Résidences secondaires à l’étranger: un plaisir bientôt plus taxé?

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Sebastien Buron
Sebastien Buron Journaliste Trends-Tendances

Pour répondre aux exigences de l’Union européenne, les résidences secondaires détenues par des Belges en dehors du pays seront bientôt taxées différemment. Qu’est-ce qui change? Que faudra-t-il déclarer? Quel sera l’impact financier? Gros plan sur la nouvelle fiscalité de l’immobilier à l’étranger.

Une villa en Provence? Un appartement en Espagne? Une maison en Toscane? Un nombre grandissant de Belges deviennent propriétaires d’un petit coin de paradis à l’étranger. Selon les derniers chiffres du SPF Finances, ils étaient près de 119.000 à avoir déclaré détenir un immeuble à l’étranger en 2020, contre 76.000 en 2016. Soit une spectaculaire progression de… 56%! Or, cette obligation de déclaration vis-à-vis du fisc ne sera plus tout à fait la même l’année prochaine. De nouvelles règles sont en effet entrées en vigueur pour la taxation des biens à l’étranger. Dès l’année prochaine, si vous êtes propriétaire d’une résidence secondaire en dehors du pays, vous serez taxé sur la base d’un revenu cadastral ” à la belge”.

L’exercice consistera à déclarer une valeur aboutissant à un revenu cadastral favorable.”

Grégory Homans (Dekeyser & Associés)

1. De quoi parle-t-on exactement?

Si vous occupiez vous-même votre seconde résidence à l’étranger, vous étiez jusqu’ici tenus de renseigner chaque année la valeur locative brute. Si vous la louiez, les éventuels revenus locatifs devaient également être mentionnés dans votre déclaration fiscale. Rien à voir avec le système plus favorable prévalant pour les revenus d’une seconde résidence située en Belgique et taxés sur la base du revenu cadastral (RC). Seulement voilà: la Belgique s’est pour cela fait taper sur les doigts. Motif? Discrimination et entrave à la libre circulation des capitaux. Elle a même été condamnée à plusieurs reprises par la Cour européenne de Justice pour cette inégalité de traitement fiscal. La dernière fois, c’était en novembre 2020, avec à la clé une amende de 2 millions d’euros et une astreinte de 7.500 euros par jour. Ce qui a poussé le ministre des Finances Vincent Van Peteghem à agir rapidement en instaurant un nouveau régime fiscal.

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2. Qu’est-ce qui change?

Sous la pression de l’Union européenne, la Belgique a donc été contrainte de supprimer cette différence de traitement fiscal qui existait entre les secondes résidences situées en Belgique et celles situées hors de nos frontières. “Le législateur a mis sur un même pied les revenus immobiliers de source belge et ceux de source étrangère. Il s’est efforcé de copier ce qui existait en Belgique. Le traitement fiscal est désormais comparable“, indique Jean-Jacques Debacker, estate planner chez BNP Paribas Fortis, dont le dernier baromètre de la seconde résidence estime à 10% la proportion des immeubles détenus à l’étranger à des fins locatives.

A supposer qu’il y ait un supplément d’impôt, ce dernier devrait être marginal et se limiter à une différence de quelques euros.”

Jean-Jacques Debacker (BNP Paribas Fortis)

Plus concrètement, tous les contribuables en Belgique qui possèdent une seconde résidence à l’étranger et qui ne la louent pas à une personne l’utilisant dans le cadre de l’exercice de sa profession seront dorénavant taxés sur la base d’un revenu cadastral “à la belge”. Ce RC à la belge sera attribué par l’administration fiscale et devra être mentionné dans votre déclaration à l’impôt des personnes physiques à partir de l’exercice d’imposition 2022 (année de revenus 2021). “Il ne faudra donc plus déclarer une quelconque valeur locative ou les revenus locatifs réellement perçus, ou une valeur fiscale forfaitaire acceptée par les autorités fiscales étrangères”, résume Grégory Homans, avocat spécialisé en droit fiscal au cabinet Dekeyser & Associés.

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3. Comment ce revenu cadastral “à la belge” sera-t-il calculé?

