Vers une nouvelle crise bancaire ?

© Image Globe / ARNE DEDERT

Le marché monétaire s’assèche pour les banques européennes. Elles-mêmes préfèrent d’ailleurs parquer leurs liquidités une nuit auprès de la BCE plutôt que de les prêter aux collègues. Allons-nous connaître une nouvelle crise bancaire ?

La confiance. La notion essentielle dans le monde financier. Et lors-qu’il n’y en a plus, tout peut arriver. Y compris l’impensable : des banques qui ferment le robinet, des banques qui font faillite. Des banques solides et suffisamment capitalisées sont le meilleur garant de cette confiance, a déclaré la directrice générale du FMI Christine Lagarde, ce week-end à Jackson Hole. Aussi a-t-elle plaidé pour une recapitalisation des banques européennes, si nécessaire, par le biais du fonds de soutien européen, le FESF. Ce n’est pas par hasard si Christine Lagarde tient ces propos aujourd’hui. Ces dernières semaines, un certain nombre de feux rouges comparables aux signaux d’alarme de 2008 se sont mis à clignoter sur les marchés financiers. A l’époque, le déclencheur avait été la faillite de Lehman Brothers, à la suite de quoi les banques ne se sont plus fait mutuellement con-fiance. Nul se savait où les risques se situaient exactement ni quel collègue banquier détenait des actifs toxiques ni de quels actifs toxiques il s’agissait. Les marchés monétaire et interbancaire se sont alors fermés et plusieurs établissements (en Belgique, Fortis Banque et Dexia, entre autres) ont été confrontés à des problèmes de liquidité et de financement.

Aujourd’hui, les banques sont à nouveau aux prises avec des problèmes de financement. Ces dernières semaines, les banques italiennes, par exemple (voir graphique), ont dû emprunter beaucoup plus que d’habitude auprès de la Banque centrale européenne, ce qui implique qu’elles n’ont pas trouvé l’argent sur le marché. Et l’on a davantage eu recours à l’ emergency facility de la BCE (2,25 % de taux d’intérêt contre 1,5 % pour le refinancement hebdomadaire classique). De plus, les banques ont préféré parquer leurs liquidités excédentaires auprès de la BCE plutôt que de les prêter (à un taux supérieur) à des collègues. Et les primes CDS ( credit default swap) qui offrent une assurance contre le défaut de paiement d’établissements financiers ont atteint des niveaux record. Et comme si tout cela ne suffisait pas, on relève encore qu’une banque européenne a dû emprunter 500 millions de dollars auprès de la BCE. Cela ne s’était plus produit depuis le début de l’année et peut indiquer que les banques européennes ont plus de mal à se procurer des crédits en dollars.

Les Américains se retirent

Or c’est là que se situe déjà un problème important. La plupart des banques européennes, et surtout les banques françaises, sont fortement dépendantes du financement à court terme et cet argent est en grande partie obtenu auprès de fonds américains du marché monétaire (semblables à nos sicav de trésorerie, les money market funds achètent des titres à court terme comme des obligations d’Etat et du papier commercial et sont un important pourvoyeur de liquidités au secteur financier). Les Américains se posent cependant de sérieuses questions sur la manière dont l’Europe s’attaque à la crise de la dette publique et sur les grands portefeuilles d’obligations d’Etat contaminées qui figurent au bilan des banques européennes. C’est pourquoi ils réduisent progressivement leur exposition et sont de moins en moins disposés à fournir de l’argent aux banques européennes. “Les fonds monétaires US ne sont plus très intéressés par le papier des banques européennes”, note un trader. Surtout les banques françaises sont tombées en disgrâce auprès des Américains.

