Aditya Mittal (président d’ArcelorMittal): “L’Europe ne peut pas être la variable d’ajustement”

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Dirigeant en tandem avec son père le numéro un mondial de l’acier, Aditya Mittal croit en l’avenir de la sidérurgie et veut que l’Europe protège mieux ses producteurs domestiques qui souffrent du dumping chinois, du protectionnisme américain et de la lenteur de réaction de la Commission. ” Le monde a besoin d’acier “, affirme-t-il.

A43 ans, Aditya travaille depuis 22 ans aux côtés de son père Lakshmi Mittal, qui a fait de son groupe le numéro un mondial de l’acier. Un groupe qui, l’an dernier, a généré un chiffre d’affaires de 76 milliards de dollars, réduit son endettement mais qui souffre encore de la surproduction à l’échelle mondiale, et en particulier de la guerre des prix menée par les producteurs chinois. Dans une industrie très cyclique, ArcelorMittal continue certes à croître via des rachats en Italie ou en Inde, où il va enfin prendre pied, mais il vient aussi d’annoncer une réduction de sa production en Europe. Récemment, il annonçait dans une interview au quotidien Frankfurter Allgemeine vouloir se passer de certains des 19.500 travailleurs sous contrat temporaire que ses usines continentales emploient actuellement…

Y a-t-il encore un avenir pour l’acier à l’heure où la société pousse des matériaux plus légers et moins polluants ?

ADITYA MITTAL. Cela m’inquiète que vous me posiez cette question ! L’acier a évidemment un avenir. C’est le métal qui a constitué l’épine dorsale de notre monde moderne. Partout où vous regardez, chez vous comme à l’extérieur, l’acier est là. Des rails sur lesquels roulent les trains aux poutres des immeubles en passant par votre réfrigérateur ou votre voiture, l’acier est un matériau de base. Et il n’a pas à rougir de son bilan carbone total, car c’est un matériau déjà recyclé à hauteur de 90 %, soit bien plus que d’autres matériaux. Mais nous savons que nous devons encore évoluer. C’est pourquoi nous travaillons sur des technologies pour réduire notre empreinte carbone, par exemple la capture du CO2 ou le recours à des sources d’énergies alternatives propres pour remplacer le charbon.

Nous ne pouvons pas devenir qu’un continent de services. Nous avons besoin d’usines, des emplois et des efforts de R&D qui vont avec.

Cela peut permettre à l’acier de se maintenir, mais pas de progresser…

La demande mondiale va au contraire s’accroître : elle devrait passer de 1,7 milliard de tonnes l’an dernier à 2,5 milliards d’ici à 2050. Le monde a besoin d’acier pour construire ses infrastructures et l’acier n’a pas fini d’innover. Il faut oublier les clichés du passé. Nous avons lancé 250 nouveaux produits rien que l’an dernier. Les infrastructures des énergies renouvelables et les voitures électriques ont besoin d’acier. Nos sites de production sont propres et de plus en plus robotisés. Aujourd’hui, on couvre ses chaussures avant de rentrer sur certains d’entre eux pour ne pas y apporter de saletés. Et on recouvre nos bobines d’acier d’un film protecteur pour éviter le moindre défaut, car personne ne veut d’une voiture dont la porte serait rayée.

Mais la voiture du futur ne comportera-t-elle pas de moins en moins d’acier ?

Détrompez-vous. D’abord parce que les nouvelles générations d’acier sont plus légères tout en étant plus solides, et ensuite parce que la montée en puissance de la voiture électrique est porteuse pour nous. Dans une voiture essence, pour réduire les émissions de CO2, les constructeurs cherchent à réduire au maximum le poids du véhicule et se tournent vers d’autres matériaux. Mais dans une voiture électrique, les émissions de CO2 ne sont plus un sujet et le poids devient secondaire par rapport à l’intérêt des matériaux et à leur coût. Le carbone compris dans l’acier est moindre que dans d’autres matériaux comme l’aluminium.

