Carsharing: un business florissant mais fragile

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Il semble loin, le temps où Cambio était le seul joueur sur le terrain des voitures partagées. De plus en plus de concurrents se lancent, chacun développant leur modèle propre. Mais aucun n’ayant réussi à trouver la formule magique pour être réellement rentable.

Il fut un temps où les moindres centimes gagnés lors de jobs d’étudiants alimentaient patiemment un compte destiné à financer l’achat d’une voiture une fois le permis en poche. Mais ce rêve, qui a longtemps animé les 18 ans et plus, se fracasse aujourd’hui contre la dure réalité de la génération Y : avoir leur propre moyen de locomotion, les jeunes n’en font plus une obsession.

Ils préféreraient désormais de plus en plus le smartphone à leurs quatre roues. Non qu’ils renoncent à leur mobilité. Mais ils l’envisagent autrement : le covoiturage pour le boulot, les transports en commun le week-end, un taxi partagé pour revenir le samedi de soirée… Le tout à portée de téléphone intelligent.

Ces hyper-connectés ne sont pas les seuls à envisager d’autres solutions sur les routes. Selon une étude réalisée par le cabinet de consultance Frost & Sullivan et relayée par Federauto (la fédération belge du commerce automobile), 44 % des Belges interrogés s’intéressent à de nouvelles formes de mobilité (contre 31 % en Allemagne, 38 % en Angleterre, 40 % aux Pays-Bas et 43 % en France).

Nombre d’entreprises ont bien compris qu’un tournant s’amorçait. “L’autopartage s’immisce partout !, confirme Xavier Tackoen, administrateur délégué du bureau d’études indépendant Espaces-Mobilités. Dans les projets immobiliers, au sein des sociétés, entre particuliers…”

Location ou partage ?

Certes, la tendance reste essentiellement urbaine. Cela n’empêche pas un nombre grandissant de start-up de tenter leur chance dans un marché en devenir, boosté par la tendance de l’économie du partage. Chacune développant ses propres spécificités, espérant que son business fera le buzz auprès des usagers. En se basant sur deux grands modèles : la location de voitures mises à disposition par la firme elle-même ou le partage de véhicules appartenant à des particuliers, chapeauté par une application mise à disposition.

C’est sur base de cette seconde idée que s’est développé Tapazz, une initiative anversoise lancée depuis un an, qui comptait à la mi-septembre 750 membres et qui affirme en accueillir une centaine supplémentaire chaque mois. Le pitch : puisque notre voiture reste en général immobilisée 90 % du temps, pourquoi ne pas la louer à d’autres conducteurs en fixant notre propre tarif (moins une commission de 30 % empochée par l’entreprise) ? Une appli permet de voir quelles sont les voitures disponibles. Conçue par Maarten Kooiman et son équipe, elle est surtout téléchargée en Flandre. “Nous ne sommes pas encore très actifs en Wallonie et à Bruxelles, mais nous y avons déjà quelques membres”, affirme-t-il.

Concurrence en vue pour Djump ? Cette start-up lancée en juin 2013 à Bruxelles et deux mois plus tard à Paris surfe elle aussi sur la vague du peer to peer et du covoiturage urbain. Elle fonctionne via à une application mobile qui connecte les automobilistes et les “Djumpers”, ceux qui veulent se déplacer mais ne disposent pas de moyen de locomotion.

Deux initiatives qui font immanquablement penser à Uber et ses taxis alternatifs, qui ont fait couler des litres d’encre depuis quelques mois. Si cette firme américaine a décidé de s’implanter dans la capitale, ce n’est pas étranger au succès de Djump, selon Olivier Delens, son cofondateur et directeur financier. “Nous sommes actuellement dans une phase de levée de fonds, raconte-t-il. Nous en sommes à 50.000 téléchargements, pour un taux de conversion allant de 15 à 20 %, soit près de 10.000 utilisateurs à Bruxelles et Paris. La concurrence a du bon et du moins bon. Uber a fait beaucoup de tapage, de publicité négative. Mais en même temps, c’est une diversité des offres qui permettra d’aboutir à un vrai panel de solutions pour la mobilité.”

Modèle hybride

“Le marché est tellement émergent que tous les nouveaux entrants se renforcent”, abonde Pierre Oldenhove, cofondateur de Wibee. C’est un concept hybride, lancé cette année, qui implique lui aussi l’utilisation d’une appli pour aider les utilisateurs à se connecter entre eux, à la différence près que la voiture utilisée appartient à la firme, qui la met à disposition à un tarif déterminé (environ 35 cents du kilomètre tout compris) à un ambassadeur. Ce dernier doit trouver d’autres conducteurs, qui paieront pour leur part minimum 20 centimes du kilomètre.