Un spécialiste du marché monétaire belge esquisse la situation : “Au bilan des banques européennes figurent pas mal d’actifs en dollars qu’elles doivent aussi financer en dollars. Ce financement se fait normalement via l’émission de papier commercial (Ndlr, des titres de créance à court terme non couverts) par leurs filiales américaines. Mais les Américains sont tellement méfiants qu’ils ont resserré les lignes de crédit. Non seulement ils mettent moins d’argent à disposition mais ils réduisent aussi la durée des prêts. En pratique prévaut une durée maximale de sept jours, et dans certains cas, la règle est le financement overnight, c’est-à-dire, au jour le jour”. Se pose alors la question de savoir si dans ce contexte, les banques européennes sont capables de se financer à suffisance. Selon différentes sources, la réponse est positive et à chaque fois, il est fait référence aux instruments de financement que la BCE met à la disposition des banques. Il y a en premier lieu, en collaboration avec la Fed, la Term Auction Facility (TAF) qui permet aux banques de se procurer des dollars en donnant du papier européen en garantie. Le problème est que ce fonds est seulement destiné à faire face à des cas d’urgence et que les banques qui y font appel sont montrées du doigt. C’est ce qui s’est produit voici une semaine, lors-qu’une banque anonyme a eu recours à cet instrument pour obtenir 500 millions de dollars.

“Cela a provoqué un fameux remue-ménage, poursuit ce spécialiste du marché monétaire belge. A tort. 500 millions de dollars, ce sont des broutilles. Selon moi, c’est simplement une banque qui a fait un essai. Le système fonctionne-t-il ? Suis-je prêt sur le plan opérationnel pour m’en servir ? Lorsque des banques veulent se procurer des dollars, elles disposent d’autres possibilités : s’approvisionner en euros auprès de la BCE et les convertir en dollars sur le marché swap. Le marché swap est encore toujours très liquide.” Les traders font cependant remarquer que ce type de transactions devient plus cher.

Méfiance interbancaire

L’argent circule aussi beaucoup plus difficilement entre les banques elles-mêmes, ce qui traduit une méfiance réciproque croissante. Pourtant, selon différents économistes et banquiers, il n’est pas question d’une crise de liquidité. “La BCE injecte suffisamment d’argent dans le système. C’est ce qui ressort des sommes gigantesques qui sont déposées la nuit via le mécanisme de “facilité de dépôt” auprès de la BCE. La semaine passée, cette somme dépassait les 100 milliards d’euros chaque jour. C’est en fait de l’argent excédentaire mais manifestement, personne ne veut courir le risque d’être une contrepartie”, constate un banquier belge.

Il y a donc bien assez de liquidités sur le marché mais le problème est qu’elles ne circulent pas. Les banques sont devenues très réticentes à l’idée de se prêter de l’argent. Elles se sont remises à constituer des réserves et ce n’est pas un bon signe. Si le taux interbancaire n’a peut-être pas augmenté de façon spectaculaire, les durées, par contre, ont été fortement raccourcies. Le banquier est très clair : “A plus de trois mois, il n’y a tout simplement pas d’argent disponible ni sur le marché des capitaux ni sur le marché interbancaire.” Il s’ensuit que des sommes de plus en plus importantes doivent être refinancées à très court terme et cela accroît naturellement les risques.

“Les banquiers ne se font plus confiance parce que leurs comptes sont truffés d’actifs toxiques, signale Ivan Van de Cloot, du think tank Itinera. Pas des subprimes comme en 2008 mais des obligations d’Etat à haut risque cette fois (Ndlr, des obligations de pays de la périphérie de la zone euro). En 2008, le marché ne savait pas où se trouvait le risque mais aujourd’hui, grâce aux stress tests, on connaît clairement les banques qui sont les plus menacées. C’est pourquoi je ne parlerais pas d’une mé-fiance générale mais d’une méfiance spécifique à l’égard de certaines banques zombies.”

