Apple: champion de l’optimisation fiscale ou… victime?

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Le CEO d’Apple, Tim Cook, a réagi à la décision de la Commission européenne, un redressement fiscal d’au moins 13 milliards d’euros, pour avoir bénéficié de faveurs des autorités irlandaises, sous forme de “rulings”. “Nous n’avons jamais demandé ni reçu aucune faveur ” écrit-il dans une lettre ouverte à la communauté Apple en Europe. En ajoutant qu’Apple est ” le plus grand contribuable en Irlande, aux Etats-Unis et dans le monde.” Qui a raison ?

La facture est salée : la Commission européenne invite l’Irlande à réclamer 13 milliards d’euros de taxes impayées à Apple. Elle reproche au fabricant des iPad et iPhone d’avoir quasi totalement éludé l’impôt sur les bénéfices sur les ventes réalisées notamment en Europe grâce à des accords fiscaux généreusement signés par Dublin. Ces accords, ou “rulings”, sont jugés illégaux au regard des règles européennes en matières d’aides d’Etat. Ces accords ouvrent l’accès à des taux inférieurs aux taux déjà très bas des bénéfices en Irlande, 12,5%. Apple et l’Irlande contestent cette décision, qui peut être attaquée devant les juridictions de l’UE.

Le dossier fiscal européen d’Apple pourrait en annoncer d’autres, car la Commission examine aussi les accords fiscaux dont ont pu bénéficier Amazon, Google ou McDonald’s.

Pour mieux comprendre le dossier, nous le déclinons en 6 questions :

  1. 1. Apple paie-t-il vraiment très peu de taxes ?

Non : le taux moyen de taxe des bénéfices d’Apple est de 26,1% globalement, soit 19 milliards de dollars en 2015 sur un total de bénéfice net de 53,4 milliards de dollars. C’est un taux honorable.

La majorité de ces taxes sont payées aux Etats-Unis, très peu en Europe, un marché important (344 millions d’euros ces dix dernières années, selon le Financial Times, hors Irlande). Le conflit porte sur les bénéfices générés par deux filiales irlandaises, Apple Sales International et Apple Operations Europe, dont deux rulings permettent de réduire le taux à un niveau symbolique (1% en 2003 pour Apple Sales International).

La Commission accuse Apple de bénéficier d’accords spécifiques, non accessibles à des concurrents, qui lui donnent un avantage compétitif contraire aux règles de l’UE. Apple répond qu’il n’y a rien d’anormal, que les taxes se paient là où la valeur est créée, surtout aux USA où sont conçus les Iphones, iPads et autres ordinateurs Mac. La compagnie accuse la Commission de vouloir changer ce principe de taxation.

  • 2. La Commission en fait-elle trop ? Peut-elle intervenir dans la fiscalité des sociétés des Etats membres ?

En principe la Commission n’intervient pas dans les taux d’imposition pour les sociétés : l’Irlande peut donc appliquer 12,5% sur les bénéfices alors que la Belgique compte 33,99%. La Commissaire à la concurrence, Margarethe Verstager, s’attaque aux fiscalités nationales des sociétés lorsqu’elle suspecte des accords constituant une aide illicite déformant la libre concurrence au sein de l’UE. Notamment à travers les “rulings”, qui sont des accords discutés avec des sociétés qui donnent à ces dernières une certaine sécurité, visibilité, sur les impôts qu’elles auront à payer dans le futur.

Ces “rulings” ne sont pas en soi interdits, sauf si la Commission estime qu’ils attribuent des avantages assimilables à des aides. La Belgique a déjà fait les frais de cette approche : l’Etat fédéral a été invité à récupérer 700 millions d’euros auprès de 35 sociétés internationales ayant bénéficié de rulings trop généreux.

  • 3. Les Etats peuvent-ils refuser de récupérer les sommes ?

Non. Ils sont embarrassés car ils ne tiennent pas à voir partir les sociétés qui ont bénéficié d’un accord fiscal particulier. Apple rappelle à propos qu’il emploie 6.000 personnes en Irlande. Les Etats peuvent introduire un recours, mais cela ne suspend pas l’obligation de collecter l’impôt que la Commission estime avoir été éludé. Les sommes sont alors déposées sur un compte de garantie bloqué. La Belgique a introduit un recours et l’Irlande va aussi le faire.

  • 4. Les Etats-Unis pourraient-ils faire pression pour renverser ce type de décision ?

Washington est dans une situation paradoxale. Le Trésor américain a mis en garde la Commission européenne dans les semaines qui ont précédé la décision contre Apple. Il estime que ce type de décision pouvait déstabiliser les investissements internationaux en Europe. En fait les Etats-Unis ne sont pas heureux de voir la Commission piocher la première dans le trésor de guerre d’Apple, plus de 200 milliards de dollars de bénéfices produits par les activités hors des USA. Beaucoup de sociétés américaines technologiques et pharmaceutiques évitent de rapatrier ces bénéfices pour ne pas payer la taxe de 35% imposée aux USA. L’argent est placé et réinvesti hors des frontières. Les politiques américains se creusent la tête pour trouver une manière d’en tirer un revenu fiscal. Bruxelles a été plus rapide. Le Congrès américaine y a contribué : il avait mené des auditions sur les méthodes fiscales d’Apple et la Commission y a puisé de précieuses informations sur le mécanisme fiscal irlandais.

  • 5. Comment la Commission a-t-elle calculé la somme de 13 milliards d’euros à payer ?

Elle a appliqué la règle sur la récupération des aides d’état illégales, qui permet de remonter 10 ans avant la première demande de renseignement. Cette dernière date de 2013, donc l’impôt récupéré remonte jusqu’à 2003. Le montant doit être augmenté des intérêts. La durée des avantages dont Apple a bénéficié est nettement plus longue, et remonte à 1991 (premier ruling).

  • 6. L’Irlande est-elle le seul pays qui récupérera les taxes d’Apple ?

La décision de la Commission européenne explique que les autres Etats membres qui estiment que des bénéfices auraient dû être taxés et déclarés chez eux, peuvent aussi lancer une procédure de récupération. Les sommes seront alors déduites des taxes dues à l’Irlande. Notons que les taux étant différents selon les pays, la somme totale à payer par Apple pourrait largement dépasser les 13 milliards d’euros. Plusieurs pays ont lancé des enquêtes fiscales avant la décision de la Commission. L’an dernier, Apple avait accepté de payer 318 millions d’euros d’amende fiscale à l’Italie.

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