Bpost: comprendre l’audacieux rachat de Radial en 5 questions

Bruxelles X, le nouveau centre de tri de bpost vient d'ouvrir ses portes à Neder-Over-Heembeek. Il traite jusqu'à 300.000 colis par jour. C'est le plus grand du Benelux. © Belgaimage

Avec le rachat de l’américain Radial, bpost passe un cap. L’entreprise va faire un grand bond dans les services pour l’e-commerce, qui devraient rapidement devenir l’activité majoritaire de l’ancienne Régie des Postes. Une opération audacieuse.

Si loin, si grand. bpost n’a pas lésiné pour sa dernière acquisition. L’entreprise va débourser 700 millions d’euros pour acheter Radial, un fournisseur de services pour l’e-commerce basé aux Etats-Unis. Une opération très ambitieuse, qui marque un tournant dans la reconversion, ou plutôt la diversification qui touche tous les anciens monopoles postaux, avec la recul inexorable du courrier.

Chez bpost, le courrier fond au rythme de 5 % par an, à la fois en raison d’internet et de la fin du monopole de la poste pour le courrier national. Les envois de lettres représentaient encore 65 % des ventes en 2016 (national et international). Avec le rachat de Radial, la part des colis et de l’e-commerce va rapidement représenter la moitié, puis la majorité des activités. Radial à lui seul va apporter au moins 850 millions d’euros de ventes par an. Or, bpost arrivait l’an dernier à 2,43 milliards d’euros.

L’entreprise continue à investir dans la modernisation du traitement du courrier, mais c’est l’e-commerce qui doit lui assurer un futur. Koen Van Gerven, CEO de bpost, en est persuadé. ” Le commerce électronique global devrait croître de 20 % par an, a-t-il expliqué aux analystes financiers, le jour de l’annonce de l’opération. Et il devrait progresser encore plus, à 25 % l’an, pour les transactions transfrontalières. ”

L’entreprise continue à investir dans la modernisation du traitement du courrier, mais c’est l’e-commerce qui doit lui assurer un futur.

Radial s’ajoute à une série d’acquisitions moins importantes visant les mêmes objectifs. Koen Van Gerven, CEO de bpost, profite de l’excellente santé de l’entreprise, qui n’a pas de dette nette, mais a près de 500 millions d’euros de cash (à la fin 2016) et une bonne rentabilité. Elle a pu ainsi acquérir sans souci Landmark Global, un spécialiste américain du colis transfrontalier, DynaGroup, une entreprise basée aux Pays-Bas, spécialisée dans la logistique et les réparations technologiques. Et aussi Lagardere Travel Retail (magasins Press Shop/Relay et le réseau de points de collecte Kariboo). L’entreprise était prête à des achats plus conséquents. L’an dernier, elle avait tenté, en vain, de convaincre son concurrent et homologue néerlandais PostNL de se laisser racheter pour 2,4 milliards d’euros, pour profiter de son avance dans l’e-commerce.

Certains analystes, nous le verrons, affichent des doutes sur l’opération Radial, sur ses risques. Au moment où nous clôturons cet article, une dizaine de jours après l’annonce du rachat, le cours n’a pas récupéré son niveau antérieur de 25 euros. Il flotte juste sous les 24 euros. Cela pose quelques questions :

1. Pourquoi si loin ?

Il peut sembler singulier d’organiser une reconversion d’un groupe belge… aux Etats-Unis ! La part des activités américaines de bpost va devenir considérable. Elle y est déjà présente avec Landmark Global depuis 2012, un spécialiste de l’expédition de colis transfrontaliers. Pour bpost, entreprise à majorité publique (51,04 % appartiennent au fédéral), cela peut sembler singulier car l’emploi ne cesse d’y fondre sous l’effet d’une politique de productivité et d’automatisation. En 2016, bpost employait 23.708 personnes (hors intérimaires), près de 10.000 de moins qu’en 2007. Radial va ajouter 6.700 personnes, pour l’essentiel aux Etats-Unis.

