À Charleroi, un nouvel écosystème d’innovation va voir le jour. Voici à quoi il ressemblera
La cellule Catch créée pour redynamiser la ville après le départ de Caterpillar vient d’annoncer la mise en place d’un espace dédié à la formation numérique et à la recherche et l’innovation technologique dans les sciences de l’ingénieur. Son (double) nom : A6K et E6K. Retour sur une mise en place façon start-up !
Jusque 6.000 mètres carrés pour placer Charleroi sur la carte du numérique et de l’innovation technologique dans l’ingénierie et l’industrie. Voilà la nouvelle destinée du gigantesque bâtiment du Tri postal situé entre la gare carolo et la Sambre. Annoncé la semaine passée à l’occasion de la grand-messe Digital Wallonia sur l’industrie du futur, cet ambitieux projet est porté par la cellule Catch créée pour redynamiser Charleroi après le départ fracassant de Caterpillar. Structurant pour la ville et la région de Charleroi, il porte un double nom, A6K et E6K, représentant les deux grands axes de la stratégie : l’ingénierie et la formation. Une double philosophie qui entre parfaitement dans les missions de la stratégie numérique de la Wallonie, soutenue par le ministre de tutelle Pierre-Yves Jeholet.
A peine annoncé, le projet fédère déjà de très nombreux acteurs du privé comme du public : entreprises, centres de recherche, incubateurs, centres de formation, etc. S’y côtoieront des noms comme Thales, Alstom, AGC, Sambrinvest, WSL, Mecatech, IFAPME, Digital Wallonia, la SNCB, etc.
Formation numérique et innovation industrielle
Concrètement, tous ces acteurs se regrouperont au sein de deux espaces distincts mais complémentaires. D’un côté, A6K, la partie du projet orientée Advanced Engineering Center, se consacrera à l’innovation technologique des acteurs industriels. Il s’agira d’un centre multi-opérateurs destiné aux sciences de l’ingénieur qui démarrera avec 2.000 m2 mais pourrait monter à terme à 4.000 m2. ” Charleroi dispose d’une histoire industrielle forte dans l’ingénierie, détaille Thomas Dermine, responsable de la cellule Catch. Il suffit de penser au rôle et à l’importance qu’ont joués les Ateliers de constructions électriques de Charleroi (Acec). Mais aujourd’hui encore, il existe une série de fleurons industriels qu’A6K pourra servir. ” La dynamique du projet consiste à centraliser des industriels, des PME, des centres de recherche avec différents objectifs. ” D’abord pérenniser et renforcer l’ancrage local des champions industriels présents à Charleroi, poursuit Thomas Dermine. Mais aussi dynamiser l’innovation des acteurs régionaux existants et renforcer l’incubation et la localisation de nouveaux projets autour des sciences de l’ingénieur. ” D’ailleurs, AE.ccelerator, un nouvel incubateur issu d’un partenariat entre Sambrinvest et Theodorus, verra le jour au sein d’A6K. Trois grandes thématiques seront mises en avant : l’énergie et l’électronique de puissance, la communication et les systèmes embarqués, et la transformation des usines en mode ” Industrie 4.0 “.
De son côté, la partie E6K s’étendra, elle, sur 2.000 m2 et se concentrera plutôt sur la formation aux métiers du numérique. Des espaces de bureaux seront aménagés pour accueillir des programmes de formation. Ont déjà confirmé leur présence des acteurs comme l’IFAPME, Technofutur TIC ou encore BeCode, l’école de codage née au sein de l’espace bruxellois BeCentral. Et des discussions sont aujourd’hui menées avec de nombreux acteurs du secteur de la formation, comme Google, Le wagon, Solvay, l’Ecole 19, etc. Quelque 300 étudiants formés par E6K devraient sortir chaque année, prêts à être engagés dans les entreprises des environs.
Même si la gouvernance d’E6K ne ressemble pas à celle de l’espace bruxellois BeCentral (développé par 28 entrepreneurs investisseurs associés), l’inspiration est assumée. D’ailleurs, aux prémices de la fondation, d’E6K, son nom de code était BeSouth, référence évidente. ” Nous avons eu des échanges informels, confirme Laurent Hublet, managing directeur de BeCentral. L’idée de transformer des infrastructures ferroviaires est similaire ( BeCentral est installée dans des bâtiments de la gare Centrale, Ndlr). Et la philosophie de l’espace formation est semblable. Mais l’équipe Catch a d’autres contraintes dues à ses objectifs et sa mission, notamment toute la dimension manufacturing inexistante à BeCentral. Par ailleurs, pour que ce projet soit un succès, je crois qu’il est primordial qu’il soit porté par l’écosystème local. C’est donc logique que son identité reflète l’ancrage à Charleroi. ”
Pour les acteurs du secteur, la création de ce nouvel espace n’est pas une surprise. Reste que sa mise en place s’est effectuée en un temps record. La cellule Catch ne s’attelle au volet dédié au numérique et à l’innovation que depuis septembre 2018. Un ” lancement en mode start-up”, diront certains. Et ce n’est que depuis le mois de novembre que Sambrinvest, qui porte le projet (et qui donc le finance), est entré dans la danse. L’invest public hainuyer injectera quelque 750.000 euros pour faire naître A6K-E6K. Un investissement qui sort quelque peu de ses habitudes, puisque Sambrinvest est plutôt habituée à financer des entreprises. ” Il ne s’agit pas de notre business de base, reconnaît Anne Prignon, managing director de Sambrinvest. On agit plutôt ici comme un promoteur immobilier, avec de la location. Mais nous sommes déjà impliqués dans Co.Station ( espace de coworking rassemblant divers acteurs du digital, et qui possède une antenne à Charleroi, Ndlr) et avons beaucoup appris sur ce créneau. ”
Des inconnues dans le “business plan”
Dans les faits, Sambrinvest deviendra locataire de la SNCB, qui met à sa disposition le grand plateau du Tri postal pour un montant resté confidentiel. Les travaux d’aménagement – des modules type ” serres ” seront installés – et de lancement sont à la charge de l’invest carolo, qui créera dans un premier temps une structure légère d’une personne et demi dédiée au ” dossier ” A6K-E6K. Ensuite, Sambrinvest prendra aussi en charge tous les frais de gestion, espérant les récupérer grâce à la location de ces espaces à de grands groupes industriels, des PME et autres centres de recherche. Les responsables du projet sont encore en train d’affiner ce prix de location. ” Il sera variable en fonction des besoins “, nous précise Thomas Dermine pour qui afficher un pricing est encore prématuré. Mais selon nos confrères de L’Echo, il pourrait tourner autour de 25.000 euros par an pour 50 m2 dans l’espace A6K.
