A la redécouverte de l’huile d’olives, l’or vert espagnol

© laura Centrella, en Andalousie

L’organisation interprofessionnelle des huiles d’olive espagnoles a lancé une campagne de séduction internationale. Objectif: améliorer la perception de son “or vert”, encore trop souvent synonyme de piètre qualité aux yeux de l’étranger.

Il est 7 h du matin, on est à la mi-novembre, et il fait encore frisquet lorsqu’on quitte Baeza, superbe ville classée au patrimoine de l’Unesco pour ses chefs-d’oeuvre de la Renaissance. Nous sommes dans la province de Jaén, au nord-est de l’Andalousie, à bord d’un bus en direction de Peal de Becerro. Là, nous attend une aventure unique, le survol en ballon d’une véritable mer d’oliviers. Les instructions de sécurité sont simples : plier les genoux, se caler à la nacelle, tout en s’agrippant aux cordes attachées autour du panier. Parés !

En deux temps, trois mouvements, et à grands coups d’air chaud transmis par le brûleur, le ballon s’envole. Là-haut, deux immenses arcs-en-ciel ont fait leur apparition. Mais le vrai spectacle, ce sont les 66 millions d’oliviers à nos pieds. Jaén possède en effet la plus grande oliveraie du monde. On cultive ici 40% de l’or vert hispanique, soit 20% de la production mondiale. L’Espagne est ainsi le plus grand producteur d’huile d’olive de la planète, avec 300 millions d’oliviers répartis sur une surface de 2,5 millions d’hectares.

Le plus grand moulin du monde

On continue à prendre la mesure de cette domination en visitant la coopérative Nuestra Señora del Pilar, dans la petite ville de Villacarrillo, au nord-est de Jaén. Elle accueille le plus grand moulin à huile du monde. Ici, on peut produire jusqu’à 200 tonnes d’huile d’olive par jour ! Composée de 17 membres à sa fondation en 1966, la coopérative est passée aujourd’hui à 1.700, qui proviennent des huit villages des alentours. Des fermiers qui cultivent 14.000 ha d’oliveraies.

C’est la fin de la journée et l’immense infrastructure semble déserte, mais la récolte a bel et bien commencé. Ce matin même, 1.500 camions déversaient leur chargement sur les quelque 80 quais de réception.

” Lors de notre meilleure année, pendant la récolte 2013/2014, nous avons transformé 100.000 tonnes d’olives. Cette année 2018-2019, nous nous attendons à 90.000 tonnes, ce qui est bien plus que la moyenne, explique fièrement Paco Corrido, vice-président de la coopérative.

Cette visite permet de comprendre comment les Espagnols ont développé des techniques de production ultra-performantes et même durables. Ici, il n’y a aucun déchet. Les noyaux sont utilisés comme combustible écologique dans la production et les peaux servent à nourrir les cochons. De plus, la traçabilité est totale, puisqu’un code QR permet de traquer les olives, de la ferme jusqu’à la fin du processus de transformation. Car le producteur est payé en fonction de la qualité. Le produit final sera ensuite filtré et vendu par la Jaencoop, l’un des plus gros vendeurs sur le marché, surtout en gros mais aussi en bouteilles.

Tourisme oléicole

Une quarantaine de minutes en voiture seulement séparent Nuestra Señora del Pilar et l’ oleicola San Francisco à Begijar. Fondé en 1927, ce petit moulin mise plus sur la qualité que sur la quantité. C’est aussi l’un des pionniers du tourisme oléicole en Espagne. Ici, on apprend que la récolte des olives dure environ six mois, de novembre à avril. Mais c’est la maturité du fruit et les analyses d’échantillons en laboratoire qui vont décider du calendrier des récoltes.

