de choses avec cela. Ce que vous devez surtout investir en fait, c’est du temps!” Pour Clara Dwels, “il existe autant de manières d’approcher la céramique qu’il y a de personnalités ; c’est cela aussi qui la rend accessible. C’est une discipline où les formes peuvent être imparfaites, irrégulières…”

KIM VERBEKE, céramiste à temps plein depuis quatre ans:
KIM VERBEKE, céramiste à temps plein depuis quatre ans: “Mon carnet de commandes est plein, mais je n’ai pas pour autant encore atteint ma zone de confort.”© PHOTOS PG

Mais évidemment, les frais augmentent quand on décide d’aller plus loin… “Quand on débute, on va déposer ses créations dans un atelier, qui les cuira dans un four prévu à cet effet, poursuit Clara Dwels. Car non, on ne peut pas les cuire chez soi: la cuisson prend plusieurs jours et tourne autour des 1.000 ° C!”

Un bon four

Kim Verbeke confirme: “Tant que cela reste un hobby, c’est assez économique. Par contre, quand on veut aller plus loin, cela devient coûteux. On commence par acheter un tour, on peut en trouver un bon pour 1.000, 1.500 euros environ, parfois moins en occasion. Mais lorsqu’on est vraiment mordu, on cale vite si on n’a pas son propre four. Parce qu’on a la sensation de ne pas tout maîtriser de A à Z. Et là, ça grimpe! Un bon four coûte vite 5.000 ou 6.000 euros, sans compter le coût de l’installation, triphasée, et de l’électricité.”

Nathalie Stillemans complète: “Les coûts liés à l’électricité et à la cuisson sont vite élevés. Il faut également l’espace ad hoc pour installer le four, mais aussi le plan de travail, l’espace de stockage…” Kim Verbeke: “Quand on achète un four, on passe clairement une étape, on n’est plus dans le simple hobby ; on veut créer, que ce soit pour offrir, pour accueillir d’autres personnes lors d’ateliers, pour donner des cours et, évidemment, pour vendre!”

De passion à métier

Comme nos expertes, ils sont de plus en en plus nombreux à se lancer dans la céramique de manière professionnelle. Est-ce à dire que demain, le marché sera rempli de céramistes passionnés? “C’est un sujet dont on parle parfois entre artisans, reconnaît Kim Verbeke. Mais ce n’est pas parce que de plus en plus de gens travaillent la terre qu’ils vont tous devenir potiers ( sourires). Le danger, c’est de penser que c’est facile, qu’il suffit d’acheter un tour et un four. C’est une discipline accessible, certes, mais sur le long terme, elle demande de la réflexion, du temps, de l’énergie… D’autant qu’il faut savoir garder des temps de pause, éviter de rentrer dans un mode de production intensive qui freinerait toute créativité. Quand on veut passer de passion à métier passion, il faut avoir les épaules solides et se poser les bonnes questions, être bien entouré et bien ancré. Quand on devient indépendant, tout est remis en question, l’équilibre est sans cesse menacé… Il suffit qu’une cuisson soit loupée pour perdre un temps fou… et de l’argent! Et concrètement, il faut un carnet de commandes qui se remplit. Personnellement, j’ai la chance que le mien le soit toujours, mais je n’ai pas pour autant encore atteint ma zone de confort.” Clara Dwels enchérit: “J’ai été tout un temps freinée par la peur de l’insécurité financière. J’ai même suivi une formation pour m’aider à dépasser mes craintes. Dans le cadre de la boutique Boucan que nous avons ouverte, un coach nous a également aidées à dresser le business plan.” Ces défis, Nathalie Stillemans en est consciente: “Je suis ravie de pouvoir développer mon activité de céramiste à temps partiel, les retours que je reçois sont très gratifiants. D’autant que je ne m’attendais pas à un tel engouement. Je rêve de m’y consacrer à temps plein d’ici quelques années, mais actuellement, il est hors de question de tout lâcher. Il n’empêche que la céramique m’apporte énormément au niveau personnel. J’ai appris beaucoup sur moi, je suis plus posée que par le passé…”

Céramique: Travailler la terre, incomparable bulle d'air
© PHOTOS PG

Kim Verbeke conclut: “Ce n’est pas un métier avec lequel on devient riche, mais on y gagne tellement de choses qui ne sont pas monétaires. Il vous apporte une telle richesse intellectuelle, de vie intérieure et d’humanité. Cela n’a pas de prix! Je gagne peu, mais je me lève chaque matin avec la niaque et le bonheur d’aller à l’atelier!”.

Serax, référence mondiale

S’il est bien une marque qui incarne le succès de la céramique belge sur la carte du globe, c’est Serax. Fondée il y a plus de 30 ans, l’entreprise de design anversoise propose depuis plusieurs années des objets de déco et de la vaisselle en porcelaine et céramique. Sa marque de fabrique? Des collaborations avec des designers, mais aussi des noms prestigieux issus de l’univers culinaire, dont la papesse belge de la nutrition saine, Pascale Naessens ( photo). Si l’ancien mannequin et présentatrice de télé flamande est réputée pour ses livres de recettes, elle l’est aussi pour son travail de céramiste. “J’ai découvert cette discipline lors d’un voyage en Tunisie, explique-t-elle. J’ai eu un flash en voyant une vieille dame en faire. De retour en Belgique, j’ai pris des cours et je me suis mise à créer ma propre vaisselle, dans laquelle je présente mes recettes.” Des créations qui ont vite séduit Serax, avec qui elle imagine désormais Pure, l’une des collections best-sellers de la marque. Concrètement, la créatrice livre des prototypes, Serax s’occupe ensuite de la production à grande échelle. “Mes pièces sont principalement produites en Chine, non pas parce que c’est moins cher – cela n’est plus le cas depuis longtemps! – , mais parce qu’on y maîtrise parfaitement la discipline.” Quant au prix, ils sont fixés par Serax, comptez par exemple, 25 euros pour une assiette de 20 cm de diamètre.

Céramique: Travailler la terre, incomparable bulle d'air
© PHOTOS PG
NATHALIE STILLEMANS, fondatrice de la marque Clay by N
NATHALIE STILLEMANS, fondatrice de la marque Clay by N “La céramique m’apporte énormément au niveau personnel.”© PHOTOS PG

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content