La BCE est divisée

Pour Ivan Van de Cloot, les choses sont claires : la BCE soutient tant les banques zombies que l’ensemble du système bancaire européen. “Ce devrait être rassurant, ajoute l’économiste d’Itinera, mais les marchés ont des doutes. Divers indicateurs se trouvent aux mêmes niveaux de risque que ceux enregistrés juste après la faillite de Lehman Brothers. Cela montre que les marchés ne font plus confiance à la BCE. Notamment parce que Jean-Claude Trichet a assoupli les normes fixées pour le rachat des obligations grecques et a ainsi galvaudé sa crédibilité. Par ailleurs, il y a de plus en plus de signaux indiquant une forte division au sein de la BCE. La Bundesbank fait clairement savoir qu’elle n’est pas d’accord avec le rachat d’obligations espagnoles et italiennes par la BCE. On n’avait jamais vu une telle motion de défiance dans l’histoire de l’institution.”

Devons-nous alors craindre une nouvelle débâcle pour les banques européennes confrontées à un déficit de caisse et à un déficit de financement ? On ne semble pas en être là, du moins pas dans les prochains mois. Une étude de Morgan Stanley révèle qu’au cours du premier semestre 2011, les banques européennes se sont déjà procuré 90 % de leur besoin de financement à moyen et long termes. Et en principe, le marché pour le financement à long terme doit se rouvrir en septembre. C’est ainsi qu’à la fin de la semaine passée, le groupe néerlandais ING a réussi à vendre pour 1,75 milliard d’euros d’obligations sécurisées ( covered bonds). C’était la première émission d’obligations de cette am-pleur depuis le début de l’été. Selon les analystes, c’est un signe qu’il y a encore des investisseurs qui veulent investir à long terme dans les banques européennes.

“Le marché est ouvert mais pas pour tout le monde. Il l’est pour la bonne banque qui vend au bon prix et avec la bonne garantie, déclare un trader. Cela fait déjà quelque temps que le marché obligataire reste sourd aux propositions des banques grecques, portugaises et irlandaises. Elles sont de facto maintenues liquides par la BCE. Par ailleurs, un certain nombre d’analystes sont convaincus que les banques italiennes, espagnoles et françaises vont aussi rencontrer plus de difficultés à trouver de l’argent dans les prochains mois. Bert Bruggink, CFO de Rabobank, a déclaré dans le Wall Street Journal que la banque néerlandaise avait déjà décliné des demandes de financement de banques espagnoles et d’autres banques du sud de l’Europe. “Et ces dernières semaines, nous sommes encore devenus plus réticents”, admet-il.

La pression va augmenter

Bref, les banques ont du mal à se procurer des liquidités. A moins qu’elles ne bénéficient d’une notation AAA, qu’elles puissent offrir des garanties de qualité ou soient disposées à payer un prix élevé. On regarde surtout avec défiance les banques qui détiennent beaucoup d’obligations d’Etat des pays PIIGS (Portugal, Irlande, Italie, Grèce et Espagne) et qui n’inscrivent pas ce papier à sa valeur marchande dans leur comptabilité, ainsi que les ban-ques qui présentent un bilan faible. Si l’on n’arrive pas à limiter la crise de la dette (lire l’encadré), les banques européennes auront beaucoup de mal à assurer leur liquidité dans les prochaines semaines.

Tant que la BCE continuera à jouer son rôle de prêteur en dernier ressort, le système pourra néanmoins continuer à fonctionner. “Mais on ne peut pas qualifier pareille situation de saine, remarque Ivan Van de Cloot. La planche à billets de la BCE continue à injecter de l’argent dans le système pour le garder debout. Pas mal de banques restent en activité grâce au financement de la BCE. Un jour, il faudra pourtant que l’on pose la question : allons-nous continuer à donner un chèque en blanc aux banques ou allons-nous les placer devant leur responsabilité ? Je peux fort bien comprendre que la BCE aide celles qui rencontrent une situation d’urgence momentanée en leur fournissant des liquidités. Mais on ne peut tout de même pas secourir des banques insolvables de façon illimitée. Aux Etats-Unis, on opte dans ce cas pour une liquidation accompagnée par l’Etat. Il est temps que l’Europe s’y mette.”

PATRICK CLAERHOUT ET DAAN KILLEMAES

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