Aristote, philosophe des managers?
Est-il préférable d’être un manager habile ou éthique? Si Aristote s’était vraiment intéressé à la vie économique, il aurait certainement pu dire qu’un “bon chef d’entreprise est forcément éthique!” Dans son dernier livre, Pierre d’Elbée, consultant et philosophe français, nous invite à un bond de 25 siècles en arrière… pour faire plus de place au sens et à l’humain dans la vie de l’entreprise.
Pierre d’Elbée se situe à la croisée entre la réflexion et l’action, la philosophie et le management. Docteur en philosophie et consultant en entreprise, le directeur de l’IPHAE (structure qui propose aux managers un coaching fondé sur une approche philosophique) vient de publier le livre Aristote, 10 clés pour repenser le management. Il déteste les recettes toutes faites. Il présente donc cet ouvrage comme une “anti-boîte à outils”.
Sortir du cynisme
“La sagesse aristotélicienne donne des axes permettant de mieux penser et vivre le management, explique-t-il. L’idée de ce livre est d’aller puiser dans le patrimoine d’Aristote une pensée pratique et non spéculative.” Autrement dit, suivre la pensée d’Aristote, c’est passer à la pratique sincère et sortir des bonnes intentions ou d’une spéculation purement marketing. “Je rencontre très souvent l’idée cynique selon laquelle il faut être éthique parce que ça rapporte. Dans certaines entreprises, il y a un tel décalage entre le discours prôné et la réalité que les gens sont complètement schizophrènes.” Avec Aristote, pas question de faire “comme si” on est éthique, mais il faut l’être réellement.
Je rencontre très souvent l’idée cynique selon laquelle il faut être éthique parce que ça rapporte.” pierre d’elbée
Le livre de Pierre d’Elbée connecte une dizaine de concepts de la pensée d’Aristote au monde de l’entreprise, et celui du management en particulier: la faculté d’étonnement, l’amitié, la vision, l’anthropologie, le désir, le bonheur, les émotions, le courage, la justice et la prudence. Avec comme fil d’ariane: l’éthique et la recherche de sens.
“Une entreprise, ce n’est pas faire les choses correctement, mais faire quelque chose de grand, s’exclame Pierre d’Elbée. Pour Aristote, la véritable efficacité d’une entreprise est celle qui non seulement réussit à produire mais parvient aussi à faire en sorte que les gens qui produisent s’accomplissent. Ceux-ci ont besoin de sens, de sentir qu’ils font quelque chose d’utile, pour être heureux dans leur activité professionnelle.”
Réflechir… un luxe?
Mais pour prendre conscience de tout cela, encore faut-il que les collaborateurs et les managers puissent avoir le temps de la réflexion. “Une pensée sans action est stérile. Une action sans pensée est aveugle, affirme Pierre d’Elbée. Il y a un moment où l’expérience de la réussite a besoin qu’on s’arrête. D’abord pour prendre conscience de cette réussite, et puis pour pouvoir comprendre ce qui, à travers ce que l’on vit, nous rend profondément heureux. Car le projet de la philosophie n’est pas de bien penser, mais de bien vivre!” Ce temps de réflexion peut sonner, pour notre monde mobilisé autour de la course à la performance, comme une idée à contre- courant, voire ringarde. “Mais refuser de penser ses pratiques, c’est nier qu’on ait besoin de sens ou affirmer qu’il est purement et simplement impossible de le découvrir.”
Pierre d’Elbée, Aristote, 10 clés pour repenser le management, Editions Mardaga, 224 pages, 19,90 euros.
Liliane Fanello
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