Pourquoi est-ce la fin de la “banque de papa”?

L'an dernier, BNP Paribas Fortis a vu la fréquentation de ses agences baisser de 17 %. © Belgaimage

Entre le métier classique du crédit qui rapporte moins, les perspectives de croissance qui fléchissent et la digitalisation qui enterre les agences, les banques vivent un profond changement et se transforment à marche forcée.

ING qui supprime plus de 3.000 jobs en trois ans, Axa qui paie ses ” vieux ” pour rester chez eux, BNP Paribas Fortis qui va fermer 40 % de ses agences… Les banquiers ont déjà connu des jours plus tranquilles. En cause : la digitalisation, disent-ils en choeur. Smartphone, fintech, robots : la vague numérique déboule partout et fait des ravages à tous les étages. Rien que sur les 12 derniers mois, le nombre d’abonnements à la banque mobile a bondi de plus d’un million. Le cap des sept millions est désormais franchi. Selon la fédération des banques (Febelfin), quatre Belges sur cinq disent utiliser une ou plusieurs applications mobiles. D’un autre côté, la fréquentation des agences est en chute libre : 17 % de contacts en moins avec les clients l’an dernier chez BNP Paribas Fortis. Du coup, première banque du pays avec 13.000 salariés, BNP Paribas Fortis prévoit de supprimer 20 % de ses effectifs d’ici fin 2021, avec comme objectif de s’aligner sur ses concurrentes directes (ING, Belfius) qui tournent déjà aujourd’hui avec moitié moins de personnel.

Le smartphone remplace l’agence

Fermetures de 267 agences, suppressions de 2.200 emplois : annoncés le 15 mars dernier lors de la présentation des comptes annuels 2018 de la banque, les chiffres de BNP Paribas Fortis sont spectaculaires. Mais la tendance est générale. Personne n’échappe au tsunami numérique. Secrétaire général du Setca en charge du secteur finance, Jean-Michel Cappoen le reconnaît. ” On ne peut pas nier l’impact de plus en plus grand du digital, que ce soit chez BNP Paribas Fortis ou ailleurs “, dit le syndicaliste.

Belfius, ING et KBC ont effectivement aussi vu leur nombre d’agences fortement baisser ces dernières années. Rien que chez ING, 450 agences fermeront leurs portes dans le cadre de son énorme restructuration mise en route fin 2016. En fait, chacune des quatre grandes banques belges ne s’appuiera bientôt plus que sur un réseau de 450 à 650 agences maximum. Au total, la crise de 2008 doublée de l’avènement de la banque digitale aura ainsi conduit à la fermeture de 3.000 agences en 10 ans. Une évolution inéluctable, selon Grégoire Tondreau, partner chez Roland Berger, pour qui ” la Belgique est en retard par rapport aux autres marchés européens où la réduction d’agences a déjà été réalisée voici 5 à 10 ans. ” ” La question n’était pas de savoir si cette rationalisation allait arriver en Belgique mais quand elle allait arriver, ajoute-t-il. Le coût d’un grand réseau d’agences est aujourd’hui disproportionné par rapport à l’activité qu’il peut générer. ”

12.000 emplois perdus

Tout cela n’est bien entendu pas sans conséquences pour l’emploi. Depuis 2008, quelque 12.000 jobs sont passés à la trappe dans le secteur bancaire belge. Une hémorragie qui, on l’a dit, trouve son origine dans la nouvelle vague de modernisation qui touche aujourd’hui les banques.

Le phénomène n’est pourtant pas nouveau. Par le passé déjà, de ” vieux ” emplois ont disparu avec l’apparition de Bancontact, puis du selfbanking, et des banques internet. Le problème avec le digital, c’est que tout va beaucoup plus vite. ” La digitalisation des services bancaires s’accélère, c’est une tendance inarrêtable “, a déclaré à ce propos Max Jadot, patron de BNP Paribas Fortis, lors de l’annonce du 15 mars dernier.

De fait, les agences ne sont plus les seules à être touchées. Tandis que le smartphone remplace le guichet, beaucoup de tâches manuelles sont aussi automatisées dans les services centraux. Après avoir digitalisé la relation avec le client (+ 23 % de conseils à distance chez BNP Paribas Fortis), ” le numérique a maintenant un impact sur la transformation des fonctions “, observe Jean-Michel Cappoen. Les recours aux robots se multiplient, du tri du courrier jusqu’à la gestion de portefeuille : 160 robots travaillent aujourd’hui chez BNP Paribas Fortis.

