Vos mouvements en magasin sous la loupe

De votre ticket de caisse et de votre carte de fidélité, les enseignes de la distribution tirent depuis longtemps de nombreux enseignements. Mais cela ne concerne que les articles vendus. Pas ce qui se passe en magasin. Désormais, des nouvelles solutions technologiques permettent d’observer vos faits et gestes en rayon.

Dans l’univers de la distribution, les acteurs multiplient, depuis des années, les récoltes de données au sujet de leurs clients et de leurs magasins. Les cartes de fidélité, les tickets de caisse et les bons de réductions sont autant d’informations qui permettent de dresser un portrait précis des clients et d’adapter les stratégies de vente en fonction.

Ceci dit, la plupart des enseignes, surtout anglo-saxonnes, ne se contentent pas d’emmagasiner ces données, mais étendent leurs analyses au comportement des consommateurs sur le point de vente. Elles peuvent s’y prendre par le biais d’études de panels de consommateurs, de questionnaires ou de suivis qualitatifs en magasin. Mais, depuis quelques années, un nouveau protagoniste sort son épingle du jeu : “Les acteurs de la sécurité étaient déjà sur place et le matériel déjà installé, ils ont donc voulu aller plus loin que la simple surveillance et ont progressivement commencé à apporter du comptage et, parfois, de l’analyse comportementale”, analyse Christophe Sancy, rédacteur en chef du magazine spécialisé Gondola. D’autres acteurs se sont spécialisés sur ce créneau permettant aux distributeurs d’obtenir des données précises sur le parcours des acheteurs dans le point de vente, le temps qu’ils y passent, l’intérêt pour la vitrine, etc. Les technologies pour y parvenir sont diverses : détecteurs, caméras spécialisées, eye tracking et solutions mobiles, notamment.

Neuf minutes en moyenne dans les magasins Tom & Co

Sur le marché belge, les acteurs du retail se montrent discrets sur l’éventuelle utilisation de ce type de solution. “Vis-à-vis du public, le monitoring et la surveillance ont mauvaise presse, réagit Christophe Sancy. Le consommateur nourrit beaucoup de fantasmes dans ce domaine.” A l’aube du lancement de magasins en France, l’enseigne animalière Tom & Co du groupe Delhaize a justement souhaité analyser les comportements de ses clients. Pour cela, elle a combiné différentes méthodes. D’abord, des études de marché ont été effectuées sur des panels de clients dans les différentes parties du pays. Ensuite, pour obtenir les impressions des clients potentiels en France, Tom & Co a également fait venir quelques prospects d’outre-Quiévrain pour une visite d’une heure dans un magasin Tom & Co, suivis par un psychologue spécialisé qui les a questionnés sur les couleurs ou encore le nom des produits. L’objectif ? Analyser la force de la marque et de l’offre Tom & Co par rapport au marché français. Enfin, là où l’enseigne animalière a tiré le plus d’enseignements, c’est au travers d’une série d’analyses effectuées par caméra, notamment de l’ eye tracking. Concrètement, pendant deux jours, un important dispositif vidéo a été installé dans deux magasins (en Flandre et en Wallonie) tandis qu’une quinzaine de clients, dont les yeux étaient étudiés, déambulaient entre les rayons. “Cela nous a permis de disséquer le parcours des clients, de voir leurs zones d’intérêt, le temps passé dans les différents départements ainsi que la facilité avec laquelle ils trouvaient certains produits”, détaille Lionel Desclée, vice-président opérations et développement de Tom & Co. L’étude a, par exemple, montré que les clients passaient une moyenne de neuf minutes en magasin, dont deux à la caisse. “Cela nous confronte à la réalité : on pense parfois bien faire certaines choses mais le client ne réagit pas forcément comme on le pense”, ajoute Lionel Desclée. Ces informations ont été compilées afin d’établir une nouvelle implémentation de magasins qui commencera à sortir ses effets dès la fin de l’année et, surtout, en 2012.

Cliris débarque en Belgique

Spécialisée dans les flux des clients dans les points de vente par traitement d’image, la société française Cliris, qui entend révolutionner l’analyse comportementale des shoppers, s’attaque doucement à notre marché. “Aujourd’hui, tout site Internet marchand mesure l’ensemble des données disponibles sur ses visiteurs, insiste Alexandre Zeller, fondateur et président de Cliris. On sait par quelle page ils sont arrivés, le temps qu’ils sont restés, ce qu’ils ont regardé, etc. Pourquoi ne pas mesurer ces mêmes flux pour un point de vente physique ? Surtout quand on sait qu’il s’agit du canal de vente qui coûte le plus cher et qu’il est le point de rencontre avec le client.” Pour ce faire, Cliris dispose d’une solution par caméras intelligentes (il faut compter un budget avoisinant 150 à 500 euros par mois et par point de vente) : une fois placées sur site, elles filment mais n’enregistrent aucune image. Par contre, elles sont capables, via un logiciel adéquat, de procéder en temps réel à toutes sortes d’analyses. Avec une précision de 95 %, elles peuvent ainsi définir si le sujet étudié est un homme ou une femme. Avec un peu moins de précision (environ 75 %), la technologie décèle aussi l’âge (par tranche de 10 ans) et pourrait même, en théorie, définir l’ethnie du sujet étudié, une mesure qui, à l’heure actuelle, est illégale. Mais l’objectif de Cliris consiste surtout à proposer une base de connaissance, insiste le patron de la PME française : “Nous croisons en effet nos analyses aux données du magasin et intégrons des données externes telles que la météo, les promotions des concurrents, des travaux à proximité, etc.” L’objectif ? Affiner la perception de l’organisation interne et trouver les vecteurs qui peuvent augmenter l’attractivité et, donc, le chiffre d’affaires.

