Baudouin Meunier, un homme de solutions: il publie un guide pratique du management public et non-marchand
Cet économiste a connu de l’intérieur la transformation des vieilles machines bureaucratiques qui ont donné Proximus et bpost. Il en tire une série de leçons utiles pour les gestionnaires publics… Et sans doute privés aussi.
Un enseignement dans la queue des classements Pisa, une justice qui bat des records de lenteur, un taux de maladies nosocomiales supérieur à la moyenne des hôpitaux européens… L’économiste Baudouin Meunier (UNamur) est convaincu qu’il n’y a aucune fatalité à cela. Mieux : inverser ces piètres tendances ne nécessiterait pas forcément d’abondants moyens financiers. ” Je suis d’une nature optimiste, confie-t-il. Cette optimisme s’ancre sur deux expériences majeures. J’ai vu de près la transformation d’opérateurs publics historiques qui, en quelques années, sont passés d’organisations très bureaucratiques à des sociétés extrêmement performantes. ”
Quand Baudouin Meunier rejoint Belgacom en 1992 (à quelques jours près, il aurait rejoint la vénérable Régie des télégraphes et téléphones ! ), les délais de raccordement pour une ligne fixe pouvaient atteindre 18 mois à Bruxelles et quatre à six mois en Wallonie. Un ambitieux plan stratégique sur cinq ans a permis de ramener ce délai à… cinq jours. L’entreprise a retrouvé de la crédibilité et des moyens, comme ce fut le cas quelques années plus tard chez bpost que Baudouin Meunier a rejoint en 2002. ” Ces deux sociétés étaient considérées comme des oiseaux pour le chat, en l’occurrence un chat hollandais, raconte-t-il. Une décennie plus tard, la situation s’était inversée et les Belges étaient prêts à racheter les sociétés néerlandaises. Les opérations ont échoué, nos voisins bataves n’acceptant pas facilement de passer sous pavillon belge. ” Il puise dans cette double expérience la matrice d’une réflexion sur la manière de gérer et de moderniser les administrations publiques et, plus largement, le secteur non marchand. Il la développe dans un ouvrage, émaillé d’exemples et suggestions très concrètes qui vient de paraître aux éditions Anthémis.
Appuyez-vous sur les 20% les plus motivés
Intérêt évident de ce livre : l’auteur ne se retranche jamais derrière les difficultés institutionnelles, statutaires, syndicales ou autres pour abandonner les projets de transformation radicale de nos administrations et services publics. Il tient, par exemple, en très haute estime le Pacte pour un enseignement d’excellence, à la fois pour son contenu et pour la manière dont il a été conçu, même si les dispositions sont parfois accueillies fraîchement sur le terrain. ” A la Poste et chez Belgacom, c’était aussi des agents de l’Etat indéboulonnables, avec des salaires fixes quels que soient les résultats… et pourtant, le paquebot a bougé “, dit-il.
Schématiquement, dans une grande organisation, vous avez 20% de gens très ouverts à la modernisation.Le défi, c’est de mobiliser dès le départ ces 20% prêts à bouger.
Schématiquement, dans une grande organisation, vous avez 20% de gens très ouverts à la modernisation, 20% de conservateurs qui freineront toute évolution et le reste en observation. ” Le défi, c’est de mobiliser dès le départ les 20% prêts à bouger, résume Baudouin Meunier. Avec des succès rapides sur des éléments mesurables, vous parviendrez petit à petit à faire passer l’idée de récompenses, ou à l’inverse de sanctions, liées à des performances à atteindre. ” La récompense peut même être générale, avec un refinancement des institutions libéré au fur et à mesure de la progression des indicateurs. Le tout est évidemment de bien choisir ces indicateurs, qu’ils soient pertinents et acceptés par tous. ” Chaque mesure d’évaluation est imparfaite, précise Baudouin Meunier. C’est la combinaison des indicateurs qui donnera une image utile. ”
La nécessité des indicateurs de résultats
La recette miracle n’existe pas, et ce n’est sans doute pas plus mal ainsi. Il existe toutefois une série d’ingrédients incontournables pour parvenir à faire évoluer ces grandes et lourdes structures. Baudouin Meunier insiste en particulier sur le choix d’indicateurs chiffrés. Pas pour qu’ils deviennent une religion exclusive mais pour baliser le chemin et montrer ” les progrès tangibles “. Il résume cela d’une formule anglo-saxonne : ” what you don’t measure, you can’t get “.