Le management de bpost a préféré le marché américain car il est le plus avancé dans l’e-commerce et le plus important en volume. Aussi pour y rechercher une nouvelle expertise. ” En Belgique, notre activité pour l’e-commerce est concentrée dans la livraison, le dernier kilomètre, indique Kurt Pierloot, manager de l’activité Parcels & Logistics de bpost, membre du comité exécutif, qui a géré l’acquisition de Radial. Nous avons moins développé les métiers en amont, nous faisons un peu de fulfillment(sous-traitance de la gestion des stocks et l’expédition des commandes, Ndlr), mais Radial couvre mieux un large éventail de métiers. Je ne connais pas d’acteurs en Belgique, dans le Benelux, qui offrent ainsi toute cette palette “, continue cet ancien consultant de McKinsey. Selon bpost, Radial serait numéro deux du marché américain, avec une part de marché évaluée à 4 %, ce qui s’explique par le grande fragmentation de l’offre.

Bpost: comprendre l'audacieux rachat de Radial en 5 questions

2. Que fait Radial ?

L’entreprise américaine propose aux marques de gérer toutes les opérations de commerce électronique, tout ce qui se situe après le clic : stock, livraison, paiement, gestion des fraudes, service au client. ” Les clients prennent les services à la carte, certains ne demandent, par exemple, que la gestion des paiements, explique Kurt Pierloot. Mais il y a aussi moyen de prendre toute la panoplie “. Radial travaille surtout aux Etats-Unis, mais assure aussi la gestion des ventes d’e-commerce vers l’Europe. Deux de ses 24 plateformes logistiques se situent sur le Vieux Continent, à Leipzig et à Manchester.

Amazon propose le même service aux commerçants ou aux producteurs qui vendent sur sa marketplace. Il y a moyen d’utiliser Amazon juste pour être présent sur le site et attirer des commandes, en gérant soi-même la logistique et les paiements. Mais l’entreprise propose aussi toute la chaîne des services, jusqu’à la gestion de la livraison. Ainsi, Amazon et Radial sont complémentaires : des marques peuvent choisir de vendre sur le site Amazon en demandant à Radial d’assurer des services après le clic, pour un aspect ou pour toute l’opération. ” Cette offre complète intéresse surtout les nouveaux joueurs sur le marché, les petites entreprises ou des grands qui n’ont pas encore d’expérience en e-commerce, note Carine Moitier, managing director de l’association BeCommerce. Une fois qu’elles ont de l’expérience, elles tendent à internaliser. ”

D’une certaine manière, l’activité est complémentaire à celle de Landmark Global qui est centrée sur les livraisons transfrontalières.

3. Qui est Radial ?

Le nom est récent car l’entreprise est le fruit d’une fusion entre eBay Enterprise, une activité du site de vente de seconde main, et d’Innotrac, spécialiste du fulfillment, en avril 2016. L’opération a été organisée par un fond d’investissement, Sterling Partners, qui estimait qu’un acteur offrant tous les services de l’e-commerce pouvait mieux toucher le marché. Radial compte parmi ses clients Ralph Lauren, Adidas, Hallmark, iRobot, Levi’s, Sony. La vente, toutefois, est assez rapide et le nouvel ensemble n’est pas encore totalement intégré.

Nous sommes convaincus que tôt ou tard nous pourrons déployer ces capacités pour devenir un acteur de taille dans la logistique de l’e-commerce en Europe” Koen Van Gerven, CEO de bpost

4. Impact sur la Belgique ?

Aucun dans un premier temps. Mais plus tard, oui. ” Nous sommes convaincus que tôt ou tard – et je suis convaincu que ce sera plus tôt que tard -, nous pourrons déployer ces capacités pour devenir un acteur de taille dans la logistique de l’e-commerce en Europe “, avait indiqué Koen Van Gerven aux analystes. ” Pas tout de suite, mais nous n’attendrons pas cinq ans “, indique Kurt Pierloot. L’acquisition de Radial doit permettre de développer des métiers où bpost est moins experte, ne pas se limiter à la livraison nationale, son point fort historique. L’ambition dépasse les frontières. ” Cela n’aurait pas de sens de se limiter à la Belgique pour le fulfillment ou d’autres services de l’e-commerce, avance Kurt Pierloot, c’est un business en bonne partie transfrontalier. J’aimerais développer une offre sur toute l’Europe. ”

