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Contrôle, confiance et lâcher-prise

Quand on analyse l’émergence des réseaux sociaux sur Internet, on se rend compte à quel point la notion même de réseau induit une modification profonde de nos pratiques managériales.

Les réseaux sociaux ont la cote : la valorisation actuelle de Facebook est estimée à près de 100 milliards ; LinkedIn, Blue Kiwi et autres instruments de mise en réseau s’infiltrent dans les entreprises ; intelligence collective, co-working sont à la mode… Or, quand on analyse l’émergence des réseaux sociaux sur Internet, on se rend compte à quel point la notion même de réseau induit une modification profonde de nos pratiques managériales. Directeur du laboratoire d’intelligence artificielle de l’ULB, Hugues Bersini explique comment des biologistes, tels Humberto Maturana et Francisco Varela, en sont venus à concevoir le vivant comme un système auto-poïétique, c’est-à-dire organisé comme un réseau de processus qui produit ses propres composants et qui engendre continuellement sa propre organisation.

Les systèmes sociaux humains peuvent-ils dès lors être qualifiés d’auto-poïétiques ? L’affirmer est hasardeux, car les systèmes sociaux humains sont des méta-systèmes, qui n’existent pas seulement dans le domaine physique mais aussi dans un domaine social symbolique, et dont les composants – les êtres humains – ont beaucoup plus d’autonomie que les composants du corps de ces mêmes êtres. Pour ces raisons, Maturana et Varela ont exprimé des réserves à l’égard de l’application de leur théorie aux systèmes sociaux. Mais cela n’a pas empêché certains penseurs d’utiliser ces théories biologiques pour jeter un regard nouveau sur les pratiques managériales.

Or, comme le remarque Thierry Paquot, philosophe et spécialiste en urbanisme, lorsqu’on commence à penser un système social (une entreprise, une ville,…) comme un rhizome (un réseau d’innombrables relations sans limites claires ou définitives), on comprend vite que le management doit mettre moins l’accent sur la structure de l’organisation et plus sur le bon fonctionnement de son réseau de relations, internes et externes. Vouloir forcer les relations entre les composants en établissant une structure rigide (une hiérarchie) peut donc être une erreur : les systèmes vivants qui se maintiennent dans le temps n’ont pas une structure figée, mais changent de forme et s’adaptent, tout en restant fidèles à leur mission. Par ailleurs, la mise en oeuvre de mécanismes de contrôle rigoureux et la description trop rigide des rôles peut restreindre la créativité des membres de l’organisation : le système social qu’est l’organisation régresse alors dans son niveau de complexité et va à l’encontre de sa propre évolution.

Renoncer à la maîtrise ?

Dans Leadership & the New Science, Meg Wheatley résume bien l’enjeu : “Nous avons créé des problèmes dans nos organisations en confondant le contrôle et l’ordre. (…) Si les organisations sont des machines, le contrôle a un sens. Mais si elles sont des réseaux de processus, chercher à imposer un contrôle au moyen d’une structure permanente est suicidaire. (…) Nous devrons cesser de décrire les tâches et plutôt faciliter les processus. Nous devrons devenir maîtres dans l’art de créer des relations, de favoriser la croissance et l’évolution des systèmes. Nous devrons développer notre capacité de communiquer et de favoriser le travail d’équipe.” Or, tout cela implique pour les managers de renoncer à la volonté de maîtrise qui est pourtant, pour ainsi dire, leur raison d’être. Comment faire ?

Dans From Chaos to Confidence, Susan Campbell indique la voie à suivre : “pour construire des relations de confiance, nous devons communiquer notre intention d’apprendre des autres, et non de les contrôler. La confiance est le ciment qui rend possible une réelle collaboration et un travail d’équipe”. Ainsi, comme dans un organisme vivant, la clé du succès réside dans le fait que chaque composant participe à la “formation” des autres composants du système. Cela exige à la fois de la modestie et de la bonne volonté pour écouter, essayer de comprendre et faire confiance à des gens qui vivent une même expérience à des niveaux différents. Mais quand les relations sont créées et que des interactions continues s’établissent entre les acteurs, on voit apparaître des solutions créatives qu’aucune structure n’aurait jamais pu engendrer.

Si cela vous paraît trop beau pour être vrai, relisez l’article de Gary Hamel, Débarrassons-nous de tous ces managers, paru ce 26 janvier dans Trends-Tendances. Hamel y montre comment MorningStar, la plus grosse entreprise au monde de transformation de tomates (400 employés à temps plein ; 700 millions de dollars de revenus par an) fonctionne sans aucune hiérarchie, grâce à un dense réseau de “lettres d’entente entre collègues” que chaque employé négocie tous les ans avec les collaborateurs les plus concernés par son travail. Alors, convaincu de “penser réseau”, de passer du contrôle à la confiance ?

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