Alstom grandit en Belgique

Rame M7 - Avec la fusion, Alstom gagne une usine en Belgique, celle de Bruges, qui assemble des voitures à double étage en cours de livraison à la SNCB.
Robert Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn Journaliste Trends-Tendances

Désirant davantage de mobilité décarbonée, les collectivités achètent toujours plus de trains, de métros, de trams. Cet appétit pour les transports en commun profite notamment à Alstom qui accroît sa base en Belgique, et embauche.

En général, les fusions se traduisent par des pertes d’emplois. Le groupe français Alstom, qui fabrique des trains, des métros et des trams, semble faire exception. Après avoir racheté Bombardier Transport il y a un an, il vient d’annoncer le recrutement de plus de 7.000 personnes dans le monde, dont 150 en Belgique. Alstom occupe actuellement 75.000 personnes sur tous les continents, dont plus de 1.950 en Belgique.

Cette fusion a presque doublé la taille du groupe, lui donnant un meilleur accès aux marchés est-européen et nord-américain. Le constructeur est aujourd’hui le premier fournisseur européen de matériel ferroviaire, très loin devant Siemens Mobility. Numéro deux mondial derrière le chinois CRRC, il atteint un chiffre d’affaires de plus de 15 milliards d’euros, contre environ 28 milliards pour CRRC.

Intégration de Bruges

Avec la fusion, Alstom gagne une usine en Belgique, celle de Bruges (ex-Brugeoise et Nivelles), qui occupe 600 personnes et assemble des voitures à double étage, actuellement les rames M7 en cours de livraison à la SNCB. “Nous allons recruter une quarantaine de personnes supplémentaires sur ce site”, assure Bernard Belvaux, CEO d’Alstom Benelux. Les 110 autres personnes seront embauchées pour le site de Charleroi, premier employeur privé de la ville. Ce dernier abrite essentiellement un centre d’engineering spécialisé dans les systèmes de sécurité des trains et des réseaux (signalisation) et dans le développement d’équipements de puissance pour les trains électriques. “A Charleroi, il y a 28 nationalités à l’oeuvre, avec beaucoup d’opportunités internationales car nous vendons partout dans le monde, et beaucoup d’expatriation puisque nous avons des implantations dans 70 pays”, souligne Bernard Belvaux.

Le Benelux devient un des grands clusters du groupe.” Bernard Belvaux, CEO d’Alstom Benelux

La fusion avec Bombardier Transport semble avoir été mieux accueillie que celle tentée en 2018 avec Siemens et qui avait été retoquée par la Commission européenne. Plusieurs pays ou clients craignaient que cette fusion n’affaiblisse la concurrence et fasse grimper les tarifs. La reprise de Bombardier Transport a, elle, été autorisée moyennant la revente de quelques usines. La filiale du groupe canadien homonyme souffrait d’un manque d’investissements, car ses moyens étaient concentrés sur son activité aéronautique et le développement d’un nouvel avion de ligne, le CSeries, dont le budget de développement avait explosé – le programme a d’ailleurs été revendu à Airbus pour sauver le groupe. Cela avait entraîné retards et problèmes de qualité pour le ferroviaire.

Bernard Belvaux, CEO d'Alstom Benelux
Bernard Belvaux, CEO d’Alstom Benelux© PG / JC Guillaume

Un bon accueil mais encore des doutes

“Nous avons reçu plusieurs lettres très positives pour cette reprise de Bombardier Transport et de l’usine de Bruges”, avance Bernard Belvaux, ravi qu’Alstom soit désormais présent dans les trois Régions du pays. Jusqu’ici, son principal site était celui de Charleroi, avec Bruxelles comme quartier général. “Nous devenons un acteur national avec trois lignes de produits en Belgique: le matériel roulant à Bruges, la signalisation et la traction à Charleroi, et les services répartis sur plusieurs sites. Nous sommes plus proches de nos clients.” A l’international, le groupe Alstom compte également une production très décentralisée, ce qui permet de produire local, au moins en partie.

