Bellot: “Je n’ai pas de bazooka pour dire à Bruxelles et à la Flandre qu’elles agissent mal”

François Bellot. © BELGAIMAGE

Près d’un an après son arrivée, le ministre fédéral de la Mobilité cherche à rétablir les relations (jusque-là chaotiques) entre les Régions et le fédéral sur des dossiers aussi épineux que celui du ferroviaire, du RER, ou de la question des survols de Bruxelles. “Ce sera le succès de tout le monde ou l’échec de tous”, nous explique-t-il.

En tant qu’ingénieur, François Bellot a appris à gérer des dossiers compliqués. Il a également été formé à les affronter à la prestigieuse Ena (l’Ecole nationale d’administration) française, d’où sortent les hauts fonctionnaires de l’Hexagone. Cette formation l’a mené à faire un stage au service de recherche de la SNCF, sur le thème du TGV en Europe. “L’Ena donne une structure mentale pour les problèmes complexes”, explique-t-il. Et, en la matière, François Bellot est servi…

FRANÇOIS BELLOT. Oui, si cela se mesure en termes de nombre de questions parlementaires. Je bats tous les records : huit questions par jour ! Les réponses sont préparées par l’administration, nous estimons qu’il y a 10 personnes qui s’y consacrent.

Question presque philosophique : on a l’impression que les dossiers avancent très lentement, dans le domaine des trains comme dans celui des survols de Bruxelles. Les contrats de gestion avec Infrabel et la SNCB sont arrivés à échéance en 2012, les nouveaux sont toujours en négociation. Pourquoi ces retards énormes ?

Il faut 12 à 20 mois pour négocier un contrat de gestion pour le ferroviaire. Cela revient à dire que le contrat à expiration en 2012 aurait dû être préparé dès 2010. Cela n’a pas été fait. Je dois donc tout faire en même temps : le contrat de gestion, le plan d’entreprise qui en découle, le plan de transport (offre de train), et aussi nommer une nouvelle patronne pour la SNCB (Sophie Dutordoir, Ndlr). Je ne vais pas répondre pour les gouvernements précédents. Beaucoup de ministres jouaient la montre, ils avançaient un peu et passaient le dossier au suivant. Ici, le sujet important est que c’est un contrat de gestion qui prépare les chemins de fer à la libéralisation du transport de passagers intérieur en 2023.

Qu’est-ce qui attend la SNCB avec la libéralisation de 2023 ?

Les gens ne savent pas si le bus, le rail, les routes sont fédéraux ou régionaux, ils veulent des solutions”

Le projet initial de directive prévoyait une libéralisation complète du rail intérieur en 2019, comme c’est déjà le cas pour l’international. Quatre Etats, parmis lesquels la Belgique – dont le gouvernement est parfois qualifié d’anti-service public – ont obtenu que l’entreprise ferroviaire historique puisse continuer à rester l’opérateur de service public. La Commission a mis une condition : que l’on démontre que les performances ont été améliorées. Or, si l’on examine les comparaisons internationales, notamment celle faite dans la revue Regards économiques(1), ou encore celle de l’Agence de l’Union européenne pour les chemins de fer de Valenciennes, la Belgique ne se classe pas dans les 30 meilleurs pour cent.

Cela veut dire que l’on subsidie trop les chemins de fer par rapport à d’autres réseaux ?

Oui, si l’on calcule la part des subsides par km/voyageur, on compte jusqu’au double de ce qui se fait dans d’autres réseaux (” Regards économiques ” indique que les subsides représentent 61 % des recettes des chemins de fer belges vs 35 % en Autriche ou 45 % au Danemark, Ndlr). Quand je rencontre des syndicats, qu’ils parlent des gains de productivité, je leur dis : ne jouez pas avec votre bonheur, n’oubliez pas que nos critères seront évalués en 2023. S’ils ne sont pas bons…

…ce sera la faillite, comme l’a dit Jo Cornu dans une interview ?

Non, mais le scenario où les services de transport seraient réalisés par des sociétés extérieures – pas forcément privées – sera une réalité. Cela mettrait le groupe SNCB à mal.

