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Des monnaies et des dieux

La monnaie représente, pour tout humain, un moyen de transaction, mais aussi de thésaurisation et d’emprunt. Ces fonctions de la monnaie permettent de reporter dans le temps ou, au contraire, d’anticiper la consommation.

C’est d’ailleurs pour cette raison que la stabilité de la monnaie, c’est-à-dire le maintien du pouvoir d’achat, est un objectif premier de nos gouvernants, d’autant qu’elle n’est désormais plus garantie par un étalon métallique, tel l’or… mais par la confiance qu’on attribue à ces mêmes gouvernants.

La monnaie est désormais fondée sur l’intensité d’un rapport collectif de confiance qui crée une relation entre les hommes au travers des choses. Pour cette raison, le phénomène reste obscur. La monnaie doit s’adosser à un référent qui excède ce qu’elle garantit. Il faut une réciprocité de la qualité de la confiance et de la quantité de monnaie. A l’époque où elle était une marchandise, il s’agissait d’une capacité d’exploitation ou d’extraction (mines d’or, argent, etc.).

Sous cet angle, le monopole d’extraction et de frappe étatique, qui correspond au droit régalien de battre monnaie et d’exiger un seigneuriage, émet un “avertissement” portant sur l’exclusivité de la formulation monétaire. Dans le cas d’une monnaie fiduciaire, le garant est un état de confiance. Ceci explique que la monnaie ait été capturée par les Etats.

Dans cet immense dédale conceptuel, l’origine étymologique du terme “monnaie” est un indice intéressant.

La monnaie ramène au Palais de la Moneta, où les pièces romaines étaient frappées. La légende veut que ce bâtiment fut construit à l’endroit où les oies du Capitole étaient parquées. Leurs cacardements auraient prévenu de l’invasion de Rome par les Gaulois, au quatrième siècle avant Jésus-Christ.

Mais le Palais de la Moneta abritait aussi le culte de la déesse Junon, l’archétype de la déesse cosmique, qui promet prospérité et fécondité.

Cela nous évoque ce que Marx (1812-1883) énonçait dans sa théorie du Capital, à savoir que le seul but de la circulation monétaire est d’assurer sa propre reproduction. Junon était d’ailleurs appelée Junon Moneta (c’est-à-dire Junon qui prévient) car la déesse aurait averti les Romains d’un tremblement de terre imminent.

Mais alors, de quoi la monnaie — qui assure la reproduction — nous avertit-elle ? Qu’y a-t-il derrière le phénomène monétaire ? Le pâle reflet d’imparfaites et éphémères conventions humaines ? Une tentative de mesure dégradée du temps ? Une hallucination collective choisie ? Le néant ? Une plongée dans son côté sombre ou plutôt une tentative de maquillage de ses ténèbres ?

La Bible enseigne qu’on ne peut servir deux maîtres à la fois, Dieu et la monnaie. Cette affirmation rappellerait-elle que ces derniers sont peut-être de fragiles équivalents sociologiques ou, au contraire, des formulations antagonistes ? La monnaie serait-elle nécessaire à la divinité, puisque toute religion est fondée sur la charité et le don… de monnaie. Dieu et la monnaie ne seraient-ils alors finalement que deux artefacts ?

Je ne sais pas. C’est parce que j’ai eu peur de découvrir l’inanité du phénomène monétaire que je me suis dit que les monnaies ressemblaient aux dieux : elles n’existent que le temps de rassembler des adeptes.

Et qu’il faut mourir assez tard avant de savoir que Dieu n’existe peut-être pas, et assez tôt avant de savoir que la monnaie ne vaut peut-être rien.

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