Birgit Conix (Telenet), CFO de l’année: “Apprendre vite est un must”
Birgit Conix a été élue CFO de l’Année 2018. Fin juin, elle quittera Telenet pour rejoindre le géant du tourisme TUI Group. ” Je m’apprêtais pourtant à entamer un nouveau plan triennal “.
La nomination de Birgit Conix (52 ans) au poste de CFO de Telenet n’est pas passée inaperçue. Depuis sa nomination en 2013, la société de télécoms a réalisé quatre acquisitions, obtenu son propre réseau mobile et doublé son flux de trésorerie disponible. Les objectifs ambitieux de synergie et de cash-flow ont été atteints.
Cela n’a pas échappé au jury composé de professionnels en la matière et de journalistes de Trends-Tendances. Cela n’a pas échappé non plus au groupe de tourisme allemand TUI, qui a récemment su convaincre la CFO anversoise de le rejoindre. Cette promotion est une véritable reconnaissance de ses qualités et un retour au contexte international qu’elle avait connu chez Heineken et Johnson & Johnson.
TRENDS-TENDANCES. Etes-vous satisfaite de votre trophée de CFO of the Year ?
BIRGIT CONIX. Oui, mille mercis ! Je ne m’y attendais pas. J’aimerais le dédier à tous les membres de mon équipe. Seule, je n’aurais rien pu faire. Nous formons une équipe soudée. L’équipe financière de Telenet est particulièrement solide. Je suis responsable non seulement des finances mais aussi de l’achat, de la chaîne d’approvisionnement, de la business intelligence ( veille stratégique, Ndlr), de l’immobilier, des installations, etc. Avec Base et SFR, cela représente 230 collaborateurs en tout.
Nous avons bénéficié au maximum du contexte des faibles taux d’intérêt.
Quelle est votre principale réalisation de ces cinq dernières années chez Telenet ?
Le plan triennal stratégique 2015-2018 que nous avons conçu et concrétisé avec l’équipe du top management. Il s’est soldé par de belles réalisations comme l’acquisition de l’opérateur mobile Base en 2016. Mais le plus important est la concrétisation de nos objectifs. L’objectif Ebitda ( résultat d’exploitation, bénéfice d’entreprise brut avant intérêts, impôts et amortissements, Ndlr) était très ambitieux. Le résultat d’exploitation devrait être rehaussé annuellement de 5 à 7 % en moyenne, de 2015 à 2018. Une prévision assurément ambitieuse. Il n’est pas facile d’anticiper un tel exploit trois ans à l’avance mais nous avons réussi à maintenir le cap d’année en année, ce dont nous pouvons être très fiers.
Qu’est-ce qui a été le plus difficile ? L’intégration de Base ?
Non, même si l’intégration était évidemment essentielle pour Telenet. Le plus difficile a été le respect des paramètres financiers. Telenet est une société jeune et innovante qui a grandi tout d’un coup. Il a fallu instaurer des structures et des procédures sans entraver l’innovation. Quelque chose de tout sauf simple ! Il faut pouvoir fonctionner comme une grande entreprise sans modifier la dynamique et l’ADN propre à la société.
Pourquoi les structures et les procédures sont-elles si importantes ? Pour maîtriser les frais ?
Pas seulement. Une jeune société en pleine croissance fonctionne au feeling et rêve de grandir. Mais en grandissant, elle prend aussi plus de risques. La croissance doit être étayée par des chiffres et des faits, les business cases doivent se vérifier, un comité d’investissement doit être mis en place. Pas question de lancer un produit comme Wigo ( bouquet de quatre services, Ndlr) sans en déterminer l’impact financier avec précision. Tout doit être minutieusement calculé. Si la marge sur l’offre mobile est plus réduite, il faut savoir ce qu’on fait avant d’attirer le client avec une offre data intéressante.
Un fléchissement d’un demi pour cent du chiffre d’affaires ne suffit pas à décourager un CEO tel que John Porter.