La Région bruxelloise envisage justement de lancer à long terme son transporteur ferroviaire…

Ce n’est pas si simple : pour exploiter un réseaux ferré il faut une licence, remplir des conditions, disposer de matériel homologué, avoir du personnel certifié. En plus, le rail est trop peu utilisé par les Bruxellois. A peine 3 % d’entre eux prennent le train ! C’est trop peu. A Bruxelles, il y a pourtant 62 km de liaisons ferroviaires, 33 gares auxquelles on peut ajouter 101 gares dans la périphérie, 25 km de métro, 32 km même, en comptant le prémétro.

Cela nous mène au RER. Beaucoup de gens croient qu’il va arriver alors qu’il est déjà là, avec les trains S qui ont été lancés l’an passé. Comment améliorer la perception ?

Oui, beaucoup de gens ignorent que l’offre s’est améliorée, avec l’offre S, soit 12 lignes de train qui irriguent la large zone de Bruxelles. Un député-bourgmestre du Brabant wallon se plaignait qu’il mettait 1h30 pour arriver à Bruxelles, je lui ai dit qu’en 30 minutes il pouvait y arriver en train. J’ai des connaissances à Waterloo qui ne veulent plus aller en voiture à Bruxelles, ça met jusqu’à 1h50, alors qu’il y a un train qui fait le trajet en 30 minutes toutes les demi-heures. Depuis le début de l’année, 83 gares sont connectées à l’aéroport de Bruxelles. Tout cela n’est pas encore assez connu. Dans le journal Le Soir, j’ai lu une carte blanche d’un utilisateur des trains S qui se désolait du peu de voyageurs sur ces lignes, pourtant très efficaces. Je le rappelle : seuls 3 % des Bruxellois prennent le train, contre 22 % des habitants de la périphérie.

La Cour des comptes a publié un rapport très critique sur le RER, notamment parce qu’il n’y pas de coordination entre les réseaux régionaux de transports et la SNCB…

Profil

Né en 1954 à Jemelle, François Bellot est ingénieur civil (ULG, 1977), ingénieur commercial (UCL, 1981), diplômé en sciences politiques et administratives (UCL, 1983). Il a aussi fait l’Ena à Paris (Ecole nationale d’administration), promotion Montaigne (86-88).

Du privé au public. Il a débuté dans une entreprise, à la Socol SA, et a poursuivi dans le public, à l’administration de la Région wallonne, comme ingénieur en chef, directeur administration des transports (de 91 à 96).

Sa carrière politique débute à Rochefort. Il devient bourgmestre (libéral) en 1998. Député fédéral de 2000 à 2010, sénateur ensuite jusqu’en 2014. Député wallon de 2014 à 2016. Avant de succéder à Jacqueline Galant au poste de ministre fédéral de la Mobilité le 18 avril 2016.

Exact, le RER ce n’est pas seulement le train, mais quatre réseaux : la SNCB, De Lijn, la STIB, la TEC. On l’oublie souvent ! On pense que le train doit tout résoudre, mais le projet RER ne peut marcher que si les sociétés de transports s’associent. Le train ne fait qu’une partie du travail, un peu comme les fleuves et les rivières. Le train c’est le fleuve, les transporteurs régionaux, les rivières. Avant même de prendre connaissance du rapport de la Cour des comptes, j’avais réactivé le comité exécutif des ministres de la Mobilité (Cemm), avec les quatre ministres en charge de cette compétence en Belgique, au fédéral et dans les Régions. Ce comité avait été institué vers 2002-2003 dans l’accord de coopération pour développer le RER, mais ne s’est quasiment jamais réuni. Il devait aussi y avoir un comité de pilotage, qui devait faire le suivi budgétaire, de l’exécution du réseau ferré, établir une billetterie intégrée, des accords tarifaires, gérer la communication. Rien n’a été fait, sauf peut-être la carte Mobib, utilisée partout, mais je ne suis même pas sûr qu’elle faisait partie des sujets de ces comités.

C’est une relance de la collaboration entre le fédéral et les Régions ?

Après les réformes institutionnelles des années 1980, qui ont régionalisé la mobilité, sauf le rail, chacun est rentré dans sa région en se disant : ” Je suis compétent pour les autoroutes et les transports publics, le fédéral n’a plus rien à voir avec moi et inversement.” Résultat, avec une demande de mobilité qui augmente de 2 % par an et le rail qui a accueilli 70 % de voyageurs en plus en 15 ans, tous les réseaux sont à saturation. Bruxelles est la huitième ville la plus embouteillée de l’OCDE. Les Régions doivent poursuivre avec le fédéral une dynamique de concertation pour mieux coordonner l’offre. Les gens ne se soucient pas de savoir si le bus, le rail, les routes sont des compétences fédérales ou régionales, ils veulent des solutions. ils ont raison de dire : ” On attend une qualité de service, peu importe qui est derrière tout ça.” J’ai expliqué cela à mes collègues des Régions. La Belgique est une lasagne institutionnelle, on n’a pas pris les mesures nécessaires au moment où il aurait fallu les prendre. Pendant ce temps, les Pays-Bas ont réduit leurs bouchons de 47 % en sept ans.

