Amoobi, la start-up qui étudie votre comportement dans les supermarchés

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Jérémie Lempereur Journaliste Trends-Tendances - retail, distribution, luxe

Travaillant notamment pour Makro, Carrefour, Delhaize ou encore MediaMarkt, l’entreprise belge Amoobi a développé une technologie basée sur des capteurs optiques permettant d’analyser les flux de clients dans les magasins. Alors qu’elle vient de lever un million d’euros, cette ancienne spin-off de l’ULB aimerait ouvrir un bureau aux Etats-Unis.

“L’ouverture par Amazon de son premier magasin sans caisses aux Etats-Unis a constitué pour nous le meilleur marketing, s’amuse le patron d’Amoobi, Olivier Delangre. Il est bourré de capteurs et confirme l’importance de la récolte de données dans les points de vente. ” L’histoire d’Amoobi démarre en 2011. Notre interlocuteur, accompagné de Laurent Gosselin et Fabrice Dossin, imagine alors une solution permettant d’analyser les flux de clients dans les magasins pour permettre aux distributeurs d’optimiser leurs points de vente. ” A l’heure de l’e-commerce, c’est encore plus important, lâche Olivier Delangre. Or aujourd’hui, ce que l’on mesure dans un magasin, ce sont uniquement les ventes. On ne sait rien de ce qui se passe à l’intérieur et pourquoi, par exemple, un client n’achète pas tel produit après s’être arrêté devant. ”

La première solution imaginée par l’équipe d’Amoobi à l’époque fait appel à la géolocalisation des smartphones, des capteurs posés au plafond permettant de détecter les mouvements via Bluetooth. Problème : cette technologie ne permettait pas de localiser les clients avec suffisamment de précision, et limitait donc la qualité des recommandations. Tous les chalands ne disposant pas d’un téléphone portable, cette manière de procéder ne permettait par ailleurs pas d’obtenir un échantillon suffisant. Et puis ce pistage posait bien évidemment la question du respect de la vie privée. ” Il s’agit de données sensibles, reconnaît aujourd’hui Olivier Delangre. Dans le cadre du GDPR (le Règlement général sur la protection des données qui entre en vigueur le 25 mai prochain dans toute l’Union européenne, Ndlr), nous étions dans la zone grise. ”

Olivier Delangre, CEO d'Amoobi.
Olivier Delangre, CEO d’Amoobi.© PG

Anonymat garanti

Les responsables d’Amoobi ont donc décidé il y a deux ans de changer entièrement de technologie. Fini la géolocalisation via smartphone, place aux capteurs optiques 3D. Toujours placés au plafond, ces capteurs qui communiquent entre eux fonctionnent un peu comme la vision humaine. Ils détectent instantanément les clients et suivent leur parcours avec beaucoup plus de précision. Notre interlocuteur l’assure : impossible de reconnaître tel ou tel client. ” Ce qui nous intéresse, c’est la masse, insiste Olivier Delangre. Nous ne sommes pas dans du marketing direct. Nous ne savons pas si tel client est un homme ou une femme, nous ne connaissons pas son identité, et lorsqu’il sort du magasin pour y entrer à nouveau par la suite, c’est comme s’il s’agissait d’un autre client. ”

Quelle peuvent donc être les applications concrètes de cette technologie ? Pour Amoobi, il s’agit de permettre aux distributeurs de gérer le temps d’attente des clients ou de repenser une catégorie de produits. Les responsables de l’entreprise expliquent avoir ainsi permis à une enseigne de diminuer de 80 % le temps d’attente aux caisses. ” Il suffit parfois de rendre l’information visible, assure le CEO. C’est-à-dire de mettre en évidence les flux de clients. Le distributeur peut alors prendre des décisions davantage éclairées quant au nombre de caissières à affecter à tel ou tel moment de la journée, à la manière de baliser les files, etc. A l’heure de l’e-commerce, les chaînes tendent à développer de plus en plus les services en magasin. On a par exemple de plus en plus de boucheries. Nous pouvons fournir des indicateurs permettant de prédire le temps d’attente moyen des clients en fonction de l’affluence. ”