Telenet a un niveau d’endettement élevé. Or, on apprend dès l’école que ce n’est pas très sain, financièrement parlant. Qu’en pense le CFO ?
Un taux d’endettement élevé exige une vigilance toute particulière, c’est vrai. Mais les dettes sont tout simplement une forme de financement. Une société qui investit beaucoup comme Telenet s’endette. A l’instar du particulier qui sollicite un prêt à la banque pour acheter une maison. Il ne va pas attendre 20 ans avant d’avoir le cash nécessaire pour s’offrir la maison de ses rêves. Tant que le flux de trésorerie est stable, pas de problème. C’est pourquoi il est si important de surveiller le flux de trésorerie disponible.
Si le flux de trésorerie opérationnel est élevé, les dettes peuvent être élevées également ?
Le total des dettes de Telenet est quatre fois plus élevé que le flux de trésorerie opérationnel (Ebitda). Il peut être jusqu’à six fois plus élevé que l’Ebitda conformément aux conventions bancaires. Mais calculé d’après les critères des conventions, notre taux d’endettement s’élève à 3,2. Nous sommes donc loin des limites imposées par les conventions. Ce serait risqué. Avec un taux de 3,2 contre 6 autorisé par les banques, le long terme et notre profil diversifié, c’est tout à fait acceptable. Cela permet en outre d’envisager de futures acquisitions.
Vous avez oeuvré pour le refinan-cement de nombreuses dettes de Telenet, ce qui a permis d’abaisser l’intérêt moyen de 7,2 à 3,7 % et d’augmenter la durée moyenne à neuf ans.
Oui, mais nous avons bénéficié du contexte des faibles taux d’intérêt. Ceci dit, le plus important est la réalisation de trésorerie, rendue possible par notre équipe. L’avantage est évident… La plupart des entreprises auraient fait pareil. Par précaution, nous avons couvert toutes nos dettes. L’intérêt est fixe jusqu’à l’échéance, histoire d’éviter une exposition directe aux fluctuations des taux d’intérêt.
Les derniers résultats trimestriels de Telenet étaient plutôt décevants : stagnation du chiffre d’affaires et diminution de moitié des bénéfices nets. D’où une chute des cours en Bourse. Votre blason risque-t-il d’être entaché ?
Non. Les objectifs financiers ont été atteints et l’Ebitda a augmenté de 5 %. Aucun analyste ne doute de la capacité de Telenet à réaliser ses objectifs financiers pour 2018 en ce qui concerne l’Ebitda, les investissements en capitaux et le flux de trésorerie disponible. Ce qui préoccupe le marché et explique la chute du cours est la baisse du chiffre d’affaires d’un demi pour cent. Ce chiffre figure pourtant dans nos prévisions. Mais dans le contexte actuel de durcissement de la réglementation, les analystes s’interrogent sur la poursuite de la croissance. Dans son rapport qu’il vient de rendre à la Commission européenne, le régulateur belge propose de durcir un peu plus la réglementation relative aux connexions internet et à la télévision numérique. La décision du conseil d’administration de ne pas distribuer de dividende joue également. Autant d’incertitudes qui sèment le doute et suscitent des interrogations sur la poursuite de la croissance de Telenet dans le contexte actuel…
Et quelle est la réponse ?
Ce sera un mix de croissance interne et externe. Telenet a le don de se réinventer et d’innover. Il en sera toujours ainsi, j’en suis sûre. Il faut plus qu’un fléchissement du chiffre d’affaires d’un demi pour cent pour décourager un CEO comme John Porter. Il fera tout pour redresser la barre. Telenet générera de nouveaux flux de recettes. L’entreprise peut aussi conforter son assise par des acquisitions, ce qui a déjà été abondamment évoqué dans la presse ( éventuelle reprise de Nethys et Brutélé, Ndlr). Quoi qu’il en soit, un nouveau plan triennal prévoyant la prochaine phase de croissance de Telenet s’avère indispensable.