La première tâche du groupe est de moderniser les usines récemment acquises. “J’ai présenté au conseil d’administration du groupe un plan stratégique pour le Benelux fin 2021, continue Bernard Belvaux. Il prévoit la modernisation du site de Bruges. Nous voulons en faire une plateforme moderne, notamment par la digitalisation, accélérer la production pour que les clients soient livrés plus rapidement, et investir dans la décarbonation.”

En Belgique, un des premiers effets de la fusion est une commande de locomotives par la SNCB, annoncée le 1er février, avec un modèle qui provient de Bombardier. “Nous pensions que la locomotive conçue par Bombardier convenait mieux au cahier des charges”, dit Bernard Belvaux. Le contrat prévoit jusqu’à 50 motrices. Le groupe livrera aussi 90 trams Nouvelle Génération commandés par la Stib, contrat décroché par l’entreprise canadienne. La fusion a aussi permis de décrocher un gros contrat en Grande-Bretagne, pour 54 TGV destinés à la future ligne Londres-Birmingham, en joint-venture avec Hitachi, pour 2,3 milliards d’euros.

La fusion n’a toutefois pas encore séduit entièrement les investisseurs: le cours de Bourse reste bas, autour de 26 euros, quasi la moitié d’il y a un an. Cette réticence est liée au défi d’Alstom, qui doit remettre en selle les usines de Bombardier et en finir avec certains retards de livraison.

Selon le Financial Times, ce doute a été partiellement levé ce 20 janvier, avec “l’absence de mauvaises nouvelles” dans la publication des résultats trimestriels. Les analystes d’UBS, qui ont scruté attentivement le carnet de commandes de l’ex-Bombardier Transport, estiment que “le marché a surréagi”, et recommande l’achat du titre.

Heureusement pour Alstom, les transports en commun ont le vent en poupe. Exemple avec la SNCB qui a des plans d’achat de trains pour augmenter ses fréquences, tout comme la Stib. Les plans de relance et de transition verte, en Europe et aux Etats-Unis, sonnent comme une douce musique aux oreilles des dirigeants du groupe.

Bon carnet de commandes

D’ailleurs, les commandes affluent. Le groupe annonce un carnet de commandes de 77,8 milliards d’euros. “Cela représente cinq ans de travail”, traduit Bernard Belvaux, qui porte une double casquette. L’homme dirige à la fois les sites de production du Benelux mais assure aussi le volet commercial du groupe auprès des opérateurs des trois pays, à qui il vend tout le catalogue Alstom. Sur ce dernier aspect, le CEO promet également une forte croissance. “En 2017, le Benelux représentait 200 millions d’euros, on devrait arriver à 700 millions cette année, estime-t-il. L’an prochain, on arrivera à 1 milliard d’euros, dont 300 millions provenant de Bombardier Transport. Le Benelux devient un des grands clusters du groupe.”

On l’a dit, Alstom espère bien surfer sur la demande de transports décarbonés. Son équipement vedette est un train à hydrogène développé en Allemagne, le Coradia iLint, en exploitation depuis 2018 outre-Rhin mais également commandé par la France et l’Italie. L’objet constitue une alternative verte pour les lignes non électrifiées, sur lesquelles roulent d’ordinaire les très polluants trains au diesel. Il y a 6.000 motrices diesels à remplacer en Europe. La Belgique est moins concernée, car elle compte peu de lignes non électrifiées. “Et elles sont plutôt courtes, comme la ligne de Couvin, relève Bernard Belvaux. Le mieux est plutôt d’y affecter un train électrique à batteries, c’est la meilleure solution verte pour les lignes jusqu’à 100 km. Au-delà, il faut viser l’hydrogène.”

Des trains moins gourmands

Travaillant à réduire la dépense énergétique de ses modèles, Alstom a aussi présenté un nouveau TGV, l’Avelia Horizon, qui propose 20% de sièges en plus mais consomme 20% d’électricité en moins. Il table aussi sur la conduite autonome des rames, technologie développée à Charleroi ( lire l’encadré “Charleroi et les trains autonomes”).

