2022: la résilience de nos entreprises est mise à rude épreuve (infographies)

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Pascal Flisch RESEARCH & DEVELOPMENT MANAGER - Trends Business Information

Le monde a été secoué par une crise sanitaire en 2020 qui a obligé toute l’organisation de notre société à se remettre en question. La géopolitique en a décidé autrement. Une guerre s’est ouverte à nos portes en février 2022. Elle est toujours en cours et va certainement encore perdurer en 2023. Quelles conclusions peut-on tirer de cette année pour nos entreprises?

On devrait commencer à s’habituer, mais comment s’habituer à l’inhabituel?

Les nouvelles entreprise : pas de pause !

En 2021 et 2022 on croyait pouvoir effacer les traces laissées par la pandémie.

On a pris l’habitude de voir le nombre de nouvelles entreprises croître chaque année. On avait craint le pire en 2020, mais l’année s’est finalement terminée par une belle stabilisation au niveau record de 2019. La reprise avait été particulièrement vigoureuse en 2021, marquant une accélération du côté des nouveaux entrepreneurs. Les difficultés de 2022 ne semblent pas entamer la détermination à entreprendre, puisque, alors qu’il reste encore une semaine par rapport au comptage arrêté ici et qu’il faudra attendre certainement encore quelques semaines avant d’avoir des chiffres stables, le niveau de 2019 est déjà dépassé.

Au niveau sectoriel, toujours à une semaine de la fin de l’année, certains secteurs semblent particulièrement attractifs et marquent une hausse significative:

On peut y déceler des signes de l’évolution de notre société : le changement climatique crée des vocations de vignerons, d’accueillants touristiques et des opportunités dans le bâtiment, le vieillissement de la population crée des besoins en assistances et les crises donnent lieu à une certaine réindustrialisation du tissu économique.

Mais il y a aussi des coups d’arrêts parfois marqués :

L’horeca est clairement en attente de jours meilleurs, certains commerces, comme l’automobile, sont en mutation accélérée, les soins esthétiques font face à une perte de pouvoir d’achat et, plus inquiétant, les nouveaux médecins généralistes se font trop rares.

Les starters choisissent encore majoritairement de démarrer leur activité comme indépendant. Du côté des personnes morales, on voit le nombre d’asbl diminuer graduellement. C’est logique au vu de l’augmentation des obligations administratives auxquelles elles sont soumises aujourd’hui. Pour comparer valablement avec les personnes morales, il faut aussi exclure celles qui ne sont pas des entreprises, comme les associations de copropriétaires, ou des faux starters, comme les associations momentanées ou les unités TVA par exemple.

On arrive alors aux chiffres nets suivants :

Toutes formes juridiques confondues, les actes de constitution de personnes morales vont dépasser les 50.000 en 2022. C’est 13,6% de plus qu’en 2019.Il y en avait 52.837 en 2021, année de rattrapage.

On terminera pas noter que, comme souhaité par le législateur, la toute grande majorité des personnes morales créées sont des SRL. Elles représentent presque 77% de l’ensemble.

Les faillites : des chiffres qui ne reflètent toujours pas la réalité

Pour la 3ème année consécutive, nous n’atteignons pas le seuil psychologique des 10.000 faillites en 2022. Il ne faut pas s’en réjouir. Ce n’est pas le résultat d’une économie florissante, mais bien d’un certain estompement de la norme.

Les mesures de protection et les moratoires étaient nécessaires en 2020 et ont bien fonctionné. 2021 n’a pas consacré le retour à la normale et ce n’est toujours pas le cas en 2022.

Sur les 485.000 entreprises qui ont publié des comptes annuels 2021, il y a plus de 64.000 entreprises qui ont une solvabilité négative. 85.000 ont un cashflow négatif. C’est respectivement 13,20 % et 17,53% de l’ensemble. Si on extrapole à l’ensemble du tissu économique, dont les 2/3 ne publient pas de comptes annuels, il y a plus de 200.000 entreprises en Belgique qui n’ont plus de capitaux propres. Elles sont donc maintenues en activité par des crédits, souvent malsains, dont le montant total est supérieur à leurs actifs. Celles pour qui ce n’est pas un accident de parcours devraient, en grande majorité, disparaître.

Par ailleurs, le taux “normal” de faillites en Belgique est de 0,90%. Appliqué au 1.600.000 entreprises actives, ce sont 14.400 faillites qu’on devrait avoir chaque année. On est donc loin de la normale.

Il faut cependant noter que la Région Flamande est, elle, au niveau de 2019. Ce sont les Régions Bruxelloise et Wallonne qui faussent principalement les statistiques. Mais cela n’enlève rien au fait qu’avec 58% des entreprises sur son sol, la Région Flamande devrait compter plus de 8.000 faillites par an à elle toute seule.

Globalement donc, les faillites ne représentent plus, depuis 3 ans maintenant, un indicateur fiable de la santé de notre économie.

Les dissolutions judiciaires

A la dernière semaine de l’année, les chiffres donnent l’évolution suivante :

On n’attend plus beaucoup de jugement en 2022. Les chiffres semblent stagner. Mais il ne faut pas oublier qu’un moratoire est en cours, au profit des entreprises qui souffrent des prix de l’énergie.

On verra certainement ces chiffres évoluer dans le futur. Un projet de loi de mise en conformité de notre récent droit de l’insolvabilité avec une directive européenne est en préparation. La dissolution judiciaire sera alors vue comme une alternative à la faillite, quand il n’y a plus d’actif au moment de la déclaration … très souvent donc.