Quatre méthodes de calcul sont prévues. En principe, ce RC “belge” sera déterminé en fonction du revenu locatif du bien en 1975 (année de la dernière péréquation cadastrale). Si c’est nécessaire, cette valeur sera comparée avec des biens similaires dans la même commune ou dans les communes avoisinantes de la région dans laquelle l’immeuble se situe. Si ce n’est pas possible, l’administration pourra alors recourir à un calcul partant du prix de vente en 1975 dont il suffira de prendre 5,3%. “Mais beaucoup de Belges ne disposent pas de cette information”, observe Grégory Homans. Raison pour laquelle le législateur a prévu une quatrième manière de calculer, et ce dans le cas où les trois autres manières ne peuvent pas être appliquées. Elle consiste à calculer la valeur dite de reconstitution au départ de la valeur vénale actuelle du bien. Valeur à laquelle est appliqué le taux de 5,3% pour ensuite diviser le montant obtenu par un facteur de correction (ajusté chaque année). Ce dernier est par exemple fixé à 15,036 pour 2020. Mais “dans une récente circulaire commentant la loi, l’administration précise que si la valeur vénale du bien n’est pas connue, on peut prendre la valeur du bien au moment de son acquisition, son prix d’achat ou sa valeur mentionnée dans une succession”, ajoute Jean-Jacques Debacker. Exemple? Une maison en Toscane achetée en 2017 pour un montant de 300.000 euros. Selon cette quatrième méthode de calcul devant faciliter la vie de l’administration et du contribuable, le revenu cadastral s’élèvera ainsi à 1.074 euros (soit 5,3% de 300.000 euros divisé par le facteur de correction pour 2017, c’est-à-dire 14,798). Attention tout de même, car ceci n’est qu’une tolérance administrative.

Les Belges étaient près de 119.000 à avoir déclaré détenir un immeuble à l'étranger en 2020, selon les derniers chiffres du SPF Finances.
Les Belges étaient près de 119.000 à avoir déclaré détenir un immeuble à l’étranger en 2020, selon les derniers chiffres du SPF Finances.© Getty Images

4. Que faudra-t-il déclarer?

Depuis quelques mois déjà, le fisc prend contact avec les contribuables afin de récolter auprès d’eux les informations nécessaires à l’établissement des revenus cadastraux de leurs biens, “ce qui devrait être fait pour le mois de mars de l’année prochaine”, prévoit Jean-Jacques Debacker. Les contribuables ont en tout cas jusqu’au 31 décembre 2021 pour répondre aux questions de l’administration. Si vous avez acheté un bien à l’étranger cette année, vous devez par contre le déclarer au fisc dans les quatre mois de l’acquisition. Cette déclaration est possible via Myminfin ou via le formulaire disponible sur le site du SPF Finances.

+56%

En cinq ans, l’augmentation du nombre de Belges détenant une résidence secondaire à l’étranger.

Et si l’on n’est pas d’accord le RC calculé par l’administration? Le contribuable a la possibilité d’introduire une réclamation endéans les deux mois après la notification par l’administration fiscale. “L’exercice consistera à déclarer une valeur aboutissant à un revenu cadastral favorable, situe Grégory Homans. En effet, l’administration fiscale belge ne dispose aujourd’hui pas des informations pour déterminer la valeur vénale actuelle. Elle la fixe sur base purement déclarative. Dans le cadre des calculs à réaliser, il conviendra de mettre en rapport la valeur déclarée et le coefficient de correction. Celui-ci est en effet unique et décorrélé de l’évolution des marchés locaux. Or, les prix des maisons et des appartements n’ont pas explosé de la même manière dans le sud de la France et à Budapest. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle ce nouveau régime fiscal est bancal et suscite beaucoup de critiques”, souligne le fiscaliste.

La Belgique a été contrainte de supprimer la différence de traitement fiscal qui existait entre les secondes résidences situées en Belgique et hors de nos frontières.

5. Serez-vous plus, ou moins taxé?

Selon Jean-Jacques Debacker, l’impact fiscal de la réforme devrait être relativement limité. “A supposer qu’il y ait un supplément d’impôt, ce dernier devrait être marginal et se limiter à une différence de quelques euros”, estime l’expert de BNP Paribas Fortis.

Spa a été l'une des villes wallonnes les plus plébiscitées en Wallonie en 2020 pour l'achat d'une seconde résidence, d'après les statistiques de BNP Paribas Fortis.
Spa a été l’une des villes wallonnes les plus plébiscitées en Wallonie en 2020 pour l’achat d’une seconde résidence, d’après les statistiques de BNP Paribas Fortis.© Belgaimage

Il faut savoir en effet que la Belgique a conclu des conventions fiscales avec un très grand nombre de pays, dont les destinations les plus populaires comme la France, l’Espagne et l’Italie. En vertu de ces conventions fiscales, le bien est généralement taxé dans le pays où il se trouve. Ce n’est donc pas parce que vous déclarez un appartement en Espagne que vous serez taxé dessus en Belgique. Il faut néanmoins tenir compte d’une petite subtilité, à savoir que la Belgique exonère les revenus immobiliers mais sous réserve de progressivité. Cela signifie que si la location de votre appartement en Espagne n’est pas directement imposée en tant que telle en Belgique, le fisc en prend néanmoins compte pour déterminer le taux d’imposition qui sera appliqué aux autres revenus, taxables en Belgique au taux progressif. Un taux qui, comme on le sait, monte vite à 50%.

