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“Carlos Ghosn et la présomption d’innocence”
La rocambolesque fuite de Carlos Ghosn du Japon, où il était en résidence surveillée, a retenu l’attention comme s’il s’agissait d’un roman d’espionnage avec la présence d’anciens agents secrets, une personne qui échappe à la vigilance des autorités dans une caisse destinée à un instrument de musique et un fugitif qui fait une fracassante conférence de presse.
A priori, un évadé qui fuit la justice n’attire pas la sympathie. Il est vrai que l’ancien patron de Renault et Nissan, qui paraît hautain et qui n’a guère été tendre avec ses salariés lorsqu’il était au pouvoir, ne devrait à première vue pas être vu comme un saint homme. Dans nos contrées, on se serait davantage attendu à ce qu’un grand patron qui s’est toujours présenté comme un combattant affronte aussi la justice pour faire valoir son innocence qui, pour nous, est toujours présumée. En fuyant, il perd, peut-être à jamais, la possibilité de montrer qu’il n’était pas coupable de ce dont on l’accuse.
Pourtant, en analysant les choses de plus près, on est nécessairement amené à avoir quelques doutes. D’abord, une détention préventive aussi longue paraît peu conciliable avec nos normes européennes pour des délits que notre justice n’a pas l’habitude de traiter avec une telle rigueur. Une non- déclaration de ” revenus différés ” permettrait à tout le moins une discussion avant de considérer l’intéressé comme coupable méritant déjà une année de détention, avec l’assignation à domicile. On ne peut s’empêcher de voir un étrange acharnement lorsque, après des semaines de procédure et une décision de justice autorisant une libération soumise à de très étroites conditions, le parquet de Tokyo tire de son chapeau de nouvelles accusations pour le remettre illico en prison. Enfin, la rigueur des conditions de détention, d’une part, et d’assignation à résidence (avec interdiction de parler à sa propre épouse), d’autre part, paraît déraisonnable selon nos critères européens.
L’innocence est d’autant plus difficile à prouver qu’en prison, il est particulièrement compliqué d’avoir accès à des témoins ou des documents probants.
Lorsqu’un éminent professeur japonais, interrogé par la presse, donne son opinion sur le comportement du grand patron franco-libano- brésilien, on s’interroge sur la légitimité du système pénal nippon. Selon ce professeur, a priori impartial, Carlos Ghosn aurait reconnu sa culpabilité en fuyant alors qu’il aurait dû, au contraire, se féliciter de bénéficier, grâce à ses avocats, d’une mansuétude exceptionnelle en obtenant une libération conditionnelle, avant son jugement, ce que la quasi-totalité des détenus japonais en préventive n’obtiennent jamais. Il paraît donc normal à un éminent pénaliste japonais que la règle est la détention préventive et l’exception, la libération. Simplement parce que, dans son pays, c’est toujours comme cela. C’est évidemment le renversement des normes que nous connaissons : tant qu’un prévenu n’est pas déclaré coupable, il est présumé innocent et il faut des circonstances exceptionnelles pour qu’il subisse une période de détention préventive qui, pour nous, doit être aussi courte que possible.
Ce malaise est confirmé par d’autres spécialistes japonais qui disent d’emblée que dans la procédure de leur pays, le prévenu est toujours présumé coupable et qu’il lui appartient de démontrer son innocence. Bien sûr, celle-ci est d’autant plus difficile à prouver qu’en prison, il est particulièrement compliqué d’avoir accès à des témoins ou des documents probants. Cette histoire inachevée est révélatrice de l’importance qu’ont les règles de procédure dans un Etat qui entend garantir les droits de l’homme.
On ne doute pas que le Japon est un Etat démocratique, où sont organisées des élections libres et qui protège les libertés fondamentales. C’est aussi un Etat réputé pour sa criminalité très faible, sans qu’il y ait davantage de comportements interdits que dans la plupart des Etats civilisés.
Mais ce qui caractérise le respect des droits de l’homme, c’est – bien plus que la liste des infractions édictées par le Code pénal – le respect accordé aux droits de la défense : la possibilité de faire valoir effectivement ses arguments, de bénéficier d’une réelle présomption d’innocence et l’obligation des autorités de faire la preuve de tous les éléments constitutifs des infractions. Lorsque tout cela n’est pas présent, on peut commencer à comprendre ce que dit Carlos Ghosn, qu’il ” n’a pas fui la justice mais fui l’injustice “.
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