À Bruxelles, une bulle d’air pour certains vélos partagés
Les vélos électriques partagés Jump, d’Uber, ont disparu des rues de Bruxelles. C’est l’occasion pour Billy Bike, son concurrent belge en noir et bleu, de forcer l’allure.
Le coronavirus et le soleil ont donné un fameux coup de pouce au vélo, qui bénéficie aussi de la réticence à emprunter les transports en commun. Des circonstances que Billy Bike, un réseau de 600 vélos partagés à assistance électrique, à Bruxelles, essaie de transformer en croissance. ” A la fin mai, on devrait avoir quadruplé nos revenus par rapport à mars, au début du confinement “, avance Pierre de Schaetzen, CEO de Billy Bike.
L’entreprise Billy Bike, active depuis janvier 2019, tire parti du départ de Jump, le service de vélos électriques partagés d’Uber qui exploitait, avant le confinement, 1.200 bicyclettes. ” Cela nous donne une bulle d’air “, affirme Pierre de Schaetzen, qui avait démarré Billy Bike avec Guillaume Verhaeghe et qui en a profité pour lancer une action de crowdfunding. L’objectif de ce financement participatif ? Doubler son parc, pour monter à 1.200 vélos, ” ouvrir ” une autre ville en Belgique l’an prochain, et une autre à l’étranger en 2022. Il a aussi augmenté le tarif, de 18 à 20 centimes la minute.
Conception maison
Billy Bike et Jump représentent une nouvelle génération de vélos partagés. Une alternative au réseau Villo lancé en 2009 qui, lui, comprend 5.000 bicyclettes basées dans des stations, un réseau qui a fait l’objet d’une concession de la Région de Bruxelles-Capitale.
Les nouveaux acteurs ont tiré parti des technologies pour rendre le vélo partagé plus agréable, avec une assistance électrique et une gestion en stationnement libre, ou free floating. L’utilisateur localise, réserve et déverrouille le vélo avec son smartphone. A destination, il le gare sur le trottoir et ne doit donc pas chercher une station.
Chez Billy Bike, il s’agit d’une bicyclette de conception maison car les vélos électriques partagés étaient encore très rares en 2017, au lancement du projet. Billy Bike a imaginé un châssis assez robuste pour un usage partagé, l’a fait assembler à Taiwan, l’a équipé d’une électronique maison pour détecter à distance le niveau de la batterie, la localisation du vélo ou si celui-ci est tombé. ” Il est conçu de telle manière qu’une fois volé, il ne peut servir à rien. ” L’entreprise compte neuf salariés, plus une trentaine d’étudiants pour assurer la recharge des vélos par remplacement des batteries et, aujourd’hui, leur désinfection.
Jump détruit ses vélos
Lorsque le confinement a démarré en mars, Jump a suspendu son service. Va-t-il revenir ? Pas sûr. La crise frappe particulièrement les géants de la mobilité partagée, comme Jump ou les trottinettes Lime, qui étaient dopés par du capital risque et l’argent des Gafa. Hier, ils misaient sur une croissance globale forcenée. Aujourd’hui, ils se concentrent sur leur rentabilité, abandonnant des villes et réduisant les flottes. Résultat : Jump et Lime sont en train de détruire des dizaines de milliers de vélos et de trottinettes aux Etats-Unis, comme le signale le Financial Times.
C’est sans doute la conséquence du rapprochement de ces deux acteurs de la micro-mobilité annoncé le 7 mai dernier. Uber a en effet participé à une augmentation de capital de Lime, à hauteur de 170 millions de dollars, ce qui ressemble à un sauvetage. Dans la même opération, Jump a été acquis par Lime, qui pourrait ainsi devenir une filiale d’Uber qui dispose, selon le Financial Times, d’une option pour racheter entièrement l’entreprise. Les termes de la levée de fonds reflètent une forte baisse de la valorisation de Lime.
Jump, à qui nous avons posé la question plusieurs fois, ne s’est pas exprimé sur une éventuelle remise en fonction de son service de vélos partagés à Bruxelles. ” Ses représentants nous ont dit qu’il reviendra “, assure-t-on au cabinet de la ministre de la Mobilité de la Région de Bruxelles-Capitale. Mais le personnel local a été licencié…
Le petit poucet local
Billy Bike possède des atouts pratiques clairs, mais son grand concurrent Villo a également des avantages. Celui-ci est présent partout dans la Région alors que Billy Bike ne couvre qu’un quart du territoire : le centre du ” Pentagone ” et l’est de la ville. Villo est aussi moins cher : Billy Bike facture 20 centimes par minute, soit 2,4 euros pour le trajet moyen (12 minutes) tandis que Villo revient à 1,6 euro pour 30 Jusqu’ici, cet appel du pied n’a pas été suivi d’effet. Les pouvoirs publics régionaux sont bienveillants avec Billy Bike qui colle effectivement bien avec leur stratégie de développement d’une mobilité alternative, mais il n’y a aucun signe que la Région mettra en place une aide quelconque. Elle apporte un soutien indirect en annonçant, ces dernières semaines, 40 km de pistes cyclables supplémentaires à déployer cet été, dans la cadre de la crise du coronavirus.
Avec ou sans aide publique, Billy Bike a besoin de croissance pour devenir viable.
Billy Bike peut, certes, compter sur les critiques de Villo, comme le député régional bruxellois cdH Christophe De Beukelaer qui interpelle régulièrement la ministre de la Mobilité sur le sujet. ” Il faudrait renégocier ce marché “, affirme-t-il, estimant que le modèle Villo ” marche mal, n’est pas beaucoup utilisé (et que) son utilisation est en recul “. Il ajoute : ” La Région devrait davantage encourager le flee floating, qui est plus pratique “. A la rigueur en continuant avec Villo d’un côté, et un service de free floating de l’autre.
Avec ou sans une aide publique, Billy Bike a besoin de croissance pour devenir viable. Les chiffres publiés pour l’appel au financement participatif ( voir tableau) montrent que pour devenir profitable, l’entreprise doit plus que décupler son chiffre d’affaires, s’étendre dans d’autres villes afin d’amortir les coûts centraux, dont le développement des vélos. A Bruxelles, de toute manière, l’ambition de jouer au ” pilier des transports publics ” oblige à Billy Bike à couvrir la Région. ” Pour y parvenir, il faudrait 2.400 vélos “, estime Pierre de Schaetzen, qui espère bien y arriver.
Racheté ?
Billy Bike enchaîne les rounds de financement, les crowdfundings. L’entreprise a obtenu six prêts convertibles pour un total de 867.045 euros. La dernière levée, encore en cours, vise au moins 250.000 euros (137.150 euros obtenus au 2 juin).
Une des options est de se faire racheter par un groupe intéressé par les mobilités alternatives. ” Nous ne le souhaitons pas, mais cela permettrait d’avoir un effet de levier. Nous pourrions mieux nous concentrer sur le business, explique Pierre de Schaetzen. Je passe quasi tout mon temps à la recherche de fonds plutôt qu’à améliorer le produit. ”
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