Carlos Tavares (PSA): “Le temps des one man shows est révolu”

Carlos Tavares. © Reuters

L’ancien ingénieur de Renault est devenu en 2014 le grand patron de PSA, la maison d’en face. En redressant spectaculairement Peugeot et Opel, le sexagénaire s’est fait un nom dans l’industrie automobile mondiale.

L’autre Carlos de l’industrie automobile s’est vu remettre, fin mars, le “Prix du stratège 2018” des Echos. Un prix qui couronne le redressement spectaculaire de Peugeot et d’Opel.

Carlos Tavares nous livre ici ses secrets de management.

Cela veut dire quoi, diriger un grand groupe en 2019 ?

CARLOS TAVARES. D’abord s’appuyer sur une équipe compétente, pluridisciplinaire, et l’écouter. Le temps des one man shows est révolu. La complexité du monde et des technologies est telle qu’il faut être humble dans notre métier. Mais vous savez, l’écoute active, c’est très inconfortable. Surtout que quand vous êtes chef, vous avez en général atteint un certain âge, et vous avez l’impression de savoir des choses.

Comment bien s’entourer ?

Je choisis les membres de mon équipe dirigeante sur leur colonne vertébrale. Ils ne doivent pas avoir peur de s’opposer à moi. Par exemple, quand nous avons une réunion sur un sujet, je tâche de me taire pendant la présentation et de distribuer ensuite la parole. C’est dur mais j’ai appris à me soigner. A la fin, je reformule et je tranche avec ma propre pondération, forcément discutable. Il m’arrive assez souvent de changer d’avis en écoutant les arguments mis sur la table. Et là je me dis que j’ai bien fait de me taire. On apprend à tout âge…

Mais le chef n’est-il pas censé avoir toujours raison ?

Je ne parviens pas toujours à me placer à ce niveau d’inconfort, mais il m’arrive deux ou trois fois dans l’année de dire à mon équipe : ” Je suis en profond désaccord avec vous, mais on va faire ce que vous me proposez “. Après, cela crée une sacrée responsabilité… parce qu’il vaut mieux que ça marche, sinon je le leur rappellerai. Nombre de fois, la réponse n’est pas dans la bonne ou la mauvaise idée, mais dans la bonne ou la mauvaise exécution. Si les gens n’adhèrent pas, vous avez une très forte probabilité que le plan ne fonctionne pas ! Il faut toujours donner du sens aux décisions pour embarquer les équipes. Nous ne sommes pas dans une crise du capitalisme, mais dans une crise du leadership. Les populations ne veulent plus de dirigeants mous et démagogiques, mais inspirants.

PSA est dans une forme insolente – historique, même. Vous avez le sentiment du devoir accompli ?

Malgré nos résultats 2018, nous sommes très insatisfaits. Nous avons fait beaucoup de bêtises, bien que l’entreprise se situe sur le podium mondial de la rentabilité des constructeurs. Dans ce contexte, avoir des collaborateurs qui acceptent d’être critiqués sans en prendre ombrage n’est pas facile. Mais il faut bien qu’il y ait une personne nommée dans le groupe pour bousculer les autres sur les sujets où on a été mauvais, quel que soit le résultat global. Il se trouve que c’est moi. Je suis leur chef, pas leur copain.

Comment avez-vous redressé rapidement PSA puis Opel ?

Je suis arrivé chez PSA fin 2013 dans une situation où, manifestement, les gens travaillaient beaucoup sans détenir les résultats escomptés. Dans ces cas-là, on peut vous raconter des tas de carabistouilles, mais il faut tous se mettre d’accord sur l’idée que seule la performance protège. Cela ne nous rendra pas populaires aujourd’hui, mais nous serons des héros demain. Se focaliser sur cette idée simple, corriger ensemble ce qui ne marche pas, c’est très fédérateur. Aujourd’hui, tout se joue dans le management des talents. Choisir les bonnes personnes dans les bonnes positions, cela paraît une lapalissade mais c’est fondamental.

Carlos Tavares (PSA):
© REUTERS

C’est ça votre secret ?

On parle aussi souvent entre nous du concept de ” l’extra-mile “. Chacun doit dépasser à la fin de l’année les objectifs fixés par le directeur financier. Un être humain, à commencer par moi, peut échouer, mais les ” extra-miles ” des autres compensent. C’est pour ça que nos résultats sont toujours meilleurs qu’anticipé. La vraie satisfaction, c’est réussir ensemble quelque chose de difficile.

“Sky is the limit”, comme vous dites parfois. Les sportifs font-ils les meilleurs managers ?

L’esprit de compétition doit prévaloir. Au dernier rallye Monte-Carlo historique, j’ai rattrapé un concurrent en difficulté. Comme il ne me voyait pas, je me suis mis à son niveau, portière contre portière, sur la neige et la glace. Le niveau d’intensité était très élevé… Ma copilote m’a dit ” holà ” et je me suis calmé. Un sportif s’entraîne pour repousser sans cesse ses limites.

