Cash Converters peine à faire son trou en Flandre

Chantal Heymans : "Il n'est pas nécessaire de placer de petites annonces ni de recevoir des acheteurs potentiels chez soi, et le vendeur perçoit rapidement de l'argent liquide." © KRIS VAN EXEL

La chaîne de magasins Cash Converters profite du regain d’intérêt pour les articles d’occasion. Même si la Flandre reste à la traîne dans le domaine.

Il fut un temps où les centres de recyclage étaient réservés aux plus démunis et les vêtements vintage condamnés aux bacs à soldes. Mais cette époque est révolue. Désormais, les plus ” in ” d’entre nous fréquentent les premiers à la recherche de ce petit meuble qui complétera parfaitement leur salon, et les deuxièmes pour leurs chemises seventies à col pelle à tarte tellement cool. Même dans le domaine de l’informatique et de l’électroménager, l’occasion est le nouveau neuf. ” Grâce au regain de popularité dont bénéficient les jeux rétro, les Super Nintendo se vendent plus cher aujourd’hui qu’il y a 10 ans “, constate-t-on chez Cash Converters, premier détaillant d’articles d’occasion au monde. La chaîne australienne, cotée en Bourse, est présente dans 21 pays avec plus de 700 magasins.

Cash Converters a posé le pied en Belgique en 1997. Ses 29 établissements sont autant de franchises, à une exception près. Les franchisés versent une commission fixe au siège belge de Nivelles, qui en rétrocède une partie à Perth pour son contrat de licence.

L’an dernier, Cash Converters Belgium et ses 200 équivalents temps plein ont réalisé un chiffre d’affaires de 57 millions d’euros sur la vente de plus de 1,9 million d’articles. Une simple règle de trois permet de se rendre compte que les petites ventes sont très nombreuses. ” Nous vendons beaucoup de CD et de DVD à 50 centimes, explique Chantal Heymans, la CEO intérimaire pour la Belgique. Avec l’essor des services de streaming en ligne comme Spotify et Netflix, les gens veulent faire place nette sur les étagères. ”

Moins de scrupules

Chantal Heymans nous emmène au Cash Converters de Herstal, l’un des quatre établissements gérés par le franchisé Eric Franckart. Le magasin, situé sur une grande artère à proximité de Liège, combine aménagement moderne et grandes baies vitrées apportant la lumière. ” Il y a de moins en moins de gêne à être vu ici, sourit Chantal Heymans. Les jeunes, surtout, affichent moins de scrupules à acheter d’occasion. L’essor des plateformes d’enchères en ligne et des sites de petites annonces comme eBay et Kapaza y ont énormément contribué. ”

Nous accueillons un nombre croissant de consommateurs soucieux de l’environnement qui refusent par principe d’acheter du neuf.” – Eric Franckart, franchisé

Rayons et vitrines débordent d’articles high-tech : smartphones, tablettes, chaînes stéréo, téléviseurs, lecteurs DVD… On y trouve également des machines à café, des casques audio, des instruments de musique et des appareils de fitness. Voire, à l’occasion, un jet ski ou un Zodiac. Les amateurs de livres, mais aussi d’armes et de pornographie sont en revanche invités à aller voir ailleurs.

” Nos prix d’occasion se situent en moyenne 30 à 60 % en dessous du prix initial “, explique Eric Franckart, qui souligne que la recherche de la bonne affaire n’est pas la motivation première de tous les clients. ” Nous accueillons un nombre croissant de consommateurs soucieux de l’environnement qui refusent par principe d’acheter du neuf. ”

Qu’est-ce qui détermine le prix auquel Cash Converters achète aux particuliers ? ” Nous comparons chaque produit à des articles similaires que nous avons déjà achetés et vendus dans notre base de données, explique Chantal Heymans. L’état dans lequel il se trouve est également pris en compte. Enfin, nous connaissons le nombre d’articles du même type que nous avons déjà en magasin ou en stock, et la vitesse à laquelle nous parvenons à les écouler. Si vous avez un radiateur électrique en trop dont vous souhaitez vous débarrasser, mieux vaut venir nous le proposer en octobre qu’en mai. ” Si un objet reste trop longtemps en rayon, la solution est simple : baisser le prix jusqu’à ce qu’il soit vendu.

