Bas coûts et pénurie organisée: recette à succès pour une paire de baskets

Les consommateurs se les arrachent en magasin, les influenceurs les affichent sur les réseaux sociaux, des internautes spéculent dessus en tentant de les revendre au prix fort: les baskets de Lidl font le buzz dans toute l’Europe, reflétant une tendance récurrente à l’appropriation des codes de la rue.

Début juillet, 2.000 paires de ces sneakers colorées à moins de 15 euros s’écoulent en quelques heures sur la boutique en ligne belge de l’enseigne hard-discount. Quelques jours plus tard, certaines seront proposées à la revente sur internet pour des centaines d’euros. Le même phénomène s’était produit auparavant en Allemagne, pays d’origine de la chaîne, et se répète en Italie dans les magasins du groupe à la mi-novembre.

Juste après Noël, c’est au tour de la France. “Arrivé à 08H30, à 08H33 en rupture, c’était la guerre à Lidl“, raconte le 27 décembre un internaute sur Twitter, accompagné d’une photo de son butin: plusieurs paires de baskets et de tongs.

Un autre évoque son père, qui “n’a pas compris le délire d’acheter une sandale de chez Lidl” mais est quand même “allé à la première heure ce dimanche” lui en procurer une paire.

Même le rappeur français Booba dit en avoir commandé.

Ce “délire”, le directeur exécutif achats et marketing de Lidl France, Michel Biero, assure ne l’avoir pas vu venir. Les commandes de produits de l’enseigne se font normalement un an à l’avance, il a “passé son chemin” sur les baskets en juin 2019, pensant que des chaussures Lidl, il n’allait “jamais en vendre”, expliquait-il en septembre à l’AFP.

Une centaine de paires sont quand même achetées, pour les envoyer aux influenceurs. Parmi eux, l’ex-joueur de football Djibril Cissé, qui publie ensuite sur Instagram “un énorme merci” à l’enseigne “où maman faisait les courses”.

Bas coûts et pénurie organisée: recette à succès pour une paire de baskets
© LIDL

Mais une fois les baskets devenues virales, Michel Biero en commande “quelques dizaines de milliers”… mais pas plus: il faut conserver une rareté qui attire les consommateurs, et que l’enseigne cultive depuis des années.

“Ce qui fait vraiment l’attractivité de Lidl, ce sont les objets qualitatifs non-alimentaires vendus pas chers et en stock limité”, analyse pour l’AFP Pascale Hébel, directrice du pôle consommation du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc). Avec à la clé des cohues médiatisées pour mettre la main sur un robot-cuiseur ou une console de jeux vidéo à prix cassé.

“Attirer les jeunes”

“Avec le textile, ils arrivent sur un créneau qui va attirer les jeunes” consommateurs jusqu’ici peu présents parmi la clientèle de Lidl, relève Pascale Hébel.

Cela s’intègre à un revirement de stratégie ces dernières années du groupe allemand, qui aimerait changer son image de marque.

Les magasins ont été réaménagés pour moins ressembler à de grands entrepôts, et des influenceurs sont associés à la promotion des produits, notamment des personnalités issues de milieux populaires qui revendiquent via Lidl leur appartenance à un groupe social.

Mais une stratégie marketing peut-elle expliquer un tel engouement pour des baskets?

“Par définition tout ce qui est +hype+ (en vogue, ndlr) transcende le rationnel”, répond à l’AFP Yves Marin, expert du secteur de la distribution dans le cabinet de conseil Bartle. Il est récurrent de voir “des choses tirées de la rue ou du discount dans des mouvements de mode”.

Une tendance “insultante”, rétorque Célia Sadai: “J’ai l’impression que les pauvres sont à la mode”, déplore auprès de l’AFP cette critique littéraire et journaliste pour Africultures, un média dédié aux cultures africaines et à leur diaspora.

“Il y a une appropriation des codes et du patrimoine culturel des pauvres par les riches, sans une compréhension totale du vécu et de l’héritage associés à ces codes culturels”, poursuit-elle, citant d’autres exemples comme le +street art+, le verlan ou le langage “wesh wesh” prisé des adolescents.

Dans le cas des baskets Lidl, Pascale Hébel voit aussi une volonté de s’afficher “à contre-courant de la mode classique et des grandes marques” sur un objet “emblématique“.

Mais l’appropriation des “codes de la rue” existe depuis des décennies, rappelle Yves Marin. Et de citer l’exemple de l’enseigne populaire Tati, dont les classes bourgeoises arpentent aussi les rayons en quête de bonnes affaires et par “désir de s’encanailler”.

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