Axel Smits, CEO de PWC Belgique: “Miser sur le développement durable signifie planifier sur le long terme”

© pg / Benjamin Brolet

Expérimentation du travail hybride, recherche de la neutralité climatique, attention portée à la diversité et à l’inclusion, double approvisionnement: Axel Smits est aux premières loges pour assister à la conversion des entreprises en entités plus durables.

Nous sommes au lendemain de l’ouverture officielle du nouveau siège de PwC Belgium, à Diegem. Le cabinet de conseil emploie 2.400 personnes en Belgique. Dans les couloirs, Axel Smits salue les nombreux jeunes employés d’ores et déjà installés dans leurs nouveaux bureaux, à l’aménagement confortable et chaleureux. Situé à proximité de l’aéroport de Zaventem, l’immeuble, dont l’éclairage est parfois porteur de messages, ne passe pas inaperçu quand il fait sombre. “A l’occasion de la Journée mondiale de l’Environnement, tout le bâtiment était éclairé en vert et au mois de juin, lors du Mois des Fiertés LGBTQ, il s’est affiché aux couleurs de l’arc-en-ciel”, sourit Axel Smits.

Ce n’est pas un hasard si l’homme s’en réfère à ces exemples. PwC collabore depuis cette année avec MolenGeek, un écosystème technologique qui forme à l’informatique des jeunes défavorisés issus de l’immigration ; il est également impliqué dans The Belgian Alliance for Climate Action et partenaire de la première édition du Trends Impact Awards. Avec ses terrasses verdoyantes, ses matériaux écologiques et ses nombreuses bornes de chargement, le bâtiment énergétiquement neutre et centré sur l’humain souligne l’engagement de PwC au profit de la soutenabilité. “Nous réduisons nos émissions, poursuit Axel Smits. Nous tablons sur les voitures de société non polluantes. Pour les trajets inférieurs à 300 km, nous délaissons l’avion au profit du train. Vous trouverez peu de matières plastiques dans cet immeuble et les 15 millions de feuilles de papier que nous imprimions il y a quelques années encore en Belgique sont réduites à presque rien. Enfin, nous avons la ferme intention de recenser d’ici à 2030 entre 30 et 40% de partenaires féminines et de partenaires venant d’autres horizons.”

Si nous ne faisons rien, nous irons bientôt tous demander à Elon Musk de nous emmener sur Mars.

TRENDS-TENDANCES. A titre personnel, qu’est-ce qui vous motive à investir de façon durable?

AXEL SMITS. J’écoute beaucoup ce que disent les jeunes. J’ai moi-même deux jeunes fils. Je trouve merveilleux qu’ils nous incitent à améliorer le monde même si je pense qu’ils ne sont pas toujours constants et que leur quête n’est pas – pas plus que la nôtre – aboutie. Il n’y a pas de solution toute faite. Il est essentiel de prendre des initiatives sans imaginer que tous les problèmes seront résolus demain. Mais il est évident que si nous ne faisons rien, nous irons bientôt tous demander à Elon Musk de nous emmener sur Mars.

Les inscriptions à cette première édition du Trends Impact Awards se clôturent ce 7 juillet. A partir de là, les consultants de PwC examineront le caractère socialement responsable des organisations sélectionnées. Comment vont-ils s’y prendre?

Au sein des six catégories en lice, nous chercherons les organisations innovantes et créatives, et celles dont le processus sera le plus avancé. Je parle en termes de retombées: on peut évidemment avoir développé quelque chose d’extrêmement créatif mais qui n’a pas d’effets, ou à peine, sur l’entreprise ou à l’extérieur de celle-ci. Il nous faudra également être extrêmement attentifs aux sociétés très performantes dans un domaine mais mauvaises dans un autre. Il existe des entreprises très bien cotées en termes de soutenabilité et pourtant nuisibles à l’environnement: rien, évidemment, ne justifiera de les retenir.

Il est difficile de demander aux entreprises en phase de transition d’être d’emblée à 100% durables. Où placez-vous la limite? Quand une action n’est-elle plus considérée comme du “greenwashing”?

C’est une question difficile. Laissez-moi vous donner un exemple… L’an passé, nous avons défini une politique applicable à nos 2.000 véhicules. Comme nous voulons être climatiquement neutres d’ici à 2030, nous n’allons plus opter que pour des voitures électriques et réduire nos émissions de 20% chaque année. C’est bien, mais pas encore suffisant à nos yeux puisque cela signifie que d’ici là, nous continuerons à émettre des gaz à effet de serre. Nous payons pour compenser les émissions des voitures et des avions, ce qui devient progressivement une forme de greenwashing. Certains membres du personnel se demandent pourquoi nous ne passons pas d’emblée à l’électrique, mais notre centrale ne nous le permet malheureusement pas encore. Le site dispose de 700 places de stationnement mais seules 200 bornes peuvent être installées actuellement.