Le vrai indicateur : les arrêts d’activités

Il est évidement trop tôt pour donner un chiffre définitif. Comme chaque année, mais probablement cette fois-ci encore plus que d’habitude, beaucoup feront le point en début d’année et évalueront l’opportunité de continuer leur activité.

Quand on regarde les statistiques arrêtées à novembre sur les 4 dernières années, on voit clairement que la question a déjà été tranchée pour beaucoup :

Alors qu’il reste encore le mois de décembre à prendre ici en compte, les arrêts se font massifs et dépassent déjà de 7,6% les chiffres de 2019. Sachant qu’entre 15.000 et 16.000 entreprises mettent chaque année un terme à leurs activités en décembre, le seuil des 100.000 sera atteint pour la première fois cette année.

On voit aussi que c’est chez les indépendants que le phénomène est le plus sensible.

Quand on regarde les statistiques au niveau régional, des inégalités sont frappantes :

En novembre, la région de Bruxelles n’a pas encore atteint le niveau de 2019. Toutes les autres composantes géographiques l’ont déjà fait. La Région Flamande est de loin la plus touchée de 3 régions. Mais il faut souligner l’augmentation relative des chiffres des entreprises internationales. Toutes proportions gardées, elles se retirent à grande vitesse pour la 2ème année consécutive, ce qui pourrait bien trahir un problème de compétitivité pour notre pays.

Un autre facteur va commencer à jouer un rôle insidieux dans les statistiques. Le sujet du vieillissement de la population était au premier rang des préoccupations de nos gouvernements il y a quelques années. On n’en parle plus aujourd’hui, mais le problème n’a pas disparu. 746.000 personnes ont aujourd’hui entre 60 et 64 ans dans notre pays. Pour ceux qui sont encore actifs (moins de 60%) à cet âge-là, la question de la pension est imminente. Cela se reflète dans les statistiques d’arrêts d’entreprises et va encore durer quelques années. Un “papy boom” est devant nous.

Du côté sectoriel, les soins aux personnes, l’horeca et le transport semble particulièrement concernés.

Les comportements de paiements entre entreprises

Plus il est difficile de créer des marges dans un marché, plus il est important que la machine soit bien huilée. Toutes les entreprise qui misent sur des volumes à petites marges vous le diront. Une des bonnes manières d’avoir suffisamment d’huile est de pouvoir compter sur des paiements réguliers des clients pour financer le cycle commercial. Malheureusement, depuis 2020, Il commence à y avoir beaucoup de sable dans le pot d’huile. En 2018, les créances commerciales en grande souffrance (les retards de plus de 90 jours) représentaient 4 à 5% de l’encours. On est à plus de 20% en 2022.

Ce manque de fluidité vient en contradiction avec la loi qui impose des paiements à 60 jours maximum. Mais surtout, il fragilise le tissu économique dans son ensemble.

Premières conclusions à tirer de 2022

Les multiples facteurs qui mettent la pression sur les marges des entreprises produisent déjà leurs premiers effets en 2022. Ces marges étant relativement étroites pour beaucoup, il est devenu impossible de continuer sont activité en étant rentable.

Les mutations accélérées exigées pour les objectifs climatiques obligent à revoir les plans à très court terme et tout le monde n’est pas taillé pour la course. La capacité à investir est souvent trop étroite pour assurer la pérennité de l’activité.

Le financement du cycle commercial en B to B est rendu délicat par les délais de paiements dégradés. Cela pénalise principalement les petites structure qui peuvent se retrouver asphyxiées par les retards de paiements.

Les comportements des clients finaux évoluent. Le télétravail, la baisse globale du pouvoir d’achat, les priorités, et la conscience écologique mettent une pression sur les activités classiques et créent parfois des ruptures brutales de rentabilité.

Et pour 2023 ?

Les chocs successifs de ces dernières années et les obligations climatiques accélèrent la mutation de notre économie. Cela oblige le tissu économique à s’adapter et innover à grande vitesse. Le fait de voir disparaître beaucoup d’entreprises non rentables n’est pas un problème en soi, au contraire. Une économie saine est une économie dynamique, en adéquation avec les besoins de ses clients. S’ils évoluent, il faut pouvoir les suivre … et couper les branches mortes.

Individuellement, cela peut-être douloureux. Collectivement, c’est salutaire.

A très court terme, on commence l’année par une bonne nouvelle pour le pouvoir d’achat.

Des centaines de milliers d’employés de la commission paritaire 200 verront, enfin, leurs salaires indexés. C’est la vraie bonne nouvelle. Cela va fortement rebooster le pouvoir d’achat et redonner de la confiance au consommateur. Avec la baisse relative attendue de l’inflation, cela devrait profiter à toute l’économie en générale.

Par contre, pour les employeurs c’est au mieux une diminution de marge, très souvent un facteur à corriger et parfois la goutte qui fera déborder le vase. Cela concerne 250.000 entreprises sur le 1.600.000 que compte le pays. Une minorité en nombre, mais la plus importante en terme de valeur ajoutée.

Voilà pourquoi, en 2023, on aura certainement encore plus d’entreprises qui réduiront la voilure ou fermeront leurs portes. On surveillera donc cet indicateur de plus près que celui des faillites, devenu obsolète.

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