Pour l’instant, Wibee est encore dans une phase de test à Louvain-la-Neuve. “Nous travaillons d’abord à petite échelle. Si ça fonctionne bien, il n’y a pas de raison pour que ça ne soit pas le cas ailleurs”, estime Pierre Oldenhove. Qui se défend de marcher sur les platebandes de Cambio, le précurseur des autos partagées en Belgique. “Ils développent un service grand public, avec des actionnaires publics (dont les TEC, la STIB et De Lijn, Ndlr), alors que nous voulons créer des cercles privés, plus restreints.”

Ce nouvel arrivant n’effraie d’ailleurs pas Frédéric Van Malleghem, directeur de Cambio. “La vraie concurrence, c’est quand nous entendons qu’une marque sort un modèle à 8.000 euros. Cela nous fait plus peur que le lancement d’une nouvelle start-up. Le marché n’est pas saturé, mais peu d’entreprises veulent se positionner, car les marges bénéficiaires sont très faibles et qu’il y a peu de retour sur investissement.”

C’est effectivement là que le bât blesse : rares sont les firmes qui parviennent à réellement être à l’aise financièrement. Ce ne sont sans doute pas les responsables de Zen Car qui affirmeraient le contraire. La société, spécialisée dans la mise à disposition de véhicules électriques à partager, est en état de faillite virtuelle, avec une perte de près de 2 millions d’euros comptabilisée fin 2013.

“Nous ne roulons pas sur l’or”

“Nous traînons une dette mais que nous comptons bien absorber. Les chiffres de cette année montrent qu’on est dans le bon. Le carsharing, c’est une affaire qui tourne”, avait récemment affirmé le CEO de Zen Car Régis Leruth à L’Echo.

Du côté de Djump, les 10.000 utilisateurs ne permettent pas davantage de générer des revenus, puisque la jeune entreprise ne se rémunère pas – encore – sur les trajets en covoiturage effectués grâce à l’application. “A terme, nous voulons prendre 20 % de commission sur la rémunération libre, détaille Olivier Delens. Les utilisateurs le savent, mais nous ne voulions pas l’instaurer d’emblée pour ne pas décourager l’offre.” Reste à savoir s’ils accepteront de se soumettre à la règle payante en cours de route…

“Nous avons atteint le seuil de rentabilité, mais il est clair que nous ne roulons pas sur l’or”, concèdent pour leur part Anne-Claire Vanfleteren et Marc Lainez, CEO et CTO de Djengo, une start-up qui vise à promouvoir la mise en place du covoiturage au sein des entreprises. Et qui vit d’ailleurs une phase de réorientation de ses activités, pour proposer à ses clients non plus uniquement une offre basée sur la voiture, mais englobant d’autres moyens de locomotion. Face à l’échec de leur premier modèle ? “Non, mais parce que nous nous sommes rendu compte que le covoiturage reste très marginal et que l’avenir est dans un concept beaucoup plus large, multimodal”, répondent-ils.

Cambio quant à lui a atteint le break even après trois ans. Mais ses bénéfices sont loin d’être plantureux : 24.164 euros en Wallonie, 148.440 euros à Bruxelles et 178.776 en Flandre en 2013, selon les chiffres publiés à la Banque nationale. “Nous ne sommes pas dans un business qui permet de faire de grosses marges, répète Frédéric Van Malleghem. Mais notre finalité n’est pas là, mais bien dans la diminution de la pression automobile en ville. Après, je suis toujours un peu surpris par ceux qui suivent cette nouvelle mode qui consiste à partir d’une superbe idée et se dire qu’on trouvera un business model plus tard…”

Reste que tous les acteurs du carsharing devront avoir les reins financièrement solides pour affronter le prochain tournant auquel sera confronté ce secteur : l’arrivée massive de concurrents étrangers, capitalisés à hauteur de dizaines de millions et/ou soutenus par une grande marque automobile (lire l’encadré). L’agressif Uber a déjà donné le ton, freiné toutefois par un flou législatif persistant. Une fois l’horizon éclairci, nul doute que de nouveaux joueurs s’intéresseront au territoire belge, en particulier à Bruxelles. En absorbant sur leur passage les start-up made in Belgium ?

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