L’avenir est peut-être prometteur mais pourquoi votre secteur semble-t-il tout le temps en crise ?

C’est vrai que nous traversons régulièrement des crises, mais ne perdez pas de vue que, dans notre industrie, les crises résultent de distorsions de concurrence venant de politiques publiques. Et la source de l’essentiel des problèmes est en Chine, où depuis 10 ans les autorités subventionnent une augmentation sans précédent des capacités de production. Il y a 20 ans, la Chine produisait moins de 10 % de l’acier mondial. Aujourd’hui, la moitié de la production est made in China. Des efforts ont été faits pour tenter de réduire les surcapacités en Chine, mais pas de façon suffisante et donc notre industrie se retrouve dans une position très vulnérable lorsqu’elle doit affronter des chocs conjoncturels comme les crises de 2008 ou 2013. Car l’acier est un produit mondialisé : un tiers de la production est consommé ailleurs que sur son lieu de production.

Aditya Mittal (président d'ArcelorMittal):
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En quoi la mondialisation vous fragilise-t-elle ?

Ce qui fragilise les producteurs européens, c’est que, en période de tensions, les producteurs des autres régions déversent ici leurs surplus. Les importations ont progressé de 7 % en un an au premier trimestre et de 14 % sur deux ans. Sur un segment spécifique comme les bobines laminées à chaud, la hausse des importations européennes est même de 37 % par rapport à 2017. Et si vous prenez un exportateur spécifique comme la Turquie, ses exportations d’acier vers l’Europe sont, depuis 2017, en hausse de 129 % ! Sur un marché européen sans croissance ou en légère décroissance, l’effet est dévastateur. D’autant que tous les surplus finissent en Europe, puisque les Etats-Unis ont eux-mêmes agi en imposant des taxes pour protéger leur marché domestique.

Le président Donald Trump a-t-il raison de jouer la carte du protectionnisme ?

Je pense que ce qu’il a fait pour l’acier n’est pas mauvais. Le problème de l’acier, ce n’est pas l’évolution de la demande. C’est l’évolution de l’offre. Il faut trouver un moyen de faire pression sur la Chine pour qu’elle réduise ses capacités de production qui déstabilisent l’équilibre global. L’OCDE a essayé sans succès de régler le problème. Si on ne fait rien, l’avenir est écrit : la Chine pourrait déstabiliser tous les acteurs en vendant à perte.

Le risque serait que les producteurs européens disparaissent et que finalement les émissions de CO2 bondissent, car nous importerons de l’acier de producteurs peu vertueux.

L’Europe doit-elle être protectionniste comme les Etats-Unis ?

Nous ne demandons pas un traitement de faveur ou que l’on nous protège artificiellement, mais il faut que l’Europe réponde de façon appropriée au problème de la surproduction chinoise et du protectionnisme américain. Nous ne pouvons pas être juste la variable d’ajustement. L’industrie en général et l’acier en particulier sont essentiels pour l’Europe. Nous ne pouvons pas devenir qu’un continent de services. Nous avons besoin d’usines, des emplois et des efforts de R&D qui vont avec. ArcelorMittal emploie 100.000 personnes en Europe et, de façon indirecte, nous contribuons au maintien de 500.000 emplois. Nous investissons plus d’un milliard d’euros par an dans notre outil industriel européen et nous dépensons ici 300 millions de dollars par an en R&D, dont la moitié sur les produits et l’autre sur les process.

Et les responsables européens ne vous protègent pas ?