Le groupe mise en outre sur les services. Il développe notamment la maintenance prédictive, pour améliorer la disponibilité du matériel. “Il s’agit de la détection des éléments à remplacer sur les trains, trams ou métros grâce à des capteurs installés partout dans le matériel, qui envoient les données que nous analysons”, précise Bernard Belvaux. Cette approche existe depuis des décennies pour les avions, qui émettent en permanence des données qui serviront à repérer les risques de panne. “Nous pouvons installer un système de maintenance prédictive sur du matériel existant mais l’idéal est de le prévoir à la commande du matériel, poursuit le CEO. Nous concevons notre matériel roulant actuel en intégrant la possibilité de l’équiper avec ce dispositif après la livraison. L’espace pour le câblage et les systèmes électroniques est prévu.”

La fusion devrait être une bonne affaire pour l’implantation de Charleroi. “Alstom devrait agrandir sa taille et la couverture géographique de son activité rentable à forte croissance: la signalisation”, note un rapport de Bloomberg Intelligence. Du reste, le groupe était déjà en croissance en Belgique avant le mariage avec Bombardier Transport. L’entreprise ne cessait de recruter pour son site carolorégien dont les locaux, situés à côté de la gare, coincés entre la Sambre, les rails et la N5, deviennent même exigus. “Mais le télétravail amené par la pandémie a changé les choses, dit le CEO d’Alstom Benelux. Nous allons prévoir deux à trois jours de télétravail. Nous avons mis en place des bureaux partagés.”

Charleroi et les trains autonomes

Alstom grandit en Belgique
© photos: pg

Charleroi est le centre de développement de la conduite autonome pour trains d’Alstom. “Elle est utilisée depuis longtemps dans le métro, nous en avons l’expérience”, dit Bernard Belvaux. Mais elle y est plus simple parce qu’il s’agit d’un réseau fermé et sécurisé utilisant une voie séparée, alors que les trains se meuvent sur une voie ouverte, avec d’autres convois pas forcément autonomes. Alstom a déjà vendu 34 rames Coradia avec conduite autonome à l’opérateur public du grand-duché de Luxembourg, CFL. Ce dispositif existe en quatre niveaux. Avec le premier, le conducteur reste responsable de toutes les opérations. Le deuxième niveau implique un démarrage, un freinage et une conduite automatisés, le conducteur surveillant la conduite et restant responsable de la sécurité. Au niveau 3, le train roule automatiquement mais le conducteur reste à la manoeuvre pour les situations exceptionnelles. Au niveau 4, par contre, il n’y a plus de conducteur… “Aujourd’hui, seul le niveau 2 est autorisé pour les trains de passagers et de marchandises”. Les avantages du train autonome? “Faire rouler plus de convois sur la ligne, améliorer la ponctualité, réduire la consommation de 40%, car les accélérations et les décélérations sont mieux contrôlées, ce qui améliore le confort des passagers”, avance Bernard Belvaux. Alstom teste des trains autonomes de niveau 4 aux Pays-Bas, avec des locomotives de manoeuvre, dans une zone de triage.

Fusion aboutie

Alstom grandit en Belgique

En moins de 10 ans, le groupe Alstom aura connu d’énormes changements de périmètre. Il était naguère actif à la fois dans le matériel ferroviaire et l’énergie. Cette dernière activité (turbines, éoliennes) a été revendue à General Electric en 2014, ce qui a concerné 200 salariés en Belgique. En 2018, Alstom a tenté un rapprochement avec Siemens Mobility pour bâtir un champion européen du rail. La Commission européenne a refusé. Alstom a remis le couvert en 2020 en négociant l’acquisition de Bombardier Transport, opération cette fois autorisée par Bruxelles et exécutée à partir de janvier 2021. Mais moyennant des cessions: celles de la plateforme Coradia Polyvalent de Reichshoffen, en Alsace, et de Talent 3, actuellement développée à Hennigsdorf, en Allemagne. Les deux ont été vendues à l’espagnol CAF.

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