Trends Tendances

“Wirecard, l’Enron européen”

On reste encore abasourdi devant l’ampleur du scandale Wirecard. La déconfiture de la principale fintech allemande, dont la valeur a culminé à 24 milliards d’euros en 2018, fait penser avec effroi à une version européenne d’Enron et nous interroge à nouveau, à 20 ans d’écart, sur le rôle des autorités de contrôle, des agences de rating, des administrateurs et des réviseurs. Arthur Andersen ne se remettra jamais de l’affaire Enron. Et aujourd’hui, EY, le réviseur de Wirecard, est sur la sellette.

Au début, il y a une société technologiquement innovante dont le développement fulgurant, dans de nouveaux marchés et au grand international, ressemble à un conte de fées. Cela rappelle Enron et son nouveau modèle de trading dans le domaine de l’énergie, ou Lernout et Hauspie et son logiciel de reconnaissance vocale. Wirecard, dont l’essentiel du métier était de jouer l’intermédiaire entre les commerçants et les émetteurs de cartes de crédit, avait des filiales en Asie (notamment aux Philippines) qui pesaient lourd dans son bilan parce qu’elles étaient censées être gorgées de cash… Une enquête des journalistes du Financial Times démontrera que le gros des profits provenait d’un tour de passe-passe comptable avec trois sociétés partenaires, basées aux Philippines, Singapour et Dubaï.

Le plus remarquable, dans cette histoire,est que les mauvaises rumeurs à l’encontre du groupe allemand remontent à une dizaine d’années déjà. En 2008, un lanceur d’alerte, ” memyselfandi007 “, avait déjà accusé de blanchiment Wirecard, alors spécialiste des paiements pour les jeux en ligne. En 2015, le Financial Times publiait un récit sur les opacités comptables du groupe. En février 2016, un mystérieux bureau de recherche, Zatarra, travaillant vraisemblablement pour des spéculateurs, accusait à nouveau la société de se livrer à du blanchiment via les paiements des jeux en ligne. Et trois ans plus tard, le Financial Times, encore une fois, publiait une série d’articles sur les mystérieuses filiales asiatiques du groupe. Pourtant chaque fois, les autorités allemandes ont lancé une investigation… contre les lanceurs d’alerte accusés de vouloir manipuler le marché !

En septembre 2019, Wirecard pouvait encore lever des centaines de millions parce qu’un mois auparavant, elle avait reçu une bonne note financière (Baa3) de l’agence Moody’s… Moody’s saluait les importantes parts de marché, les belles marges, le modèle d’affaires peu gourmand, la diversité de la base des clients du groupe…

Pendant toutes ces années, EY,le réviseur appointé, a validé les comptes. Le piège ne s’est refermé qu’il y a quelques mois. Wirecard a été obligé, face aux rumeurs persistantes, d’engager un auditeur indépendant, KPMG, qui en avril n’a pu attester la validité du bilan. EY, du coup, a refusé de valider les comptes 2019.

On s’apercevra alors que le 1,9 milliard d’euros censé se trouver dans les comptes de la filiale philippines ne s’y trouvait pas. Il y avait à la place ” à peine quoi acheter un iPhone “, dira un témoin. Personne n’avait auparavant pensé à aller jeter un oeil sur les dépôts du groupe. Et ce n’est que le 5 juin que la justice allemande se décidera à perquisitionner les bureaux munichois de la fintech.

Si ce scandale ébranle tant, c’est non seulement en raison de la complaisance des autorités allemandes à l’égard d’un de leurs plus flamboyants fleurons et de l’incurie des auditeurs, c’est aussi parce qu’il touche le coeur du système de paiement digital, dont le développement s’est encore intensifié avec la crise du Covid-19.

Il est urgent d’en tirer les leçons. Après ces 20 dernières années, après les krachs des actions technologiques, puis des titres bancaires, puis des dettes souveraines de certains pays européens, il est crucial d’éviter un accès de défiance dans la monnaie et les paiements eux-mêmes. Et pour cela, il n’y a pas d’autre choix que de renforcer les moyens et les devoirs des réviseurs, et de remettre les clés de la supervision à un seul gendarme européen qui ne sera pas tenté de faire passer un chauvinisme mal placé avant la stabilité financière.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content