Pourquoi la bancassurance cartonne

Avoir tout sous un même toit est un plus. Surtout que la standardisation n'incite pas à aller voir ailleurs. © ISTOCK
Sebastien Buron
Sebastien Buron Journaliste Trends-Tendances

Alors que certains s’en sont éloignés, la bancassurance apparaît aujourd’hui comme le modèle gagnant dans le paysage financier belge. En témoignent les bénéfices engrangés en 2017 par Belfius et KBC, deux machines qui tournent à plein régime.

Belfius et KBC vont bien. Très bien même. Merci pour elles ! L’an dernier, Belfius a dégagé un bénéfice net de 606 millions d’euros, en hausse de 13 % par rapport à 2016, soit la sixième année d’affilée, depuis sa reprise par l’Etat en 2011, que le groupe public dirigé par Marc Raisière affiche un résultat en hausse, pour franchir pour la première fois de son histoire la barre symbolique des 600 millions d’euros de bénéfices. KBC, de son côté, a réalisé l’an dernier un bénéfice de 2,6 milliards d’euros, en hausse de 6 % par rapport à 2016, confirmant ainsi son statut d’institution financière figurant parmi les plus rentables d’Europe. Point commun des deux enseignes ? Ce sont deux bancassureurs : deux groupes qui déploient à la fois des activités de banque et d’assurance (KBC Bank & Verzekeringen, Belfius Banque et Assurances). Une particularité que Marc Raisière n’a d’ailleurs pas manqué de souligner lors de la présentation des comptes annuels de Belfius voici quelques jours et qui, selon lui, prouvent que ” la bancassurance est bel et bien un modèle gagnant aujourd’hui en Belgique “. Et cela, pour au moins trois raisons.

1. La carte du “one stop shopping”

Un des avantages en tant que bancassureur, c’est de pouvoir offrir quasiment tous les types de produit financier sous un même toit, du compte à vue au crédit hypothécaire en passant par le compte d’épargne et l’assurance auto. Comme le rappelait dernièrement lui-même le groupe dans un communiqué de presse à l’occasion de la publication de ses résultats annuels, ” la stratégie de Belfius repose sur un modèle de bancassurance intégré, qui offre des possibilités de one stop shopping pour tous les besoins de banque et d’assurance du client, ce qui constitue un levier important pour la diversification et la croissance future de ses revenus “. Un levier d’autant plus important que le marché belge est effectivement saturé, que la persistance de taux d’intérêt peu élevés met les marges sous pression et que ” le Belge est un épargnant fidèle “, rappelle Fernand Dimidschstein, consultant chez Strategy& (PwC). ” Il est difficile de le faire changer de banque, estime-t-il. C’est ce qui explique en grande partie le succès de la bancassurance en Belgique. On est nettement moins attaché à son banquier dans les pays anglo-saxons. ”

A vrai dire, le numérique n’a pas fondamentalement changé la donne à ce niveau-là. Du moins pas encore. Rares sont ceux qui font le tour du marché pour assurer la petite voiture de leur épouse quand leur banquier a déjà ce qu’il faut en magasin. Avoir tout sous un même toit est donc un plus. Surtout que la standardisation n’incite pas à aller voir ailleurs. En effet, ” les produits d’assurance sont aujourd’hui devenus plus simples et plus faciles à comprendre, poursuit Fernand Dimidschstein, surtout sur le terrain de l’assurance non-vie (auto, habitation). ” Traduction : rien ne ressemble plus à une assurance voiture qu’une autre assurance voiture. Cette standardisation ne justifie plus de passer par un courtier pour se faire conseiller. Du moins, répétons-le, pour les assurances peu complexes (pas celle qui vise à couvrir un château avec une piscine, par exemple). Autrement dit, un agent bancaire bien formé est tout à fait capable de vous aider. Après, bien sûr, il faut pouvoir être en mesure d’assurer une bonne gestion des sinistres, un métier qui est par contre là très éloigné de celui de banquier, vous diront tous les spécialistes.

2. Le levier du “cross-selling”

Fernand Dimidschstein (Strategy&)
Fernand Dimidschstein (Strategy&) ” Le Belge est un épargnant fidèle. Il est difficile de le faire changer de banque. “© PG

Comme l’explique Fernand Dimidschstein, la bancassurance permet de dégager des synergies opérationnelles et commerciales synonymes de gisements de revenus supplémentaires. ” Ce qui prévaut, c’est le cross-selling, c’est-à-dire la vente de produits d’assurance à la clientèle bancaire, et inversement. ” Ce que fait apparemment très bien KBC aux dires de ceux qui connaissent bien la maison de l’avenue du Port. De fait, poursuit Fernand Dimidschstein, ” KBC dispose pour ses assurances d’un bon réseau de distribution via les agences, qui renvoient systématiquement vers KBC Verzekeringen. Les deux réseaux collaborent très bien “. Même chose apparemment chez Belfius, où on estime que les ratios de cross-selling sont ” excellents “, notamment pour les assurances incendie et familiale : 85 % des clients qui souscrivent un nouveau prêt hypothécaire chez Belfius prennent aussi l’assurance incendie et familiale. Il faut dire que le groupe s’est engagé voici quelques mois dans un vaste plan visant à renforcer les synergies entre son métier de banquier et d’assureur. Le rapprochement s’est traduit notamment par le regroupement d’une série de fonctions (RH, vente, etc.) et la nomination de Dirk Vanderschrick en tant que CEO de Belfius Insurance, en plus de ses responsabilités en tant que patron du retail au sein du comité de direction de la banque (Belfius Banque). But de la manoeuvre ? ” Cela permet de voir si des synergies sont possibles non seulement au niveau de la conception des produits mais éventuellement aussi sur le plan des systèmes informatiques et du back-office “, complète Fernand Dimidschstein. Avec comme objectif de muscler le nombre de produits qu’un client Belfius possède en portefeuille. A cet égard, Marc Raisière rêve d’un objectif de huit produits par client, contre trois aujourd’hui en moyenne ( lire l’encadré ” La bancassurance disrupte le modèle du courtage ” plus bas).