A la redécouverte de l'huile d'olives, l'or vert espagnol
© Laura Centrella

Ce qui fait la qualité de l’huile espagnole, ce sont les contrôles, qui sont plus nombreux que dans d’autres pays “, explique Manuel Jimenez, qui dirige l’entreprise rachetée par son père en 1989. Dans ce moulin, on traite 70 tonnes par jour. Ce qui représente la récolte de 400 fermiers. ” C’est une petite production pour Jaén, même si elle reste importante pour le reste du monde “, poursuit-il.

Les clients espagnols se pressent à l’ oleicola pour acheter la traditionnelle huile non filtrée venant juste d’être pressée. En fait, on ne filtre l’huile que depuis 20 ans. Elle se conserve moins longtemps, à cause des particules organiques qu’elle contient. Mais tout est une question de qualité du fruit, qui doit être frais et sain, tandis que le processus de transformation doit être propre et rapide. Cela paraît simple mais ce n’est pas si facile “, raconte Manuel Jimenez, qui plaide pour une montée en qualité de l’huile espagnole, même si les profits sont minimes. Cinquante centimes à peine séparent le prix de vente de l’huile extra-vierge (3 euros le litre) de la lampante (2,5 euros le litre), réalisée avec des fruits abîmés et destinée au raffinage industriel.

On peut ensuite approfondir ses connaissances sur l’huile d’olive en visitant le musée de la cultura del olivo à Jaén. On y découvre un jardin avec 34 variétés d’oliviers, dont les plus courantes en Espagne : la picual, l’ hojiblanca, la cornicabra, l’ arbequina et la picudo. On y admire surtout la ” cathédrale de l’huile d’olive “, un cellier exceptionnel construit au 19e siècle, en fait 10 réservoirs creusés dans le sol ayant une contenance totale de 100.000 litres ! Un tourisme oléicole désormais nécessaire si l’on veut influencer la perception des consommateurs.

Mauvaise réputation

En effet, même si l’huile d’olive produite en Hispania était commercialisée dans tout l’Occident dès l’époque romaine, et si elle est le fruit d’un savoir-faire accumulé depuis des millénaires (ce sont les Phéniciens ou les Grecs qui auraient été les premiers à introduire l’oléiculture dans le pays), elle jouit d’une mauvaise réputation. Il est pourtant loin le temps où, en Espagne, on laissait des montagnes de fruits fermenter avant de les transformer… En visitant l’ oleicola San Francisco, on apprend ainsi comment l’huile espagnole a fait ce bon qualitatif depuis 15 ans, augmentant notamment la vitesse du processus de transformation.

A la redécouverte de l'huile d'olives, l'or vert espagnol
© Laura Centrella

L’huile espagnole a longtemps eu une mauvaise image car, il y a 40 ans, le produit que l’on vendait le plus, c’était de lampante raffinée “, avoue Manuel Jimenez. Et il y a encore 20 ans, ce sont les Italiens qui contrôlaient toujours la plus grande partie du marché mondial. Une mainmise qui remonte aux années d’après-guerre, quand la gastronomie de la Botte s’est répandue comme une traînée de poudre à travers le monde, dans la foulée de ses émigrants, véhiculant avec elle une certaine image de l’huile d’olive, forcément italienne.

De son côté, l’Espagne est longtemps restée sous la chape de la dictature franquiste. Dépourvus de bonnes structures commerciales, ses producteurs étaient ravis de pouvoir vendre leur huile en gros aux Italiens, qui écoulaient leurs bouteilles sous le label ” Fabriqué en Italie “. Une réalité encore en partie prégnante aujourd’hui : la botte ne produit pas en suffisance pour alimenter le marché international, ni même son marché intérieur.