Mon boulot, c’est de faire en sorte que les 18 membres de l’équipe de direction le veuillent aussi. Je n’y arrive pas toujours, mais notre industrie exige des sportifs de haut niveau. Les groupes qui font des profit warnings sont ceux qui font du sur-place. Quand je rencontre mes syndicats réformistes, je leur pose toujours la question : ” faut-il que je relâche la pression ? ” Malgré le fait que des gens couinent par-ci par-là, ils ne me répondent ” surtout pas “. Si on relâche l’accélérateur, on est instantanément doublé. Et quand la faucille va passer, elle commencera par l’arrière du peloton et remontera la file. Tout le monde comprend qu’il vaut mieux être à l’avant. C’est l’endroit le plus sûr pour faire face aux aléas.

Comment faites-vous quand quelqu’un ne répond pas aux attentes ?

En cas de grande difficulté dans l’atteinte du bon niveau de performance, vous avez d’abord la responsabilité éthique vis-à-vis de tous les autres de remplacer la personne défaillante. Tout le monde est pénalisé à chaque fois que quelqu’un placé à un poste clé ne produit pas les résultats escomptés. Il y a donc nécessité d’agir, ce qui peut être pénible dans une équipe soudée. La première règle, c’est gérer la sortie avec beaucoup de respect : ” si c’était moi, comment aurais-je voulu être traité ? “.

Ces messages passent indifféremment dans tous les pays où travaille PSA ?

La dimension culturelle existe, mais les êtres humains restent des êtres humains, qu’ils soient chinois, japonais, américains ou européens. Ils ont tous besoin de respect et d’écoute. Le plus difficile, ce sont les règles de valorisation différentes ou les différences dans la hiérarchie des valeurs. Par exemple, si nous ne sommes pas d’accord sur le fait que l’important est l’avenir de l’entreprise, c’est délicat. C’est ce qui s’est passé au début en Allemagne. On venait d’un système où Opel vivait sur l’argent de GM. Avec PSA, cela ne pouvait pas se passer comme ça. Maintenant, ce problème est surmonté.

Vous arrivez à déconnecter ?

Ici, on ne déconnecte pas, on gère l’équilibre personnel. Ce qui a changé ma vie, c’est le portable. Je gère PSA avec ma tablette tactile. Regardez dans les armoires, il n’y a pas un papier dans mon bureau. Même mes e-mails s’effacent tous les trois mois. On me donne 1.000 slides PowerPoint à lire par semaine, mais environ 10% seulement méritent d’être lus. Mes équipes savent que je suis disponible 24 h sur 24, mais n’en abusent pas. Et vice versa. Vous savez, le temps nous est compté : ma règle, que j’essaie d’appliquer tous les jours, c’est 8 h-18 h à pleine intensité au bureau. Parce qu’à partir de 19 h, je dîne avec mon épouse à la maison. Et c’est un plaisir qui fait partie de mon équilibre de vie.

Vous “managez” aussi vos enfants ?

Je ne peux pas leur mettre trop la pression, ma femme me le reprocherait. Mais comme je suis entraîné à travailler 10 heures par jour sans ” corporate blabla “, je déteste perdre du temps et de l’énergie. Alors quand mes enfants me parlent de nos affaires privées familiales et partent dans tous les sens, je leur rappelle d’aller to the point !

Vous gérez différemment les jeunes de PSA ?

Les trentenaires me demandent ma vision sur bon nombre de sujets. Je leur réponds souvent ” c’est à vous de me le dire “. Notre premier plan stratégique était à trois ans – il fallait remettre les choses d’équerre. Le deuxième est à six ans. Il s’agit de commencer à donner plus de respiration, notamment à l’international. Le prochain sera à neuf ans et il conviendra de dire comment sera PSA en 2030. Nous solliciterons largement les dirigeants les plus jeunes pour le concevoir car ils auront à exécuter lorsque je serai à la retraite.

Ces jeunes sont souvent sensibles à d’autres valeurs que leurs aînés…

Nous voyons effectivement monter les critères de responsabilités sociales et sociétales de l’entreprise, les questions de sécurité, de diversité, les différents labels… Je suis tout à fait en phase avec cela, mais attention à ne pas se tromper sur l’essentiel. A la fin du mois, je paie les salaires en euros. Il faut se méfier du risque d’enfumage et combiner le soft et le hard. Si on donne trop d’importance au soft, l’entreprise peut vaciller. Comment réagiront les collaborateurs si nous remplissons 100 % de nos objectifs RSE et que nous tombons en faillite ?

Par Emmanuel Grasland, Julien Dupont-Calbo, Anne Feitz, David Barroux.

Profil

Né le 14 août 1958 à Lisbonne

Quitte son pays à 17 ans pour étudier à Toulouse

Diplomé de l’école Centrale à Paris en 1981

Démarre sa carrière chez Renault la même année, comme ingénieur d’essais

Au fil des années, il gravit tous les échelons avant d’être repéré par Carlos Ghosn qui le nomme en 2005 responsable de la zone Amériques chez Nissan

De 2011 à 2013 : directeur général délégué aux opérations de Renault

Depuis 2014 : président du directoire du groupe PSA

Fan de mécanique et de courses automobiles depuis toujours

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