Il a expérimenté cette vision lors de la création de téléboutiques de Proximus avec des primes selon la satisfaction des clients et la marge brute dégagée dans chaque boutique, ou lors de fusions hospitalières au CHU de Namur avec, cette fois, le taux de réadmission comme indicateur. Sa conclusion est limpide : à partir du moment où les objectifs sont clairs et partagés par tous, les gens se prennent au jeu. ” Les tableaux de résultats sont publiés et chaque équipe a envie de progresser mois après mois, explique Baudouin Meunier. Le plus important, ce n’est pas le bonus lié à la progression mais la réflexion de chacun sur sa performance et les manières de l’améliorer. Leur fierté est en jeu. ” Précision : les bonus financiers étaient prévus par équipe et non par individu.
Le principe peut, poursuit-il, être décliné dans d’autres services publics en prenant comme indicateur la diminution du temps moyen de traitement d’un dossier judiciaire, la baisse du taux de récidive (” 60%, c’est quand même interpellant ! “), l’amélioration du classement Pisa des écoles francophones ou l’augmentation du pourcentage d’élèves se déclarant heureux d’aller à l’école (deux critères repris dans le pacte pour un enseignement d’excellence). Encore faut-il faire accepter ce principe. Baudouin Meunier l’a constaté au fil de son parcours professionnel et académique, la notion même de ” performance ” crispe une partie des acteurs de l’économie non marchande qui la juge ” inconciliable ” avec les valeurs de l’école, de la justice ou des soins aux personnes. ” En croyant ainsi défendre leurs organisations, ces groupes risquent en réalité de les rendre plus fragiles parce qu’elles perdent de leur crédibilité dans les critiques souvent justifiées sur les résultats qu’elles n’atteignent pas assez “, écrit-il. En d’autres termes, plus les services publics seront efficaces, moins les plus nantis chercheront à les privatiser, à les faire entrer complètement dans la sphère marchande.
Le rôle décisif du patron
L’une des explications aux mutations réussies de la Poste et de la RTT, c’est la présence aux manettes d’un leader charismatique (Bessel Kok puis John Goossens dans la téléphonie, Johnny Thijs pour le service postal). ” Nous avons probablement été conditionnés à sous-estimer l’impact d’une seule personne dans la réussite d’un projet ou d’une organisation, écrit Baudouin Meunier. On nous a enseigné que l’environnement social et économique est déterminant, que les individus comptent moins que les forces en présence. (…) Une entreprise réussit ou échoue d’abord à cause de son patron. ” Le choix de celle ou celui-ci, souvent ramené à des bras-de-fer politiciens, sera donc prépondérant. Ces perles rares méritent sans doute une rémunération à la hauteur des défis, sans excès bien entendu. ” L’octroi de bonus doit être basé sur des performances à long terme et si possible pas uniquement des performances financières, ajoute notre interlocuteur. Si les bonus sont liés aussi à la qualité du service, au temps d’absentéisme et à l’impact environnemental, les décisions du comité de direction sont lues autrement que si les dirigeants doivent répondre uniquement à des objectifs financiers. ”
L’une des caractéristiques de l’économie non marchande, c’est que les clients n’en paient pas le prix : votre trajet coûte bien plus à la SNCB que le prix de votre billet, le minerval universitaire ne couvre qu’environ 10% du coût des études, les patients paient directement moins de 20% des frais hospitaliers. Dans ce dernier cas toutefois, vous recevez une facture détaillant tous les postes, y compris la prise en charge par la sécurité sociale. ” Il serait très utile d’imposer cette pratique dans tous les cas de consommation de services non marchands, estime Baudouin Meunier. Chacun dispose ainsi d’une occasion d’expérimenter de manière très concrète un effet positif des prélèvements de l’Etat. L’image du non-marchand s’en trouverait magnifiée car ce prix complet donnerait une meilleure idée de la valeur des services et, indirectement, de ceux qui les prestent. De plus, cette information diminuerait peut-être l’usage parfois abusif de ces services. ”
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