Carlos Brito : ” Le consensus est une science impossible “

© Image Globe / DIRK WAEM

Il est sans doute le CEO en Belgique, à la fois le plus controversé et le plus remarquable de cette dernière décennie. Le brésilien Carlos Brito a hissé Anheuser-Busch InBev au rang de numéro un mondial de la bière. Après cinq années à la barre du groupe, il accorde enfin sa première interview à la presse belge.

Hôtel Bloom à Saint-Josse, dans une suite nichée au huitième étage. Le point de vue sur Bruxelles est charmant, avec une vue plongeante sur le Botanique. Des bouteilles de Stella Artois Cider, de Hoegaarden 0,0 % et des cannettes de Jupiler Force reposent au frais dans des seaux à glace. Comme à son habitude, Carlos Brito, le CEO brésilien d’Anheuser-Busch InBev (AB InBev) est vêtu de manière informelle, avec une chemise bleu clair impeccablement repassée. L’instant est assez inédit : c’est sa première interview à la presse économique belge.

TRENDS. Monsieur Brito, vous êtes le CEO d’AB InBev depuis 2006. Pourquoi avoir attendu plus de cinq avant d’accorder votre première interview ?

CARLOS BRITO. Il ne s’agit pas de ma personne, mais de l’entreprise. N’écrivez pas sur moi mais plutôt sur nos produits, nos collaborateurs ou nos équipes. Les grandes entreprises ne sont pas l’oeuvre d’un grand leader ni d’un grand CEO. Mais d’une grande équipe. Si demain je quitte la société, celle-ci ne changera pas.

Mais vous personnifiez quand même AB InBev. En janvier 2009, lors de l’annonce de la dernière restructuration de la filiale belge, Trends vous décrivait encore comme un vautour ?

Oh, vous savez cela ne me touche pas. J’ai une peau d’éléphant. Je fais simplement ce qu’il y a de meilleur pour cette société sur le long terme. Parfois ce n’est pas drôle pour tout le monde. Le consensus est une science impossible. Vous devez vous assurer que tout le monde regarde dans la même direction. C’est la seule manière d’avancer.

Cette absence de consensus explique probablement pourquoi beaucoup de dirigeants belges ont quitté l’entreprise ces dernières années…

Non. Nous recherchons simplement des collaborateurs très talentueux à travers le monde. En Belgique aussi, il y a assez de talents. Mais ce n’est pas la nationalité, ni la race ou encore la religion qui m’intéressent. Les employés doivent se fondre d’emblée dans notre culture d’entreprise.

Qu’est ce qui est si spécifique à AB InBev ? Vous faites la même chose que les autres grands brasseurs Heineken et SABMiller. A savoir : couper dans les coûts et amener les consommateurs à boire des marques de bière plus chères ? Nous sommes imprégnés d’une culture de la propriété. C’est une différence importante. Les personnes qui occupent un poste-clé dans le management travaillent dans le groupe depuis déjà dix voire vingt ans. J’y ai commencé moi-même en 1989. Je déteste le genre d’entreprise où les managers ne restent que deux ou trois ans. Nous, nous sommes responsables de nos décisions à long terme et nous en assumons nous-mêmes les conséquences. Nous réfléchissons à deux fois avant de prendre une décision. La plupart de mes avoirs sont d’ailleurs investis dans des actions AB InBev.

L’acquisition du leader du marché américain Anheuser-Busch à l’automne 2008 a-t-elle épuisé toutes les capacités dans l’entreprise ?

Absolument pas. Si tout avait été réalisé, je ferais mieux de démissionner immédiatement. Le but de cette société consiste à éliminer en permanence les faiblesses et combler les lacunes. Et toujours s’améliorer. Cette histoire ne s’arrête jamais. Dès que vous vous contentez de ce que vous avez, c’est le début du déclin. Il y a toujours quelque part dans le monde une entreprise qui est un peu meilleur que nous. Pas dans son ensemble mais dans certains domaines comme par exemples en marketing, en vente, en gestion des stocks ou en finance. C’est pour cela que nous sommes très humbles.

Ces entreprises, ce sont les grands brasseurs concurrents ? Nous restons très vigilants par rapport à nos concurrents. Nous observons en permanence ce qu’ils font. C’est une bataille de tous les jours dans notre business. Mais pour réaliser nos comparaisons, nous regardons ce qui se passe en dehors de l’industrie de la bière. Pour attirer des talents, nous examinons, par exemple, quelles sont les pratiques de Coca-Cola, PepsiCo et des groupes de biens de grande consommation de premier plan. Depuis le rachat d’Anheuser-Busch, notre politique de recrutement a changé radicalement. Auparavant, nous arrivions à débaucher de très bons collaborateurs au niveau local. Mais nous éprouvions des difficultés à recruter des profils d’envergure mondiale car nous étions peu présents aux Etats-Unis et de manière limitée en Chine. L’Europe est évidemment importante. Mais la forte expansion se passe en Chine, où nous engageons des milliers de personnes chaque année, et aux États-Unis. Désormais nous pouvons attirer des talents pour une carrière internationale à Pékin, Bruxelles, New York ou Sao Paulo. C’est l’une des principales conséquences de l’acquisition d’AB.

Depuis cette reprise, les volumes de bière ont chuté de près de 8 % aux Etats-Unis à cause de la récession. Vous avez payé un goodwill pour les marques de 21,4 milliards de dollars. Ne devriez-vous pas acter une dépréciation de valeur dans vos comptes en raison de ce faible développement du marché ?

Non car nous avons, déjà à présent, obtenu les résultats que n’attendions pas avant quelques années. Aussi bien sur le plan des synergies qu’au niveau du cash-flow et des paramètres financiers.

Certes mais faire de la Budweiser une marque internationale leader devient quand même très difficile car la bière demeure essentiellement une activité locale ?

Je pense que nous entrons dans un monde où la bière va devenir un produit beaucoup plus global qu’il ne l’est aujourd’hui. Nous avons eu beaucoup de marques leaders dans chaque pays, comme la Jupiler en Belgique. Mais cela ne vous permet pas de jouer dans la cour des grands. Avec la Budweiser, on peut, par exemple, parrainer la Coupe du Monde ou les Jeux Olympiques. Anheuser-Busch avait une marque puissante mais pas le réseau de distribution. InBev avait, lui, le réseau mais pas de marque mondiale forte.

Heineken est la première marque internationale dans le monde, avec une part qui représente à peine 1,4 % (Ndlr : 26 millions d’hectolitres) des volumes totaux. Pourquoi seriez-vous en mesure de vendre 100 millions d’hectolitres de Budweiser ?

Eh bien, c’est une des faiblesses que nous avons encore à combler. La marque a en tout cas beaucoup plus de potentiel international. Elle existe depuis 1876. Et nous ne l’avons seulement dans notre giron que depuis trois ans.

Faire de la Budweiser une marque mondiale comme Coca-Cola est-ce que c’est votre rêve ultime ?

Oui. Mais avec Stella Artois et Beck’s. Stella Artois est notre marque de luxe internationale. Elle incarne la tradition de la bière belge.

Propos recueillis par Wolfgang Riepl

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