Après des levées de fonds record, les biotechs de retour sur Terre
Les entreprises de biotechnologies ont connu un fort engouement à la faveur de la pandémie, mais elles sont désormais confrontées à la raréfaction de l’argent: une situation susceptible d’attiser l’appétit des gros laboratoires qui les convoitent.
Ces jeunes entreprises centrées sur l’innovation ont commencé à intéresser les “non spécialistes” lorsque l’allemande BioNTech et l’américaine Moderna ont fait les gros titres, fin 2020, avec leurs tout premiers vaccins contre le Covid-19. Prouvant ainsi qu’investir dans une biotech était certes un pari risqué, mais qui pouvait rapporter gros.
L’épisode de la pandémie “a mis l’accent sur des technologies qui avaient été plus ou moins dénigrées par la plupart des grands acteurs, comme l’ARN messager”, explique à l’AFP Frédéric Thomas, spécialiste des questions de santé au cabinet de conseil Roland Berger.
Profitant de cet enthousiasme, les biotechs ont connu trois belles années, avec des levées de fonds importantes. La jeune pousse de Marseille (sud de la France) Imcheck, spécialisée dans l’immuno-oncologie, a par exemple levé quasi 100 millions d’euros en juin, un record jusque-là en France. Au même moment, outre-Atlantique, la start-up en santé National Resilience levait 625 millions de dollars.
Mais les frimas d’un automne de crise inflationniste ont changé la donne: les taux d’intérêt augmentent, les investisseurs sont plus frileux à mesure que l’argent devient plus cher. “C’est plus difficile qu’il y a dix-huit mois. Les valorisations des biotechs en Bourse ont été divisées par deux, parfois plus, les sociétés peuvent donc mécaniquement lever moins d’argent”, note Cédric Moreau, du fonds de capital risque Sofinnova, spécialisé dans les sciences de la vie.
De plus en plus de défaillances
Or les biotechs ont un modèle économique particulier. Durant les années de recherche et développement qui précèdent le lancement d’un produit, elles n’ont rien à vendre et nécessitent donc des financements extérieurs, obtenus notamment en s’introduisant en Bourse, ou en levant des fonds via des tours de table auprès d’investisseurs.
Cette raréfaction de l’argent est donc périlleuse pour ces entreprises. Cédric Moreau rappelle qu’avoir une visibilité financière sur un an pour autofinancer ses activités “est presque un luxe aujourd’hui pour une biotech”.
“Il n’est pas évident de se refinancer si elles n’ont pas atteint des étapes opérationnelles majeures, ou si elles n’ont pas signé d’accord de licences” avec un gros laboratoire, relève-t-il.
“Il y a de plus en plus de défaillances, à raison d’une presque toutes les semaines”, abonde Céline Domenget-Morin, en charge du département entreprises en difficulté au cabinet d’avocats Goodwin.
“Ces sociétés n’ont souvent pas de chiffre d’affaires. Si personne n’est là pour apporter un financement relais en attendant une nouvelle levée de fonds, il n’y a pas d’autre option que de chercher un repreneur, parfois en passant par un redressement judiciaire”, dit-elle.
Les biotechs risquent par ailleurs de devoir se recentrer sur leurs recherches les plus prometteuses, et d’en abandonner d’autres.
La “falaise des brevets”
Les difficultés des uns représentent des opportunités pour d’autres, dont les gros laboratoires, bien dotés en trésorerie pour acquérir de petites pépites.
D’autant qu’ils seront bientôt confrontés à “la falaise des brevets”, à savoir le moment où les brevets (délivrés sur vingt ans) de beaucoup de leurs grands médicaments arrivent à expiration. Ce qui entraîne des pertes en matière de chiffre d’affaires, à mesure que les concurrents fabriquent des génériques, moins chers.
“Les grands laboratoires ont de 300 à 500 milliards de dollars de trésorerie et ils vont perdre jusqu’à 200 milliards avec l’arrivée des génériques ces prochaines années. Ils vont donc devoir acheter et renflouer leurs portefeuilles de molécules”, relève Cédric Moreau, de Sofinnova.
“Il va y avoir des acquisitions”, renchérit Anne-Charlotte Rivière, spécialiste du capital-risque pour Goodwin: “Pas forcément par des gros laboratoires. De grosses biotechs américaines peuvent aussi se positionner sur des sociétés qui développent un seul produit, de manière à diversifier leur portefeuille”.
Un phénomène qui, selon les spécialistes, devrait s’accroître dans les prochains mois.
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