Vendeurs fidèles

Chantal Heymans :
Chantal Heymans : “Il y a de moins en moins de gêne à être vu ici. Les jeunes, surtout, affichent moins de scrupules à acheter d’occasion.”© Kris Van Exel

” Certains pensent encore que Cash Converters est réservé aux plus démunis, qui ne peuvent se permettre d’acheter neuf, remarque Chantal Heymans. Leur proportion diminue cependant peu à peu. Ceux qui ont été satisfaits reviennent forcément. ” De la même manière, certains vendeurs sont très fidèles, indique-t-elle. ” Malheureusement, de nombreuses personnes dépensent plus qu’elles ne gagnent, ou n’ont aucune réserve lorsqu’elles sont confrontées à une dépense inattendue. Elles ont besoin d’argent en attendant la fin du mois et sont donc contraintes de vendre ce qu’elles ont acheté seulement quelques mois plus tôt. Hélas, ces mêmes personnes retombent dans le piège de manière chronique. ”

Ce qui n’est pas sans rappeler une autre possibilité de financement, celle des payday loans, un système de prêts à court terme destinés à surmonter la période qui sépare le particulier du versement du salaire. Cash Converters propose ce service au Royaume-Uni, notamment. Pour autant, les payday loans ne sont pas intéressants financièrement dans les conditions actuelles en Belgique parce que les frais demandés et les taux dépasseraient le plafond légal. L’intérêt de Cash Converters Belgium pour ce service est d’ailleurs minime. ” Notre coeur d’activité, c’est l’achat et la vente d’articles d’occasion, rappelle Eric Franckart. Les services bancaires ne m’intéressent pas. ” Il regarde dans une autre direction. ” L’une des possibilités étudiées actuellement est la réparation de smartphones, tablettes et ordinateurs dans nos magasins. ”

Pour Chantal Heymans, le plus grand défi ne réside pas dans une extension de la gamme de services, mais dans l’expansion territoriale. Cash Converters peine à s’ancrer en Flandre. L’enseigne n’est présente qu’à Anvers et Vilvorde, mais elle voudrait s’implanter dans des villes comme Gand et Roulers : ” Nous peinons à trouver des franchisés, explique-t-elle. Plus que les Wallons et les Bruxellois, les Flamands sont désireux d’avoir leur propre établissement. ”

Trouver les bonnes personnes est un problème plus général. Bien qu’il s’agisse rarement d’emplois qualifiés, l’entreprise ne parvient pas à trouver suffisamment de collaborateurs. ” À Vilvorde, nous cherchons un gérant de magasin depuis des mois “, soupire Heymans. ” Cela n’a rien à voir avec le salaire, car celui que nous proposons est très attrayant. ”

Attentes irréalistes

Si l’Internet a relancé le marché de l’occasion, il n’est pas acquis que Cash Converters en profite directement.

” Il y a quelques années, nous avons essayé d’acheter en ligne, mais ce projet n’a pas eu le succès escompté “, concède Chantal Heymans. ” Nous devons pouvoir examiner physiquement les articles pour garantir la qualité. Nous avons également constaté qu’en ligne, les attentes en matière de prix sont souvent irréalistes. ”

Les avantages de la vente à Cash Converters sont clairs. ” Il n’est pas nécessaire de placer de petites annonces ni de recevoir des acheteurs potentiels chez soi, et le vendeur perçoit rapidement de l’argent liquide “, explique Chantal Heymans. Ce dernier argument pourrait séduire également les voleurs à la tire qui cherchent à refourguer rapidement leur butin. Pour autant, comme le précise la CEO par intérim, ” le risque que des biens volés aboutissent chez nous n’est naturellement pas nul, mais nous faisons tout pour le limiter au maximum. Chaque jour, nous transmettons à la police une liste des numéros d’enregistrement des appareils électroniques que nous avons achetés, spontanément. Dès lors, si vous êtes victime d’un vol, je ne peux que vous conseiller de le déclarer le plus vite possible “.

La chaîne d’articles d’occasion tient une liste noire de vendeurs avec lesquels elle ne traite plus, généralement en raison de transactions suspectes. ” Chaque vente est enregistrée, explique Chantal Heymans. Les magasins ont des images vidéo et la carte d’identité du vendeur. Si quelqu’un vend quatre GPS à différents établissements en une semaine, il éveille forcément les soupçons. ”

Cash Converters applique d’autres techniques pour contrôler l’intégrité des aspirants vendeurs. ” Pour certains articles, nous demandons par exemple au vendeur de nous montrer comment il fonctionne, ou nous cherchons à savoir pourquoi il le vend, explique Eric Franckart. Si quelqu’un propose un saxophone de grande valeur, nous l’invitons par exemple à nous jouer quelques notes. S’il n’en est pas capable, il faudra qu’il présente une facture pour que nous envisagions d’acheter l’instrument. ”