3. La dimension digitale

Le digital chamboule notre manière de consommer des produits financiers. On attend de son banquier, et de plus en plus aussi de son assureur, la même réactivité que celle dont peuvent faire preuve les entreprises technologiques comme le géant américain de l’e-commerce Amazon. Les banquiers l’ont bien compris. ” La question est de savoir comment offrir une suite de produits bancaires et d’assurance au moment le plus pertinent pour le client, note Fernand Dimidschstein. Autrement dit, comment par exemple arriver avec une assurance auto avant même que le client n’ait choisit le modèle de sa nouvelle voiture. Tout le défi est là. Certaines technologies, qui tracent les internautes, existent à l’étranger ( comme Zmot de Google, Ndlr), mais nous n’en sommes pas encore là en Belgique. ”

En attendant, du côté de Belfius, où on se targue de totaliser plus d’un million d’utilisateurs mobiles par jour, pas moins de 31 % des nouvelles cartes de crédit, 41 % des nouveaux contrats d’épargne-pension et 29 % des nouveaux comptes d’épargne sont aujourd’hui achetés via les canaux directs. Surfant sur le succès de ses applications bancaires, la banque prévoit de lancer dans le courant de cette année de nouveaux produits d’assurance digitaux, qui seront intégrés dans son application mobile. L’idée est qu’après avoir répondu à un nombre très limité de questions, les clients reçoivent immédiatement une offre d’assurance auto via leur mobile (smartphone et tablette). Chez KBC, il est possible de souscrire une assurance habitation en trois clics. Et plus de 80 % des nouveaux contrats d’épargne pension sont désormais signés de manière électronique.

Bref, aussi bien Belfius que KBC s’appuient sur les investissements qu’ils ont consentis ces dernières années dans le numérique (big data, mobile banking) pour pousser des produits d’assurance maison auprès de leur clientèle bancaire, et cela donc sans devoir passer par des courtiers.

Marc Raisière, CEO de Belfius : “La bancassurance disrupte le modèle du courtage”

Pourquoi la bancassurance cartonne
© BELGA IMAGE

TRENDS-TENDANCES. Dans quelle mesure Belfius doit-il ses bons résultats de 2017 à son modèle de bancassureur ?

MARC RAISIÈRE. L’an dernier, nous avons dégagé un bénéfice net de 606 millions d’euros. Un résultat exceptionnel pour lequel Belfius Insurance a contribué à hauteur de 171 millions d’euros. Au-delà de ces contributions directes, notre modèle de bancassureur intégré nous offre la possibilité de diversifier nos revenus. C’est aussi un gage de stabilité : l’assurance est un métier dont les revenus s’étalent à très long terme tandis que la banque est dans un cycle d’investissement plus court.

Pourquoi la bancassurance est-elle aujourd’hui un modèle gagnant en Belgique ?

La bancassurance est depuis longtemps un modèle porteur en Belgique. KBC le suit depuis toujours. Mais avec la crise, les banquiers ont dû se recentrer sur leur métier de base. Pensez notamment à Fortis. Même pour Belfius, ce n’était pas évident au départ. Ce n’est qu’en 2013 que nous avons décidé de nous engouffrer dans la brèche laissée ouverte par certains et de remettre la bancassurance au coeur de notre stratégie. Cela étant, je ne crois qu’au modèle de bancassurance intégré, comme celui développé par Belfius et KBC, là où les liens capitalistiques font que les intérêts de la banque et de la compagnie sont alignés. Il n’y a pas de conflits d’intérêt. On ne se dispute pas le client. Johan Thijs est d’ailleurs, comme moi-même, un assureur à la base. Un autre modèle est celui de BNP Paribas Fortis qui a un accord de distribution avec AG Insurance.

Est-ce aussi parce que le secteur de l’assurance accuse un sérieux retard en termes de digitalisation par rapport au secteur bancaire ?

Je pense plutôt que c’est la bancassurance qui est en train de disrupter le modèle du courtage. La grande force d’un bancassureur, c’est la maîtrise de ses canaux de distribution, aujourd’hui de plus en plus digitaux. La digitalisation que nous avons mise en place chez Belfius nous permet aujourd’hui de mieux approcher le client et d’avoir une gestion extrêmement fluide des sinistres.

Quelles sont vos ambitions sur le terrain de l’assurance en 2018 ?

C’est une croissance à deux chiffres. Grâce à la connectivité que nous avons avec nos clients au travers de notre application mobile, nous tablons sur une augmentation très sensible des contrats non-vie (vol, incendie). Il n’y a aucune raison pour que notre clientèle bancaire ne nous fasse pas aussi confiance pour les produits d’assurance.

Vous évoquez un nouveau statut pour les agents bancaires (Belfius Banque). A quoi doit-on s’attendre sur ce terrain-là ?

Ils seront repositionnés en termes de rôle et de branding. Le monde change : il y a de plus en plus de familles recomposées, on vit de plus en plus longtemps, les marchés sont de plus en plus complexes, etc. Les agents, ce n’est plus le guichet. Eux aussi doivent intégrer la dimension digitale et devenir des partenaires de la volatilité de la vie de nos clients.

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