Barcelone, la nouvelle Silicon Valley ?

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Barcelone s’affirme de plus en plus comme un hub international pour les technologies et les start-up. La capitale catalane offre un impressionnant écosystème dans lequel starters en ICT, fonds d’investissement, incubateurs et grandes entreprises se grandissent mutuellement.

De son tout nouveau bureau dans le Palau de Mar magnifiquement restauré, Miquel Marti a une vue imprenable sur le port et la vieille ville. Marti est le CEO de Barcelona Tech City, un cluster faîtier d’entreprises, d’incubateurs et d’instances publiques, dont le but est de faire de Barcelone le hub technologique sur le marché international. Le récent déménagement de l’organisation vers le prestigieux lieu historique est symbolique de la hauteur de l’ambition de la ville à devenir la nouvelle capitale de l’IT et des technologies du sud de l’Europe.

Que cette ambition n’est pas une chimère, les chiffres dont Marti nous a bombardés pendant une bonne heure le prouvent. Barcelone abrite quelque 2.200 sociétés technologiques et internet et a plus de 200 parcs technologiques et des centres de recherche scientifique de renom international. Des dizaines de milliers de personnes majoritairement jeunes et hautement qualifiées y travaillent dans le vaste secteur technologique. Beaucoup sont des acteurs petits à moyens comme Skyscanner, Wallapop et Softonic, mais des géants comme King, Airbnb et Vistaprint ont aussi choisi Barcelone comme siège européen ou mondial.

“Jusqu’il y a peu, on trouvait surtout beaucoup de call centers et de centres de services”, se souvient Marti. “Aujourd’hui, Barcelone croît à une vitesse de TGV en une ville où se crée énormément de valeur ajoutée et où des capital-risqueurs étrangers ouvrent de plus en plus facilement leur portefeuille. Rien que l’an dernier, l’écosystème technologique a mobilisé un milliard d’euros ici. Certains qualifient déjà Barcelone de nouvelle Silicon Valley. C’est quelque peu exagéré, mais on ne peut pas ignorer que la ville est devenue l’un des principaux hubs technologiques d’Europe. C’est en premier lieu dû au développement d’un mix réussi d’incubateurs, de jeunes talents étrangers, de capital-risqueurs et de grands noms internationaux.

“Les salaires et les prix sont en outre toujours particulièrement compétitifs à Barcelone”, déclare Marti. “Des techniciens bien formés gagnent ici moins qu’à Londres ou Amsterdam, mais la vie est ici également beaucoup moins chère. Et plus agréable (il sourit). Si une grande société technologique internationale désire s’installer en Europe, Barcelone fait toujours partie du top de la liste des favoris. Même si le cadre fiscal et légal n’y est pas encore optimal. Mais nous y travaillons sérieusement depuis quelques décennies déjà, et nous en récoltons maintenant doucement les fruits.”

Offres d’emploi

Notre compatriote Christoph Brughmans est un exemple de la force d’attraction que Barcelone exerce sur les talents de pointe internationaux. Après son MBA, il n’a pas quitté la ville. Il y a fondé la société de marketing en ligne Addiliate. Celle-ci compte déjà dix-sept collaborateurs, de toutes sortes de nationalités. “Ils ont tous un diplôme universitaire, et souvent même deux”, dit-il. “En brut, ils gagnent moins que ce qu’ils amasseraient ailleurs en Europe, mais en net, ils gardent cependant plus main. Nous recrutons via Linkedin. Toutes les personnes que nous recrutons doivent parler parfaitement l’anglais, parce que nous faisons la majorité de notre chiffre d’affaires hors Espagne.”

“Ces dernières années, j’ai vu se regrouper ici un contingent gigantesque de talents étrangers. Ce vivier de talents est peut-être bien le plus important facteur d’attractivité pour nombre de grandes sociétés technologiques, mais il est aussi un terreau fertile pour les start-up, qui sortent ici du sol comme des champignons. Les entreprises technologiques sont attirées par le talent, pas le contraire. À Barcelone, il y a en outre aussi deux grandes écoles de business, qui font partie du top européen. Chaque année, des milliers d’étudiants y sont diplômés, dont pas mal d’étrangers qui restent volontiers vivre ici par la suite.”

Au gré des normes européennes, Barcelone est une ville très bon marché. Le climat est ici fantastique, la qualité de vie à l’avenant. Dans le centre de Londres, pour 1.000 euros on obtient au mieux une belle chambre, ici pour ce prix vous avez un bel appartement. Dans les meilleurs quartiers de Barcelone, le prix du mètre carré pour un appartement varie autour de 5.000 euros. À Chelsea (quartier le plus cher de Londres, NDLR), c’est deux fois autant. Ce mix attrayant de qualité de vie, de talents et d’offres de formation a attiré ces deux à trois dernières années beaucoup de grandes entreprises. En général, elles obtiennent la majeure partie de leur chiffre d’affaires de l’étranger, ou alors elles ne sont même pas du tout actives sur le marché espagnol. Elles établissent pourtant leur maison-mère européenne ou internationale à Barcelone. De ce fait, des centaines de postes vacants ne parviennent plus à être pourvus. Ce qui provoque aujourd’hui doucement une pression à la hausse sur les salaires.”