” Un smartphone sans chargeur ou à un prix ridiculement bas titilleront également notre curiosité “, complète Chantal Heymans. ” Un ordinateur portable dont les données n’ont pas été effacées ou dont aucun back-up n’a été réalisé sera également suspect. ”

Ventes problématiques

Les cas où des marchandises volées ont été achetées et vendues par Cash Converters restent particulièrement rares, souligne Heymans. ” L’an dernier, nous avons vendu plus de 1,9 million d’articles. Les ventes problématiques liées à des vols représentent moins d’un centième de pour cent. ”

Cette affirmation doit cependant être nuancée. De nombreux vols ne sont jamais déclarés, et notamment pour les articles de valeur assez réduite ou difficiles à enregistrer – tous les objets ne sont pas assortis d’un numéro de série, et encore faut-il que le propriétaire le note quelque part si c’est le cas -, les victimes se donnent rarement cette peine.

Le fait que celui qui découvre que ses biens volés se trouvent dans un magasin Cash Converters ne puisse pas le récupérer immédiatement n’aide pas non plus. ” Il doit nous indemniser à concurrence du montant que nous avons versé au voleur, explique Chantal Heymans. Comprenez-nous : nous sommes un acheteur de bonne foi qui a tout mis en oeuvre pour éviter d’acquérir un bien volé. Si la victime veut récupérer son argent, elle doit se constituer partie civile contre le voleur. ” Elle le fera rarement : le coût et les formalités liés à la procédure ne valent pas le montant perdu.

L’attrait de l’argent facile ne se limite pas aux pickpockets. De temps à autre, il s’insinue même jusque dans une franchise de Cash Converters. Chantal Heymans confirme que plusieurs établissements ont été fermés après avoir été convaincus de recel, c’est-à-dire d’avoir revendu des marchandises volées. Elle ne souhaite pas préciser de quels sites il s’agit, mais souligne que ce sont des exceptions. ” Je vois notre tolérance zéro comme une preuve de la qualité de nos procédures. ”

Les conflits familiaux s’avèrent être un problème plus grave que le vol. Pensez par exemple à un divorce. ” Il n’est pas rare qu’un homme arrive ici pour revendre un appareil dont la facture est au nom de sa future ex-femme, explique Eric Franckart. Pensez également à des gens qui vivent ensemble sans être mariés. Autre cas de figure que nous rencontrons souvent : des enfants qui viennent vendre les objets appartenant à leurs parents. Cela donne régulièrement lieu à des actions en justice. ”

Clients mystères

Même si Cash Converters Belgium collabore principalement avec des franchises, la chaîne surveille attentivement ce qui se passe dans ses établissements. Ainsi l’entreprise emploie-t-elle deux ” clients mystères ” qui vont vendre des articles dans les magasins. ” Nous nous assurons de cette façon que les procédures adéquates sont suivies, que les délais d’attente sont acceptables, que le personnel est sympathique et la sécurité garantie “, explique Chantal Heymans.

L’enseigne est également directement victime de comportements malveillants – c’est un euphémisme. Sur le seul premier semestre 2016, elle recense déjà un cambriolage à la voiture-bélier et trois hold-up, soupire la CEO. ” Nous conseillons à nos collaborateurs de ne surtout pas tenter de résister. Mais il arrive que l’instinct reprenne le dessus. Il y a quelque temps, un de nos collaborateurs a ainsi reçu une balle dans le bras lors d’une course-poursuite. Le jeu n’en vaut absolument pas la chandelle. ”

Chantal Heymans tient enfin à briser un mythe : le marché de l’occasion ne profite pas nécessairement d’une conjoncture économique moins favorable. ” Au contraire : en période de crise, les gens remplacent moins rapidement leurs biens. Par exemple, ils gardent leur télévision beaucoup plus longtemps. ”

En parlant de télévision : Cash Converters en a-t-elle vendu davantage ces derniers mois au motif que les fans de football voulaient du neuf et du plus grand en vue du Championnat d’Europe ? ” En fait, c’est le contraire, sourit Eric Franckart. Nous avons vendu énormément de petits téléviseurs. Manifestement, madame voulait pouvoir regarder autre chose que le football de monsieur. ”

Par Daan Ballegeer/Photos : Kris Van Exel

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