Pourquoi ?
Sans cela, on travaille le nez dans le guidon, trimestre après trimestre. Les analystes se concentrent sur le court terme et la direction est tentée de prendre des décisions à court terme. Non, il faut une perspective et une stratégie à long terme. Pour asseoir sa crédibilité. On peut alors dire : voici ce que nous allons faire. Et si les paramètres financiers préalablement fixés sont systématiquement respectés, on gagne la confiance du marché. Walk the talk ( joindre le geste à la parole, Ndlr) , c’est primordial. Mais bon, le nouveau plan triennal devra être peaufiné par mon successeur…
CFO et CEO doivent être complémentaires. Le CFO joue alors automatiquement son rôle de garde-fou.
Début juillet, vous entrez au service de TUI. Vous aviez envie de changement ?
Non. En fait, je m’apprêtais à entamer un nouveau plan triennal. Je songeais déjà à un nouveau capital markets day pour expliquer nos intentions aux investisseurs. Je me préparais mentalement à surfer sur une nouvelle vague chez Telenet.
Mais TUI vous a fait une offre impossible à refuser…
L’offre est tombée du ciel. Un lunch, quelques entretiens et voilà, il vous faut déjà décider. Le train passe à toute vitesse. A vous de voir si vous voulez le prendre en cours de route ou pas. La décision n’a pas été facile.
Quels ont été les arguments décisifs ?
TUI est un grand groupe performant. Le courant est directement passé avec le CEO Friedrich Joussen, un ancien des télécommunications ( il a dirigé Vodafone Allemagne de 2005 à 2012, Ndlr), une personnalité aussi intéressante que passionnante. Joussen m’a expliqué comment il fait pour nager à contre-courant. TUI a racheté des hôtels, investi dans des bateaux de croisière pour limiter le caractère saisonnier de son activité. Et cela marche. Le client est roi dans ce secteur, un concept qui m’est familier. Il y a de nombreuses analogies avec Telenet. Même le logo de TUI, un smiley, ressemble à celui de Telenet. Je ne me sens pas dépaysée du tout.
TUI Group est beaucoup plus grand que Telenet. Cela ne vous fait pas peur ?
J’avais déjà une certaine expérience de l’international. Avant Telenet, j’ai travaillé pour des multinationales comme Johnson & Johnson et Heineken. Le principal défi est de se familiariser avec un nouveau secteur. Les compteurs sont remis à zéro. Il faut une fois de plus faire ses preuves pour gagner la confiance et acquérir une certaine crédibilité. Les débuts sont toujours difficiles. Ce fut le cas chez Telenet également. Vous changez de fonction du jour au lendemain et ensuite, à vous de faire vos preuves. On attend de vous des décisions importantes alors que vous ne connaissez pas encore le secteur d’activité. Apprendre vite est un must.
Vous n’êtes restée que trois ans chez Heineken. Pourquoi ?
Je devais voyager beaucoup et je ne voulais pas trop m’éloigner de la maison. Je voulais passer plus de temps en famille. L’offre de Telenet tombait à pic en 2013. J’ai ainsi pu passer plus de temps avec mes deux fils ces cinq dernières années. Nos liens se sont resserrés. Aujourd’hui, ce sont eux qui quittent le nid. L’aîné fait des études universitaires à l’étranger et le cadet termine ses humanités dans une école internationale, après quoi il poursuivra aussi sa scolarité à l’étranger. Quand je travaillerai dans le secteur du tourisme, je pourrai leur rendre visite souvent ( sourire).
Avant, je voulais absolument faire carrière dans le business.