L’Espagne, elle, veut désormais vendre directement son huile d’olive de qualité à l’étranger. Mais si elle partage désormais la plus grosse partie du gâteau avec l’Italie (40% du marché mondial chacune), elle a encore fort à faire pour changer son image. Voilà pourquoi son organisation interprofessionnelle chapeautant le secteur a lancé, avec l’aide de l’Union européenne, une grande campagne internationale de marketing : ” Le tour du monde de l’huile d’olive “. Un événement qui durera pas moins de cinq ans… Mais le salut viendra peut-être aussi des concours. En avril dernier, les huiles espagnoles présentées au concours international de la meilleur huile d’olive organisé chaque année à Paris par l’Agence française pour la valorisation des produits agricoles ont raflé les principaux prix, faisant de ce pays une espèce de champion du monde du secteur. Le début d’une ère nouvelle ?

Laura Centrella, en Andalousie

L'andalouse et pionnière Castillo de Canena
L’andalouse et pionnière Castillo de Canena© photos : PG

“De jolies choses partout!”

Il suffit de faire un tour dans le rayon des huiles de l’établissement La Grande Epicerie à Uccle pour s’en rendre compte : dans nos rayons, la majorité des huiles d’olive proviennent d’Italie, de France ou de Grèce. Et l’Espagne dans tout ça ? Ici, juste une marque dans l’étalage… Pourtant ce n’est pas le reflet de la production mondiale, que l’Espagne alimente à concurrence d’environ 40%, contre 18% pour l’Italie. Viennent ensuite, en Europe, la Grèce (12%), le Portugal (1,7%) et la France (0,2%). Notre continent reste le principal producteur d’huile d’olive, avec environ 75% du total mondial, même si la Tunisie et la Turquie montent en puissance.

Basée à Bruxelles, Danna Gallez, qui vend depuis 15 ans des huiles d’olive aux professionnels et aux épiceries fines, le confirme : ” Le consommateur belge est très conservateur. Il préfère les huiles de France ou d’Italie. La Toscane par exemple, une des régions italiennes les plus appréciées, exporte un tiers en plus que ce qu’elle produit ! Mais ce qui pousse à consommer italien, c’est aussi le prix. Les huiles italiennes sont moins chères que celles de Provence par exemple, car le coût de la main-d’oeuvre est moins élevé dans la Péninsule. ”

L'excellence grecque façon Porto Gera
L’excellence grecque façon Porto Gera© photos : PG

Un monde de saveurs

Mais dans le portefeuille de Danna Gallez, on trouve également des huiles grecques, comme cette Porto Gera en provenance de Lesbos, ou portugaises, avec cette Risca Grande produite dans le sud du pays et qui bénéficie du label bio Demeter. ” Dans ma sélection j’essaye de refléter la diversité du bassin méditerranéen, même si je ne propose pas d’huiles d’olive marocaines. Elles sont très bonnes mais elles ont des typicités particulières qui ne plaisent pas forcément aux consommateurs. Il faut comprendre que l’huile d’olive n’a pas le même goût partout. On peut faire un parallèle avec le vin. En fonction du terroir et des variétés d’olive, le goût de l’huile change. ”

Danna Gallez ne commande pas beaucoup d’huiles espagnoles, car il y a moins de demande en Belgique. ” Mais je comprends que les Espagnols veuillent faire basculer cette idée reçue que l’huile d’olive italienne est meilleure que l’espagnole. Il y a de très belles maisons en Espagne. Je travaille avec Castillo de Canena en Andalousie, car ce sont les plus performants à tout niveau. Ce sont des pionniers en matière d’écologie, par exemple. Le produit est de grande qualité même si c’est un grand producteur, avec 1.500 ha. ”

Des perles artisanales

Mais le succès des huiles d’olive italiennes ne se dément pas. Comme l’excellente Frantoi Cutrera, produite en Sicile sur une parcelle de 100 ha seulement, ou le Frantoio Franci en Toscane, un producteur plus petit encore, avec ses 65 ha. Ce qui ne l’empêche pas d’être à la pointe en termes de technologie. ” Aujourd’hui, même les plus petits producteurs ont du matériel de pointe, car ils savent que la technologie, c’est un tiers de la qualité du produit final “, assure la distributrice.