Letgo, une appli américaine pour l’achat et la vente d’articles de seconde main, a levé 100 millions d’euros en 2015 à Barcelone. Des dizaines d’autres starters ont achevé avec succès des levées d’investissement jusqu’à 20 à 50 millions. Airbnb, qui a également son siège européen à Barcelone, a acquis le mois dernier la start-up locale Trip4real. “Les start-up ont ici beaucoup plus accès au capital d’investissement qu’il y a quelques années”, témoigne Christoph Brughmans. “Bien sûr, une réaction en chaîne est aussi à l’oeuvre. Ce qui manque encore vraiment comparativement à la scène technologique de Londres et de Berlin, c’est du capital à risque espagnol. La plupart des grandes entreprises obtiennent de l’argent auprès de fonds d’investissement étrangers. Un fonds local gère maximum 100 millions d’euros. C’est bien sûr peanuts en comparaison avec ces grands acteurs internationaux.”

Héros locaux

“Lorsque l’agence pour l’entreprise Barcelona Activa a été créée en 1986, l’entrepreneuriat devait encore être inventé ici”, se souvient Mateu Hernandez. Il est le CEO de Barcelona Global – une plateforme dont le but est de promouvoir le développement économique de la ville – et avant cela, il a été directeur de Barcelona Activa pendant de longues années. “Le taux de chômage de la ville s’élevait alors à 25%. Le conseil municipal a lourdement misé sur le soutien pratique et financier des jeunes petites entreprises et des entrepreneurs. Il a créé une poignée d’incubateurs. Fin des années nonante, cette politique a commencé à porter ses premiers fruits. Certaines sociétés locales – surtout dans le secteur des télécoms – sont doucement devenues des local heroes et ont créé pas mal d’emplois. Une génération entière de nouveaux entrepreneurs en est issue: ils ont soudainement perçu comment on devait entreprendre et ce que cela pouvait générer.

“Une ville ne devient pas par hasard un hub d’entrepreneurs. C’est une histoire de nombreuses années. En tant que hub technologique européen, nous ne nous situons pas encore au niveau de Londres, mais nous faisons toutefois partie du top européen. Barcelone est devenue une marque forte et toujours plus de grandes entreprises étrangères désirent s’implanter ici. Elles y trouvent beaucoup de jeunes talents, locaux et étrangers. Ici vivent des milliers de Français qui en avaient assez de la bureaucratie française, une masse d’Anglais et de Suédois qui n’en pouvaient plus du climat dans leur pays, et des Italiens capables d’apprécier la combinaison de la dolce vita méditerranéenne et de l’efficacité ouest-européenne (il rit).”

“Prenons l’exemple de King. C’est une des plus importantes sociétés de gaming du monde, qui a sa maison-mère à Stockholm. Elle a ouvert un siège à Barcelone pour le sud de l’Europe, qui est déjà beaucoup plus grand que le siège central en Suède. Comment cela se fait-il ? Leurs employés hautement qualifiés préfèrent de loin travailler et habiter ici plutôt qu’à Stockholm.”

Handicap fiscal

Tout n’est pourtant pas tout rose dans la capitale catalane, reconnaît Mateu Hernandez. “La complexité du système fiscal reste une entrave. Beaucoup d’investisseurs étrangers ne comprennent pas pourquoi il existe encore un impôt sur le patrimoine ici. Ensuite, nous devons attirer encore plus de capital étranger. Dans cette perspective, un certain nombre de mesures du nouveau conseil municipal pour interdire certaines activités économiques, comme la construction de nouveaux hôtels, n’est pas la meilleure publicité.”

Mais selon Brigitte Verkinderen, la directrice de la chambre belge de commerce à Barcelone, le rôle que le conseil municipal et les autorités régionales ont joué au cours de la dernière décennie n’est pas à sous-estimer. “Je vis déjà depuis quelques bonnes années dans cette ville. Je ne peux être qu’admirative de l’approche visionnaire qui a profondément changé Barcelone au cours de cette période. Cela se manifeste dans de nombreux domaines, de la politique de mobilité bien pensée à l’administration fiscale très efficiente. Celle-ci est entièrement numérisée ici, le travail au noir est presque devenu impossible. La création d’une entreprise est un jeu d’enfant et vous coûte 1.004 euros tout bien compté. Les starters obtiennent des taux d’imposition avantageux et la ville a lourdement misé sur l’attraction de capitaux étrangers ces dernières années.”

“Le revers de la médaille, ce sont les loyers et les prix de l’immobilier en forte croissance. En un an de temps, les maisons et les appartements sont devenus 11% plus chers, mais les entreprises ne s’en soucient pour l’instant pas vraiment. Nous recevons de plus en plus de demandes de sociétés belges qui désirent s’installer à Barcelone.”

Filip Michiels à Barcelone

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