La concertation autour du RER est relancée, mais comment mieux faire connaître l’offre de transport ?

Une bonne approche est de développer un système de route planner, un service digital qui vous dit quels sont les meilleurs transports ou combinaison de transports pour aller du point A au point B. C’est l’un des services étudiés par un comité de pilotage ITS (Intelligent Transport System).

Google Maps propose déjà ce service, il calcule les meilleurs trajets en combinant trains, trams ou bus.

Il ne travaille pas sur des données en temps réel, uniquement sur les horaires théoriques. Il n’est pas encore complet. En mars 2015, une loi a été votée au fédéral pour l’open data, qui impose aux entreprises publiques et parapubliques de communiquer leurs données en temps réel pour les transports en commun.

Qui proposerait ce ” route planner ” ? Un acteur public ?

Il y aura sans doute plusieurs services en concurrence.

Pour revenir à la SNCB, Jo Cornu est parti à mi-mandat, Sophie Dutordoir le remplace. Quel bilan tirez-vous des années Cornu ?

Jo Cornu est arrivé en 2013, à un tournant pour la SNCB, qu’il a préparée à la libéralisation de 2023. Il a passé la plus grosse commande jamais vue, les rames à double étages M7, 3,3 milliards d’euros, et modernisé le marketing et les ventes. Il a fait progresser la productivité. Il a aussi amélioré la ponctualité de 85 % à 90 %, mais les vraies solutions ne sont pas encore en l’oeuvre. Il a ainsi analysé que 25 % des premiers trains partaient déjà avec un retard dès le matin. Il s’est aussi interrogé sur la raison pour laquelle 20 % du matériel était indisponible de manière permanente.

Et qu’attendez-vous de Sophie Dutordoir ?

Qu’elle fasse évoluer la gouvernance et la culture d’entreprise. Cela figurait dans la description de la fonction. Les compétences individuelles des cheminots sont de qualité, mais l’organisation de l’entreprise n’est pas adéquate. Si l’on compare la SNCB à Proximus ou à bpost, deux autres entreprises qui étaient voici 30 ans des départements publics, dépendant du même ministre, on voit le chemin parcouru. On constate que la SNCB a encore une belle marge de progression. Le mode de gouvernance de la SNCB est très complexe, il dilue les prises de décision. Cette approche ne convient plus, il faut davantage donner la priorité aux voyageurs.

Côté subsides, vous avez réduit les montants pour la SNCB et Infrabel, comment améliorer l’offre dans ces circonstances ?

De 2015 à 2019, la dotation totale pour la SNCB et Infrabel a été réduite de 1,2 milliard d’euros. Elle passe de 14,8 milliards d’euros à 13,6 milliards. Grâce à la hausse de la productivité, l’offre de trains va malgré tout encore augmenter de 5 % en décembre prochain, une croissance jamais atteinte ces 20 dernières années. A côté de cela, le gouvernement a décidé de venir avec 1 milliard d’euros supplémentaire, pour terminer divers projets, dont celui du RER. Donc, si vous faites le calcul : 1,2 milliard d’euros de dotation en moins sur cinq ans, et 1 milliard d’effort en plus pour les investissements, vous voyez l’effet réel.

Sur le dossier aérien, des routes de décollage de Brussels Airport, vous aviez en septembre 2016 promis des solutions dans les quatre mois. Mais rien n’est encore annoncé, et la Région bruxelloise veut appliquer des amendes. Où en êtes-vous ?

Le Voka, Beci, l’UWE et la FEB se sont réunis et n’ont pas pu se mettre d’accord sur une vision commune sur l’aéroport.