L'italienne et très technologique Frantoio Franci
L’italienne et très technologique Frantoio Franci© photos : PG

Le consommateur belge est aussi de plus en plus séduit par ce qu’on appelle le fruité noir, méthode ancienne de production où l’on presse des olives maturées conservées après la cueillette plusieurs jours à l’abri de l’air. Danna Gallez distribue ainsi un fruité noir AOC de Castelas, produit dans les Baux-de-Provence. ” Plus de 99% de la production d’huile d’olive est en fruité vert ; et à peine 1% en fruité noir, car c’est compliqué à réaliser. Il faut des contrôles très précis car la maturité des olives y est totale et on doit saisir le moment opportun pour les transformer. C’est une huile aux saveurs de sous-bois, de truffes et de champignons. Alors que les saveurs d’un fruité vert rappellent la tomate, la pomme verte ou l’artichaut. ”

” En fait, les clients peuvent trouver du plaisir dans chaque pays en fonction de leur goût. En Espagne, la variété picual donne une huile puissante, mais l’ arbequina est plus douce. Il y a de jolies choses partout ! “, conclut notre experte.

Vierge, extra-vierge ou lampante ?

On détermine la qualité d’une huile d’olive en fonction de plusieurs paramètres. Deux analyses sont nécessaires, une physico-chimique réalisée dans un laboratoire officiel et une autre, organoleptique, effectuée par un jury professionnel de 8 à 12 personnes. Un contrôle et des classifications régulés par le Conseil oléicole international (COI) et en vigueur dans la plupart des pays producteurs. Il ne s’agit pas pour ce jury de donner ses préférences, ni même de déterminer la variété des olives utilisées, mais de dire si l’huile présente des défauts ou non.

Le processus de dégustation est le suivant : on verse 25 ml d’huile d’olive à 28°C dans des verres bleus standardisés – la couleur importe peu pour déterminer la qualité du produit. Les membres du jury vont alors sentir l’huile, puis la goûter. En en prenant un peu en bouche et en aspirant un peu d’air, ils détermineront également son amertume et son piquant. Ceux-ci sont des qualités, tout comme le fruité, que l’on évalue sur une échelle de 0 à 10. Par contre, des traces d’humidité ou de rancissement sont considérées comme des défauts.

L’acidité est aussi un des paramètres chimiques pour déterminer la qualité. Un faible taux d’acidité garantit que les huiles vierges ont été produites à partir d’olives saines dans des conditions optimales à chaque étape du processus. A l’arrivée, plusieurs catégories sont établies.

Extra vierge : huile de catégorie supérieure, réalisée avec les meilleurs fruits et présentant des défauts inférieurs à 3,5 sur une échelle de 10, avec un fruité supérieur à 0. Son acidité libre, exprimée en acide oléique, est au maximum de 0,8 g pour 100 g.

Vierge : réalisée avec des fruits provenant de récoltes tardives. Elle contient quelques défauts mineurs. Son acidité libre est au maximum de 2 g pour 100 g.

Lampante : réalisée avec des fruits abîmés, parfois récoltés sur le sol. Elle contient beaucoup de défauts. Son acidité libre est supérieure à 3,3 g pour 100 g. Elle est impropre à la consommation et destinée aux industries du raffinage ou à des usages techniques, mais elle peut être raffinée pour devenir à nouveau consommable.

Il est important de noter que, d’après la réglementation européenne (exception faite des huiles d’olives bénéficiant d’une AOP ou d’une IGP qui, ipso facto, indiquent une provenance exacte), les producteurs d’huile d’olive extra vierge ne sont pas obligés d’indiquer le pays d’origine. Ils doivent seulement spécifier si elle a été produite en Europe ou pas.

Quant à la mention ” première pression à froid “, elle peut figurer uniquement sur les huiles extra vierges ou vierges obtenues à moins de 27° C, lors d’un premier pressage mécanique de la pâte d’olives, par un système d’extraction de type traditionnel avec presses hydrauliques.

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