Partenariats fabricants-distributeurs

Mais c’est sans doute dans la gestion de catégories de produits que la technologie développée par Amoobi prend tout son sens. Il s’agit de permettre aux retailers de repenser l’expérience client dans un rayon spécifique sur base d’éléments objectifs. ” Cela peut aussi être intéressant pour les fabricants, relève Olivier Delangre. Nous proposons d’ailleurs des analyses de catégories en partenariat avec les distributeurs et les fabricants. ” Concrètement, quelles recommandations Amoobi peut-il fournir ? ” Un client distributeur nous a par exemple demandé d’analyser une catégorie composée de trois familles de produits, et nous avons pu constater que la plupart des consommateurs passaient directement de la famille A à la famille C, sans passer par la famille B. Ces deux familles étant complémentaires, il était donc plus judicieux pour le distributeur de les rassembler. ”

Les données récoltées sur les parcours des clients sont-elles croisées avec les données des cartes de fidélité ? Olivier Delangre assure que non. ” Nous ne relions pas les données individuelles aux données de vente, indique-t-il. En revanche, nous observons les deux, sans jamais individualiser. Imaginons que sur 100 tickets, 40 contiennent des pâtes. On peut comparer avec le nombre de clients passés au rayon pâtes et ainsi mesurer le taux de conversion. ”

Encore en perte

Amoobi a déjà mené plusieurs projets pour des géants de la distribution comme Makro, Delhaize, Aldi, Carrefour, Asda (Walmart au Royaume-Uni), MediaMarkt, Ikea ou encore Brico. Il réalise 80 % de son chiffre d’affaires dans des enseignes alimentaires et 85 % à l’international, dans une dizaine de pays européens (son premier marché à l’exportation est le Royaume-Uni). En termes de chiffre d’affaires, justement, l’entreprise ne communique pas. L’information n’est pas renseignée dans ses comptes annuels, mais Olivier Delangre l’assure : ” Nous avons dépassé le million d’euros en 2017 “. Un chiffre que l’équipe (12 personnes à ce jour) entend quintupler d’ici 2019. A noter qu’Amoobi enregistrait en 2016 une perte d’exploitation de 85.000 euros, et une perte nette de 97.500 euros. Son cash-flow, quant à lui, passait dans le vert en 2016, à 75.500 euros. ” Nous avons encore une perte en 2017, confie le CEO. Mais nous pensons être profitables cette année. La rentabilité est dépendante de l’amplitude de vos investissements, et nous investissons énormément. ”

L’entreprise effectuait l’année dernière sa quatrième levée de fonds : 300.000 euros (17.000 euros en capital et le reste en prime d’émission) levés par ses actionnaires auxquels sont venus s’ajouter 700.000 euros apportés par Nivelinvest et Sofinex, essentiellement sous forme de prêts subordonnés. De l’argent frais qui devrait permettre à la boîte de booster sa croissance. Amoobi aimerait en effet s’implanter aux Etats-Unis, et multiplier le nombre de données récoltées. ” Nous souhaiterions à terme pouvoir mesurer l’interaction des clients avec les produits “, conclut le jeune patron.

Pierre-Olivier Beckers : “La capacité des fondateurs à se remettre en question m’a séduit”

Figure bien connue du paysage économique belge, Pierre- Olivier Beckers, ancien CEO de Delhaize, est président du conseil d’administration et actionnaire d’Amoobi depuis 2014 — le CA se compose en outre des trois fondateurs, de Stefano Rivera (Scabal) et de Muriel De Lathouwer (EVS). ” En quittant Delhaize fin 2013, j’avais signalé lors d’une interview dans la presse que je souhaitais mettre mon expérience au service de jeunes entreprises “, explique-t-il. Après avoir lu l’interview, Olivier Delangre (CEO d’Amoobi, Ndlr) m’a contacté. ” L’ex-Delhaizien n’avait pas spécialement pour intention d’investir dans la jeune pousse, mais le projet l’a progressivement séduit. ” La capacité des fondateurs à se remettre en question m’a séduit, dit-il. Cela fait cruellement défaut dans les plus grandes entreprises. ”

L’homme injectera près de 500.000 euros dans la boîte, dont 10 % en capital et 90 % en prime d’émission. Il participera également à la dernière levée de fonds, l’année dernière. ” En leur apportant les fonds nécessaires, cela leur permet de se focaliser sur les choses importantes. ” Et les choses importantes, c’est le business ! Un business dans lequel notre interlocuteur croit fermement. ” Le fait d’objectiver le comportement des consommateurs en magasin va permettre de comprendre pourquoi ils se sont arrêtés devant telle catégorie et pourquoi ils n’ont pas acheté. Chez Delhaize, j’ai souvent été frustré de voir à quel point les directeurs de magasin se basaient sur leur seule perception pour agencer leur point de vente. ”

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