Le siège de TUI est à Hanovre. Pas vraiment une destination de rêve pour une expat…
Tout dépend de votre regard. Hanovre est une ville très verte. La ville a peut-être perdu une partie de son âme dans les bombardements de la guerre mais certains quartiers sont encore toujours comme avant. Avec de belles maisons de maître et de nombreux parcs ( enthousiaste) ! Et j’ai décidé de me remettre au jogging…
Vous l’avez mentionné à plusieurs reprises : la collaboration CEO/CFO est fondamentale. Avec quel genre de CEO vous entendez-vous le mieux ?
J’ai eu beaucoup de chance jusqu’à présent. Je me suis toujours bien entendue avec tous les CEO et les managing directors avec lesquels j’ai eu l’occasion de travailler. Certains avaient le sens du détail exacerbé. J’ai dû m’y habituer. Au début, je me disais : j’ai déjà calculé tous ces chiffres, pourquoi les repasser en revue ? Mais avec le recul, je dois avouer que cela m’a beaucoup appris. Je ne peux donc pas dire qu’un profil de CEO me convient plus qu’un autre. Le plus important est d’être complémentaire. Dans ce cas, on joue automatiquement le rôle de garde-fou, le rôle même du CFO.
Comment s’est passée la collaboration avec le patron de Telenet, John Porter ?
John Porter a été un boss fantastisque, un véritable mentor. Un coach aussi. Je m’entendais très bien avec John, j’ai beaucoup appris de lui. C’est formidable de travailler avec une telle personnalité. Nous nous reverrons sans doute souvent. Plusieurs directeurs avec qui j’ai collaboré dans le passé me coachent encore aujourd’hui. Je peux toujours les appeler pour un conseil. C’est formidable, non ? Ils m’ont aidée dans ma carrière. Ils ont parfois pris un risque en me nommant à une fonction supérieure. Tout le monde a besoin de ce genre de coup de pouce pour réussir sa carrière : des personnes qui croient en vous et qui vous soutiennent.
Vous n’avez jamais rêvé d’une fonction opérationnelle ?
Avant, oui. ( rires) Avant, je voulais absolument faire carrière dans le business. Chez Johnson & Johnson, je rêvais d’évoluer des finances au poste de managing director. Avec le recul, je suis heureuse de ne pas l’avoir fait. Il vaut mieux passer pour un oiseau rare dans les finances. Je n’aurais peut-être pas été à la hauteur, je ne sais pas, je n’ai jamais essayé… J’aurais peut-être lamentablement échoué. Qui sait ?
Profil
– Née en 1965 à Anvers.
– A obtenu un Master of Science in Business Economics à l’université de Tilburg aux Pays-Bas et un MBA à l’University of Chicago Booth School of Business aux Etats-Unis.
– A commencé sa carrière chez Reed-Elsevier puis chez Tenneco.
– A assumé de 1993 à 2011 plusieurs hautes fonctions internationales chez Johnson & Johnson (et la filiale Janssen Pharma) dans les domaines de la finance, de la stratégie et des business operations.
– 2011-2013 : directrice financière régionale pour la branche ouest-européenne de Heineken.
– D’octobre 2013 à juin 2018 : CFO de Telenet.
– A partir de juillet 2018 : CFO du géant du tourisme allemand TUI Group.
Après Karen van Griensven de Melexis en 2014, Birgit Conix est la deuxième femme lauréate depuis la création du titre de CFO of the Year en 2011. La profession ne se féminise pas pour autant, d’après elle. ” Franchement, je ne connais pas beaucoup de femmes CFO, avoue Brigit Conix. Elles se comptent sur les doigts de la main. Elles sont peut-être plus nombreuses qu’avant mais ce n’est pas difficile : il n’y en avait pas du tout, avant. Donc, pour ce que j’en pense, de fait, il n’y a pas assez de femmes CFO. Pour vous dire, je ne remarque même plus que je suis la seule femme en réunion. Tout simplement car c’est presque toujours le cas. Alors qu’un homme seul dans une salle de réunion avec des femmes se dirait probablement : hé, je suis le seul homme ici… “
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