De l’aveu de Sambrinvest, le business plan semble toutefois relativement ” risqué ” : ” Il y a des inconnues”, admet Anne Prignon. Parmi elles : le prix de l’énergie, ou les taux d’occupation. ” Si tous les espaces sont remplis dès le premier jour, on peut tendre au break-even, tempère la responsable. Nous devons évidemment limiter au maximum le vide locatif. Mais il est impossible aujourd’hui de savoir si les tous les locataires resteront, et pour combien de temps. Une des limites réside également dans le timing : si nous devons rentabiliser les investissements consentis sur une période de quatre ans seulement, c’est un peu ‘limite’. ” En effet, la SNCB ne met le bâtiment à disposition que jusqu’à la fin 2023. Toutes les pistes semblent ouvertes pour la suite, y compris un déménagement.
Début des activités dès juin
Reste que pour Sambrinvest, la participation dans le projet A6K et E6K ne répond pas qu’à une logique immobilière. ” A Charleroi, il existe de nombreuses compétences techniques dans le secteur de l’ingénierie, rappelle la managing director. Et l’émergence d’un écosystème où se rassembleront notamment des gros corporate et des PME devrait mener à la mise en place de nouvelles activités. Cela nous intéresse d’être partie prenante dans ces projets naissants. ” En effet, bénéficier d’une proximité avec les acteurs du terrain ” offre un véritable avantage à un investisseur “, nous glisse un observateur. Cela lui permet de rester en contact étroit avec tous les porteurs de projets. Cela lui élargit potentiellement son dealflow, son flux d’opportunités – un élément fondamental pour trouver les pépites naissantes. ”
Le bâtiment du Tri postal subira les premières transformations nécessaires pour accueillir le projet A6K-E6K courant avril-mai. Les premières activités pourraient démarrer dès le mois de juin en mode soft launch, en attendant une inauguration officielle après l’été.
– BeCentral (Bruxelles)
Ce ” campus digital ” a été lancé en février 2017 à l’initiative de 28 personnalités de l’univers numérique belge (entrepreneurs, experts, responsables politiques, patrons). Une trentaine d’initiatives (écoles de codage, associations, start-up) s’y regroupent actuellement et comptent plus de 200 résidents permanents. Parmi elles : Le Wagon, l’Atelier Digital de Google, Startups.be, etc. BeCentral accueille de nombreuses activités (conférences, formations, etc.) et revendique 785 personnes formées en cycles longs et 23.000 personnes qui ont bénéficié des formations courtes et de conférences.
– The Beacon (Anvers)
Lancé en septembre 2018, The Beacon est le nouveau centre d’affaires et d’innovation doté d’espaces de bureaux proposés aux entreprises de l’Internet des objets (IoT). L’initiative est soutenue par des acteurs institutionnels et privés qui se partagent les rôles et les missions : la ville d’Anvers qui s’est occupée du bâtiment, le port d’Anvers pour l’aspect industriel, l’Imec et l’université d’Anvers pour l’orientation ” recherche “, Co.Station qui prend en charge l’animation et la gestion, et Agoria pour l’expertise. Sont présents dans The Beacon des acteurs corporate type Atos, Engie Fabricom ou Orange, et des start-up comme Rombit.
– Blanchemaille (Roubaix)
Installé dans les anciens bâtiments de La Redoute, cet incubateur, accélérateur et ” hôtel d’entreprises ” opéré par Euratechnologies se spécialise dans le ” commerce de demain “. Blanchemaille réunit sur 13.000 m 2 des start-up, des grands acteurs (comme Showroom Privé, OVH, Altima, etc.), un pôle de R&D en matière de commerce intelligent, etc.
– RDM (Rotterdam)
Ce campus situé sur l’ancien chantier naval du Rotterdamsche Droogdok Maatschappij (RDM) se spécialise dans l’innovation des métiers liés aux ports et au maritime. Un écosystème ouvert aux entreprises, à la recherche et aux start-up pour créer le port du futur. Au sein des grands hangars de RDM, des serres dont A6K s’est largement inspiré regroupent des bureaux qui jouxtent des zones plus industrielles, notamment dotées d’une zone dédiée à la robotique. Les installations, labos et machines sont aussi mises à disposition des étudiants des filières techniques liées aux missions du RDM. Celui-ci compte notamment parmi ses fondateurs la Ville, le port et l’université de Rotterdam.
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