Mesure de l’attractivité des vitrines

L’étude peut commencer à l’extérieur de la boutique par la mesure des flux de passants devant la vitrine. Les caméras sont placées à l’intérieur, filment les passants, les comptent et peuvent même identifier si leur regard se pose sur la vitrine et combien de temps. “Certaines boutiques misent énormément sur le renouvellement de leur vitrine, ce qui nécessite des ressources, tant financières qu’en personnel”, argumente Alexandre Zeller. Or, seuls 8 à 10 % des passants regardent effectivement les vitrines de magasins et lorsqu’une boutique en possède, elle n’a que quelques secondes pour attirer l’oeil et convaincre le chaland de modifier sa trajectoire. L’enjeu est important et l’analyse chiffrée des flux des passants permet donc de mesurer l’impact réel et l’attractivité des points de vente ainsi que le taux de transformation passants/visiteurs, d’heure en heure.

Meilleur achalandage

A l’intérieur de la boutique, les caméras disposent des mêmes facultés et permettent donc de savoir qui entre en magasin, combien de temps la personne observe tel ou tel rayon, etc. A l’inverse de l’étude des tickets de caisse, ces analyses du comportement du shopper apportent une vue sur le potentiel de vente, en ce sens qu’elles reprennent tous les clients entrants. Autrement dit, ces solutions permettent au commerçant d’avoir une vue sur le trafic dans son magasin, qui ne correspond pas forcément au nombre de clients. Et donc d’améliorer, d’une part, la communication sur le point de vente et, d’autre part, son agencement. Cela doit également lui permettre d’optimiser la présence des équipes en magasin et d’adapter éventuellement leurs horaires de travail. Au sein de la chaîne d’opticiens Afflelou, la mesure a pris tout son sens. L’analyse des flux de consommateurs dans ses points de vente, couplée aux données de planning, a incité l’enseigne à aménager les plannings hebdomadaires des équipes. Ces mesures lui auraient permis d’améliorer le taux de conversion sur des plages horaires réputées creuses. Avec pour effet une augmentation d’au moins 5 % du chiffre d’affaires des magasins concernés.

Surtout pour les enseignes spécialisées

En Belgique, la PME française ne compte pas encore de client. Mais elle attaque le marché en s’adossant à Zest, un spécialiste du design en point de vente. Un partenariat qui prend tout son sens dès lors que l’enseigne cliente désire mettre en pratique les enseignements tirés de l’analyse. “On peut récolter énormément d’informations en amont, mais il faut en aval quelqu’un qui puisse les gérer, les interpréter et, surtout, les transformer en plans d’action. C’est souvent là que ça coince”, analyse Christophe Sancy. Reste une question : les enseignes souhaitent-elles analyser le comportement de leurs clients en continu ? Rien n’est moins sûr. Pour Christophe Sancy, “il ne fait aucun doute que l’analyse par caméras a du sens pour des enseignes de mode, par exemple, dont l’animation au sein du magasin et la vitrine ont un impact sur les ventes et sur la conversion des passants.” D’autres acteurs, de l’alimentaire notamment, pourraient se montrer plus frileux. Le patron de Cliris admet, d’ailleurs, que leurs solutions principales s’adaptent surtout aux enseignes spécialisées, qui disposent d’une vitrine et qui sont situées dans des zones fort fréquentées. Les grandes surfaces, qui sont une destination en soi, ne connaissent pas les mêmes enjeux. Pour Lionel Desclée de Tom & Co, ces techniques se révèlent surtout pertinentes “au moment où l’on réfléchit à un nouveau positionnement ou à de nouveaux concepts. Mais notre métier, c’est la vente, pas l’analyse de données ! Or, ce type de système génère beaucoup d’informations à traiter et je ne pense pas que nous pourrions nous y consacrer de manière permanente.”

Traqué par votre GSM ?

Plus récente, une solution technologique complémentaire d’analyse de flux se lance sur le marché belge. Depuis 6 mois, Amoobi, une spin off de l’ULB, propose aux enseignes un système d’analyse de flux par géolocalisation. De petits boîtiers placés en magasin peuvent détecter à chaque instant, via le GSM des clients, la position du consommateur dans la boutique. L’avantage ? “Sauf exception, quand une personne filmée par une caméra quitte le champ et entre dans le champ d’une autre caméra, elle n’est pas reconnue, détaille Olivier Delangre, fondateur d’Amoobi. Cela implique que le trajet du client en rayon n’est pas suivi de A à Z. Via notre système, on peut le faire.” Par contre, le système n’offre absolument aucune information sur la personne : ni sexe, ni tranche d’âge. “Une garantie pour la vie privée du consommateur”, se défend Olivier Delangre, qui admet qu’en toute logique, les deux solutions pourraient être utilisées de manière complémentaire. La start-up réalise actuellement ses premiers tests…

Christophe Charlot

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