Les entreprises doivent donc faire quelque chose mais il faut savoir qu’elles ne peuvent pas devenir entièrement durables du jour au lendemain, c’est bien cela?

Je trouve surtout important de se fixer des objectifs réalistes. L’entité qui a défini la manière dont elle entend devenir climatiquement neutre et qui, dans l’intervalle, rachète ses émissions ne me pose pas de problème parce qu’il s’agit d’une mesure transitoire. Tout autre est celle qui continue d’utiliser des voitures polluantes et dont la production génère d’intenses émissions mais qui s’enorgueillit de payer le reboisement. Je crois beaucoup au facteur temps. Je suis convaincu qu’il faut étudier les retombées que l’on a aujourd’hui, celles qu’on veut avoir demain, et le plan, articulé autour de ses diverses étapes, élaboré pour y parvenir.

Quelles questions vos clients vous posent-ils au sujet du développement durable?

Dès qu’on aborde un peu le sujet, les questions fusent. Je suis fiscaliste. Auparavant, certains groupes optimisaient leur fiscalité dans une mesure telle qu’on avait le sentiment que leurs réalités économique et fiscale n’évoluaient pas en parallèle. Aujourd’hui, la multinationale qui n’emploie en Irlande que cinq personnes mais qui y déclare 90% de ses bénéfices doit avoir de solides arguments à faire valoir. La solution consiste à partir de la réalité économique et à voir où se situe la valeur ajoutée: au niveau de la production, de la vente, de la propriété intellectuelle… Quand on procède de cette façon, la fiscalité dérive vraiment de la réalité économique.

Il existe des sociétés très bien cotées en termes de soutenabilité et pourtant nuisibles à l’environnement.

Où en sont les entreprises?

Elles raccourcissent leurs chaînes d’approvisionnement et régionalisent à la fois pour des raisons de développement durable et sanitaires. L’approvisionnement se fait dual: la production reste en Chine mais on s’assure de disposer d’une source locale également. Par ailleurs, tout ce qui a trait à la diversité et à l’inclusion a le vent en poupe. En cause, notamment: la guerre des talents. Dans un cas comme dans l’autre, on voit qu’à la quête de soutenabilité s’ajoute un autre déclencheur (le covid pour les chaînes d’approvisionnement, la guerre des talents pour la diversité). Nombre de mouvements en faveur de la soutenabilité s’accélèrent dès qu’un deuxième élément motivant entre en jeu, ce qui est nécessaire si nous voulons que les comportements évoluent. La transition énergétique, à laquelle l’explosion des prix de l’énergie contribue, est un troisième exemple en ce sens.

A l’ère du travail hybride, comment les organisations gèrent-elles durablement leur personnel? Comment PwC s’y prend-elle?

Nous en sommes encore au stade de l’expérimentation. Je ne pense pas qu’aucune société dispose déjà d’une manière à 100% durable de donner forme au travail hybride. Nous partons du principe que les collaborateurs peuvent travailler d’où ils veulent, quand ils veulent et comme ils veulent. Nous essayons également d’autoriser les gens à travailler brièvement de l’étranger, par exemple juste avant ou juste après leurs vacances. Ceci dit, on pense trop souvent au télétravail comme à une solution miracle. Or, un recours exagéré à cette méthode fait perdre les liens avec l’entreprise et empêche de bien encadrer les jeunes recrues. N’oublions pas non plus qu’il n’est pas facile pour tout le monde de travailler de chez soi.

Apprendre aux gens à faire face aux mutations fait également de meilleurs consultants.

Formez-vous aujourd’hui vos jeunes collaborateurs autrement qu’hier?

La qualité de vie est devenue très importante. Nous avons l’habitude de former notre personnel dans des domaines techniques, dans la gestion d’équipes, dans la constitution de portefeuilles de clientèle, bref, tous ces thèmes très traditionnels. Or, il nous faut désormais aussi leur apprendre à s’épanouir, veiller à ce qu’ils soient physiquement et mentalement aptes à faire face aux bouleversements. Ne pas faire suffisamment de sport et se contenter de pizzas avalées devant son ordinateur, ce n’est pas une façon viable de fonctionner. Nous avons élaboré, avec la collaboration d’Energy Lab et de Better Minds at Work, un programme en 100 jours, praticable par tout le personnel. Il traite de la sédentarité, de l’alimentation, du sommeil, de la respiration, de la résilience mentale. Pour moi, miser sur le développement socialement responsable signifie regarder et planifier sur le long terme. La vie est un marathon, pas un sprint. Nous nous considérons comme une business school, dont la tâche est de permettre aux individus d’appréhender le monde qui les entoure en disposant de davantage d’atouts. Apprendre aux gens à faire face aux mutations fait également de meilleurs consultants. Le principal aspect auquel nos clients sont confrontés est le changement. Et ça, c’est trop souvent sous-estimé.

Axel Smits, CEO de PWC Belgique:

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