5. Quels sont les risques de l’opération ?

Le grand risque est l’intégration de Radial. La fusion entre eBay Entreprise et Innotrac est très récente, ses effets ne sont donc pas encore clairement visibles. L’intégration va entraîner encore des coûts. Cela va repousser la première contribution aux bénéfices de bpost à 2020, point qui chiffonne certains analystes. Il peut en outre y avoir des soucis d’exécution. N’est-il pas risqué d’investir si loin ? bpost répond qu’elle a envoyé un manager de poids pour suivre les filiales américaines: Pierre Winand, ancien CFO du groupe belge, qui suit actuellement Landmark Global. Il s’occupera aussi de Radial.

Koen Van Gerven a cherché à rassurer sur les risques d’intégration : ” nous avons bien sûr été très attentifs à cela dans la phase de due diligence “, a-t-il expliqué aux analystes. En précisant que l’entreprise disposait d’un coussin financier de 140 millions d’euros de bénéfices non distribués, pour assurer le niveau des dividendes, s’il y avait un couac chez Radial.

Ces assurances n’ont pas suffi. Marc Zwartenburg, d’ING, a réduit la recommandation de buy à hold. Il estime que le deal va détruire de la valeur pour bpost pour les trois ans à venir. D’autres, comme Ruben Devos, de KBC Securities, n’ont pas modifié à la hausse leur recommandation (hold). Tout en reconnaissant, dans une note sur l’opération, que le deal ” marque le début d’une stratégie à long terme pour construire et intégrer une plateforme transatlantique de commerce électronique “. Il semble surtout que l’impact de l’acquisition de Radial soit très difficile à mesurer pour le moment, d’où un enthousiasme limité.

Les pièces du puzzle

Année après année, bpost se transforme en fournisseur du commerce électronique. Voici les différents éléments qu’il a construits ou rachetés :

Livraison de colis en Belgique. Elle est l’héritière directe de la poste aux lettres. Le réseau de distribution de bpost est mis à profit pour attirer des Amazon, Coolblue, Alibaba ou Zalando afin de livrer les particuliers jusqu’au fond des Ardennes. Le service a été adapté, avec le tracking et la livraison effectuée durant le week-end. Un nouveau centre de tri vient d’être ouvert (colis et lettres), Bruxelles X, à Neder-Over-Heembeek, qui traite jusqu’à 300.000 colis par jour. C’est le plus grand du Benelux. Pour la livraison, bpost essaye tout. La société a développé des lockers(coffres) dans des centres commerciaux, Cubee. Elle investit dans des start-up comme Parcify, qui suit et livre le client grâce à son smartphone et une appli qui le géolocalise : à la terrasse d’un café, dans un parc, au restaurant, etc.

Distribution transfrontalière.En 2013, bpost a acquis Landmark Global aux Etats-Unis, une plateforme de distribution transfrontalière de colis et de courrier (550 millions d’euros de ventes en 2016). Elle a été consolidée avec des rachats en Australie et en Pologne, de sociétés actives dans le fulfillment. Pour permettre d’élargir les services et d’accélérer la distribution. Elle a aussi repris l’an dernier le néerlandais Dynagroup (88 millions d’euros de vente en 2015), qui assure des opérations logistiques très particulières, pour des opérateurs télécoms notamment, et assure aussi des réparations (smartphones, machines à café) et des livraisons de grands électroménagers (frigo notamment).

Service complet pour l’e-commerce. C’est l’étape suivante avec le rachat de Radial, qui se présente comme un fournisseur de l’ensemble des services qui suivent la commande en e-commerce.

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