Ils ont la volonté de nous protéger, mais ils n’ont pas adopté les bons mécanismes de protection. Le principal problème est que les cycles de prise de décision de la Commission européenne sont bien plus lents que ceux des affaires. Il leur faut six à neuf mois pour prendre des mesures quand les entreprises peuvent mourir en quelques mois. Il est aussi difficile de trouver des mécanismes de protection équilibrés. Il ne s’agit pas de surréagir. Nous voulons juste que la concurrence soit juste. Au-delà des distorsions de concurrence tarifaires, l’Europe qui nous impose de faire des efforts justifiés pour réduire nos émissions de CO2 ne doit pas laisser la porte grande ouverte à des concurrents non européens qui seraient plus compétitifs parce qu’ils ne font aucun effort sur ce front. Le risque serait que les producteurs européens disparaissent et que finalement les émissions globales de CO2 bondissent, car nous importerons de l’acier de producteurs peu vertueux. C’est pourquoi nous plaidons en faveur de taxes à nos frontières qui prennent en compte les émissions de CO2.

En termes de contrôle des fusions- acquisitions, comprenez-vous la position de la Commission européenne ?

Il est normal que la Commission se prononce sur les mouvements de consolidation, mais en cas de refus d’une opération ou de demande de concessions excessives, les entreprises doivent pouvoir exercer un recours devant une cour de justice indépendante, capable de se prononcer rapidement. En Europe, ce n’est pas le cas, contrairement aux Etats-Unis, où les entreprises peuvent faire appel et contester les décisions de l’administration. L’autre problème, c’est souvent la définition de ” marché ” que retient la Commission pour prendre sa décision. Dans l’acier, nous sommes à l’heure de la globalisation : notre marché, c’est le monde.

La consolidation va-t-elle se poursuivre dans l’acier ?

La consolidation va se poursuivre en Chine, mais entre acteurs locaux. En Europe, les opérations de consolidation sont devenues difficiles. Pour nous, la croissance externe est plutôt envisagée dans les pays en voie de développement, comme l’Inde où, après des mois et des mois de lutte, nous allons réussir à nous développer en rachetant en partenariat avec Nippon Steel l’un des quatre acteurs locaux. Avec son 1,2 milliard d’habitants, ce pays est un marché avec un très fort potentiel. Il y a d’immenses besoins d’investissements dans les infrastructures ou dans l’automobile. La consommation d’acier en Inde ne représente qu’un tiers de la moyenne chinoise. Notre croissance prévue en Inde nous permettra à terme d’avoir un chiffre d’affaires réalisé pour moitié dans les pays développés et pour l’autre dans les pays émergents, contre un ratio de 70-30 aujourd’hui.

Est-ce un plus de travailler avec son père ?

Je travaille avec lui depuis 22 ans et je m’en félicite. C’est un patron formidable, car il est ouvert à la discussion et cherche à apprendre des autres. Quand j’étais étudiant, il m’appelait tous les jours et me demandait : ” Qu’as-tu appris aujourd’hui qui pourrait me servir dans mes affaires ? ” C’est très stimulant.

Quelle est votre ambition pour ArcelorMittal ?

En tant que leader mondial de l’acier, notre responsabilité, c’est d’innover et d’ouvrir la voie vers un acier et des processus de fabrication plus respectueux de l’environnement et moins émetteurs de CO2. Innover peut être positif pour tous, mais c’est aussi pour nous un moyen de tirer la demande, et donc nos ventes.

Le Brexit vous inquiète-t-il ?

Nous ne produisons pas beaucoup en Grande-Bretagne. Le principal risque ne concerne pas pour nous l’impact commercial ou notre organisation, mais plutôt les effets indirects qui pourraient résulter d’un Brexit dur, qui provoquerait un choc économique négatif sur l’Europe et le monde.

David Barroux et Alexandre Counis.

Profil

– 1976 Naissance à Calcutta, vit actuellement à Londres avec sa famille

– 1996. Licencié en économie et finance d’entreprise de la Wharton School de l’Université de Pennsylvanie

– 1997. Rejoint Mittal Steel Company, le groupe familial fondé par son père

– 2004. Nommé directeur financier

– 2006. Participe au rachat d’Arcelor

– 2011. Prend la direction des opérations européennes d’ArcelorMittal

– 2018. Nommé président

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