Si votre résidence secondaire se situe dans un pays avec lequel la Belgique n’a pas conclu de convention fiscale préventive de double imposition, vous serez taxé sur ces revenus étrangers en Belgique. La partie de l’impôt belge correspondant aux revenus immobiliers étrangers est toutefois réduite de moitié.

Notons que “tout ce qui précède vaut uniquement pour les biens détenus en direct par des personnes physiques”, précise Grégory Homans. En effet, la réforme ne concerne pas les biens détenus au travers de sociétés qui ne constituent pas des constructions juridiques aux yeux de la taxe Caïman, comme c’est par exemple le cas de la très populaire SCI française translucide (société civile immobilière, Ndlr) utilisée par nombre de Belges qui possèdent un immeuble dans l’Hexagone. “Dans ce cas, on évite les discussions avec le fisc”, conclut Jean-Jacques Debacker.

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Nomades digitaux

Beaucoup de jeunes âgés d’une trentaine d’années, voire moins, ont acheté une maison ou un appartement à l’étranger en 2020. Chez BNP Paribas Fortis, qui cherche chaque année à déceler au travers de son portefeuille de crédits les tendances qui régissent le marché des secondes résidences, les moins de 35 ans ont représenté 20% des acheteurs de secondes résidences à l’étranger l’an dernier (contre 4% en 2019). Véritable tendance ou effet ponctuel? Il est trop tôt pour le dire. Mais il n’est pas impossible que cette progression soit le reflet d’un impact du covid sur les digital nomads, start-uppers, free-lances et autres adeptes du workation (contraction de work et vacation) pour qui le télétravail peut tout aussi bien s’effectuer les pieds dans l’eau. “Le consentement des entreprises à adopter partiellement ou entièrement le télétravail à l’étranger ces prochaines années pourrait renforcer cette tendance”, estiment les experts de BNP Paribas Fortis, pour qui l’avenir dira si ce nomadisme numérique aura été le fruit des circonstances ou une véritable tendance de fond.

De Marbella à Knokke

Empêchés de consommer et de franchir les frontières, les Belges ont investi massivement dans des immeubles de rapport et des secondes résidences dans notre pays. Selon le dernier baromètre de la seconde résidence de BNP Paribas Fortis, la part des résidences secondaires en Belgique a continué de croître par rapport aux résidences secondaires à l’étranger (95% en 2020, contre 80% en 2017). D’après les derniers chiffres du SPF Finances, le nombre de multipropriétaires a augmenté de 14% en cinq ans, passant de 790.625 en 2016 à 908.740 l’année dernière.

En 2020, l’Ardenne et la côte ont ainsi remporté un vif succès. Huit pour cent environ de l’ensemble des secondes résidences achetées en Belgique se trouvaient à la mer (+ 25% par rapport à 2019) tandis que l’Ardenne a représenté 3,5% des achats (+ 55% par rapport à 2019! ). Verviers, Bastogne et Spa ont, d’après les statistiques de BNP Paribas Fortis, été les villes les plus plébiscitées en Wallonie. Autre tendance: pas moins de 60% environ des secondes résidences acquises en Belgique l’an dernier par les clients de la première banque du pays l’ont été dans le but de générer des revenus locatifs. Plus simple en effet, lorsqu’il s’agit d’investir, de le faire dans quelque chose que l’on connaît bien (aspects immobiliers, urbanistiques, légaux, bancaires, etc.). Le pourcentage de logements destinés à la location est ainsi particulièrement élevé dans les villes universitaires comme Bruxelles, Louvain, Anvers, Liège, Louvain-la-Neuve ou Mons. Outre des taux d’intérêt bas et donc très avantageux, des prix qui ne cessent d’augmenter et qui laissent entrevoir de belles plus-values, investir dans la brique en Belgique est, il est vrai, aussi fiscalement intéressant. Hormis le précompte immobilier, seul le revenu cadastral retravaillé – beaucoup moins élevé que les revenus locatifs réellement perçus – est pris en compte pour taxer les immeubles mis en location en Belgique. Il suffit de renseigner ce revenu cadastral majoré de 40% dans votre déclaration fiscale. Peu importe que vous occupiez vous-même cette résidence secondaire ou que vous la louiez à une personne physique qui ne l’utilise pas pour des besoins professionnels, le montant est ajouté aux autres revenus imposables globalement pour être taxé selon le tarif progressif à l’impôt sur les revenus. Le système est similaire à celui qui sera bientôt appliqué aux secondes résidences à l’étranger. D’un point de vue fiscal belge, il sera donc bientôt pour ainsi dire moins intéressant qu’avant d’investir dans un appartement à Knokke que dans un appartement du même type à Marbella.

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