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Comment rouvrir un système fermé ?

“Dans l’économie mondialisée, le système économique est fermé alors que les théories économiques partent encore du postulat que le système est ouvert et ne connaît pas de limite.” Tel est, selon le “serial entrepreneur” Baudouin Dubuisson, l’une des clés essentielles pour comprendre la multiplicité et l’intensité croissante des crises que connaît le système.

“Dans l’économie mondialisée, le système économique est fermé alors que les théories économiques partent encore du postulat que le système est ouvert et ne connaît pas de limite.” Tel est, selon le “serial entrepreneur” Baudouin Dubuisson, l’une des clés essentielles pour comprendre la multiplicité et l’intensité croissante des crises que connaît le système.

Que les théories économiques aient été conçues depuis Adam Smith sur l’hypothèse d’un système ouvert n’a rien d’étonnant : celle-ci était indispensable pour que le paradigme économique mécaniste puisse fonctionner en théorie (les déséquilibres sont “exportés” hors du système). En effet, l’observation du vivant montre que les systèmes ouverts sur leur environnement sont capables de se régénérer et de s’adapter tandis que les systèmes fermés sont condamnés à mourir, étouffés par leur entropie, c’est-à-dire un désordre grandissant entraîné par leur complexité croissante.

Or, avec la mondialisation, le système économique s’est fermé : il n’y a plus de système économique “extérieur”. Selon les lois de l’entropie, il n’arrive dès lors plus à croître qu’en sophistiquant son organisation. Cela a deux effets pervers : la concentration des sites de production et son corollaire, la multiplication des échanges qui entraîne une consommation explosive d’énergie fossile et une pollution croissante. A titre d’exemple, les composants d’un pot de yaourt parcourent 9.000 km alors que chacun peut produire son yaourt à domicile.

Face au désordre et à l’instabilité que ce système fermé génère, intégrer la dimension écologique devient, selon Dubuisson, “la seule chance de survie pour l’économie de marché en ouvrant le système économique sur le système écologique”. Pour ce faire, il prône de compléter la comptabilité financière des entreprises par une comptabilité environnementale normalisée : celle-ci devrait permettre de mieux calculer la valeur ajoutée des activités économiques sans négliger les valeurs soustraites (liées à l’utilisation des ressources finies de la planète). L’agglomération des bilans financiers et environnementaux pourrait se faire au niveau de la banque nationale. Cela permettrait de disposer d’un réel cadastre des nuisances et d’être en mesure de mener enfin des politiques coordonnées en la matière.

Le plaidoyer de Dubuisson s’inscrit bien dans la logique d’une science qui a à peine une quinzaine d’années, l’écologie industrielle, et dont le nom même évoque spontanément une contradiction dans les termes, un oxymore comme “obscure clarté”.

“Cette réaction spontanée vient de l’habitude que nous avons de considérer le système industriel comme séparé de la biosphère”, explique le professeur Erkman, de l’Université de Lausanne, qui a animé avec Dubuisson notre dernier séminaire en date. Dans cette vision cloisonnée, les environnementalistes s’affairent à minimaliser l’impact du système industriel sur son “dehors”, les écosystèmes “naturels”. Mais le fonctionnement du système industriel reste encore souvent extérieur au champ de l’analyse.

L’écologie industrielle explore l’hypothèse inverse : elle envisage le système industriel comme un cas particulier d’écosystème qui peut être décrit comme une certaine configuration de flux et de stocks de matière, d’énergie et d’information (appelée “métabolisme industriel”), tout comme les écosystèmes biologiques ; et il repose tout entier sur les ressources et les services fournis par la biosphère, dont il constitue une excroissance.

Ce changement de perspective “philosophique” a des conséquences pratiques : il permet d’entrevoir l’insuffisance des approches qui se concentrent sur le traitement de la pollution par le biais de dispositifs techniques intervenant généralement en fin de processus ( end of pipe) pour tenter de maintenir les perturbations de la biosphère à un niveau acceptable. Au contraire, l’écologie industrielle intègre et subordonne l’approche end of pipe et les diverses méthodes de prévention de la pollution à une perspective plus large et plus innovante.

Le professeur Erkman distingue ainsi quatre grandes stratégies d’éco-modernisation du système industriel.

1. Boucler : recyclages, symbioses éco-industrielles et économie quasi-circulaire.

2. Etanchéifier : minimisation des pertes dissipatives durant tout le cycle de vie des produits et des services.

3. Dématérialiser : découplage des activités économiques et de la consommation des ressources matérielles (exemple : vente de la fonction au lieu du produit).

4. Equilibrer : décarbonisation de l’économie en réduisant progressivement sa dépendance au carbone fossile.

Les pistes pratiques qu’induit la reconceptualisation du système industriel en termes d’écosystèmes ne doivent pourtant pas nous faire perdre de vue les changements radicaux qu’elle peut avoir pour d’autres disciplines : l’économie, la gestion, le droit, la géographie, la philosophie. L’un de ses apports principaux ne pourrait-il pas être de tempérer les dérives de l’écologisme politique, toujours prompt à propager des demi-vérités, séduisantes mais trompeuses car issues d’une vision idéalisée de la nature ?

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