Je n’ai pas promis une solution en quatre mois, mais une méthode. Je n’ai pas la prétention de sortir en quatre mois ce qui n’a pas été possible de réaliser en 40 ans. J’ai essayé de comprendre pourquoi mes prédécesseurs n’avaient pas trouvé de solution. Et pourquoi chaque fois qu’ils sortaient une décision, la situation s’est envenimée. J’ai donc rencontré tous les acteurs du dossier : bourgmestres, députés, ministres régionaux, acteurs aéroportuaires, syndicats, associations de riverains. Puis j’ai analysé le dossier pour avoir une approche cohérente et systématique, j’ai beaucoup appliqué ça en tant qu’ingénieur, en construisant un arbre des causes. Il y a huit éléments principaux : le juridique, l’environnement, les riverains, le socio-économique, les questions techniques et opérationnelles, politiques et institutionnelles. La stratégie consiste à apporter une réponse à chaque niveau, en apportant une série de changements qui vont globalement améliorer le vécu des gens en garantissant un avenir à l’aéroport. Si hier ça ne marchait pas, c’est que les décisions ne portaient que sur un ou deux éléments. Ici, il y a des propositions sur la table et des groupes de travail qui se réunissent. Pour que ça marche, il faut que tous les partis régionaux et fédéraux adhèrent aux solutions.

Quelles propositions ?

Beaucoup sont formulées, toutes sont étudiées. La Région bruxelloise a par exemple demandé de fixer les normes de vent, de ne plus utiliser la route du canal, d’interdire le virage à gauche de 6 h à 7 h du matin (qui survole Woluwe-Saint-Pierre et Woluwe-Saint-Lambert, Ndlr). L’objectif est d’arriver à une solution structurelle et équitable qui combinera une série de mesures.

Ce qui bloque, c’est que personne ne veut d’avion au-dessus de chez lui, et que chacun utilise son influence pour l’éviter…

Oui, et à aucun niveau de pouvoir, il n’y a de consensus sur la solution. Je vous fait remarquer que dans les gouvernements flamand et bruxellois, qui s’opposent frontalement sur ce dossier, il y a deux partis communs. Mais qu’il n’y a pas de synthèse entre eux. Le patronat non plus n’est pas parvenu à émettre un avis commun. Idem chez les syndicats. Ils ont défilé dans Bruxelles : la FGTB et la CSC-ACV étaient présents, mais pas la CNE. Même chose chez les opérateurs aériens et les associations de riverains. Nous analysons, comparons. Ainsi on nous dit que la Belgique est la seule à organiser des vols la nuit. Mais non : à Schiphol Amsterdam, il y a 480.000 mouvements d’avions, dont 32.000 la nuit, contre 16.000 à Bruxelles.

Fin avril, le suspension de l’arrêté anti-bruit bruxellois prendra fin, les amendes pourraient donc être infligées. Que va-t-il se passer, vous espérer un accord d’ici là ?

Il se passera ce que les gouvernements décideront ! Nous sommes dans un Etat fédéral, les compétences ont été transférées aux Régions. Je ne remets pas en cause les normes de bruit prises par la Région bruxelloise, pas plus qu’ailleurs. Le gouvernement fédéral n’est pas au-dessus des Régions. Chacun devra prendre ses responsabilités.

En conclusion, vous êtes plutôt une sorte de ” casque bleu ” dans cette affaire ?

J’essaie de trouver des solutions par une accumulation d’améliorations possibles. Par la concertation si possible. Si chacun campe sur ses positions, je n’ai pas de bazooka ni la moindre autorité pour aller dire à Bruxelles et à la Flandre qu’elles agissent mal. Je respecte l’autonomie des Régions, je suis loyal. A un moment donné, dans le pays, on a voulu une répartition des compétences, il faut l’assumer tous ensemble. Ce sera le succès de tout le monde ou l’échec de tous.

Comme ministre fédéral, vous avez au moins la compétence sur le choix des routes aériennes !

Même pas. Depuis le règlement 598/2014, on ne peut plus rien changer sans concertation. Quand cela entraîne des restrictions de vols, il faut une étude socio-économique, une étude d’incidence, une enquête publique, puis l’établissement d’une route nouvelle par une autorité indépendante. J’ai proposé du reste d’établir une autorité indépendante faite d’experts étrangers reconnus, sans liens locaux, qui choisiraient les routes en fonction de critères retenus en aéronautique. Cela impliquait l’engagement des politiques de respecter les décisions prises, comme pour un arbitrage. Je n’ai pas eu de réponse.

(1) Axel Gautier et Iman Salem, “La SNCB : prête pour la libéralisation totale du rail ?”, décembre 2016, www.regards-economiques.be

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