Le coeur du métier est sous pression

Poussées dans le dos par les changements d’habitude des consommateurs qui attendent de leur banque une ” expérience-client ” aussi fluide que lorsqu’ils passent une commande sur Amazon, les banques sont donc contraintes de se réorganiser. Mais elles sont aussi obligées de revoir leur business plan. Certes, les quatre ténors du marché dégagent encore de jolis profits. L’an dernier, ils ont ensemble enregistré un bénéfice de plus de 5 milliards d’euros. Mais voilà : la rentabilité s’érode. Si certains groupes s’en sortent mieux que d’autres, comme par exemple KBC qui affiche un rendement sur capitaux propres de 16 % grâce à ses filiales en Europe centrale et les bonnes performances de son gestionnaire d’actifs, le rendement sur fonds propres du secteur bancaire est aujourd’hui retombé autour de 8 %, d’après les derniers chiffres de la Banque nationale.

Le coût d’un grand réseau d’agences est aujourd’hui disproportionné par rapport à l’activité qu’il peut générer.” – Grégoire Tondreau, “partner” chez Roland Berger

Cette baisse de la rentabilité s’explique par le fait que nos banques évoluent désormais dans un environnement de croissance difficile, de réglementations plus contraignantes, qui les obligent notamment à renforcer leurs fonds propres, et aussi de taux d’intérêt qui n’en finissent plus d’être bas – le Bund allemand à 10 ans est repassé ces jours-ci en territoire négatif. Si bien que le coeur de métier, c’est-à-dire la marge d’intermédiation issue de la transformation des dépôts en crédits, est sous pression.

D’autres poches de rentabilité sont par ailleurs menacées par de nouveaux acteurs tels que les fintechs, ces start-up qui allient technologie et finance, et qui lorgnent des créneaux tels que les paiements ou le conseil en investissement. Et puis enfin, il y a les effets de la nouvelle directive européenne sur les paiements, qui oblige les banques à ouvrir leurs systèmes d’information à d’autres acteurs (chaîne de magasins, etc.) afin qu’ils puissent avoir accès aux données de paiement des clients des banques.

Facturer un maximum

Dans ce contexte, et plutôt que de se faire pénaliser en déposant leur liquidités excédentaires auprès de la Banque centrale européenne (BCE), les banques jouent la carte du volume. Elles prêtent donc en masse. L’an dernier, le montant des nouveaux crédits hypothécaires a franchi un nouveau record, frôlant les 34 milliards d’euros. Quant à l’encours des crédits aux entreprises, il a progressé d’une dizaine de milliards sur un an, atteignant 157,4 milliards fin 2018. On voit qu’elles cherchent aussi à facturer un maximum de frais aux clients. C’est ainsi que BNP Paribas Fortis, KBC et ING ont commencé à faire payer certains retraits de cash. Dans un autre registre, BNP Paribas Fortis prélève désormais 150 euros par ligne de titres le transfert d’un compte-titres dans une autre banque. Quant à Belfius et KBC, elles tentent d’élargir leurs services, et donc leurs sources de revenus, en vendant des tickets SNCB où en vous proposant les services d’un plombier.

Effet d’entraînement

Mais en définitive, tout cela n’est pas suffisant pour compenser des revenus qui stagnent et les investissements réalisés dans le digital. Surtout que la BCE a cassé les espoirs des banquiers de retrouver un peu d’oxygène, en annonçant dernièrement qu’elle ne rehausserait pas ses taux avant 2020. Il faut donc accélérer la transformation et renforcer les économies. ” Le fameux cost-income ratio est redevenu un élément central dans l’argumentaire des banques pour justifier les mesures d’économie “, pointe Jean-Michel Cappoen.

Autrement dit, on agit d’abord sur la variable d’ajustement qu’on maîtrise le mieux, c’est-à-dire les coûts. Les banques poussent donc au maximum la banque digitale, réduisent leur personnel, coupent dans les dépenses marketing et taillent dans leur réseau d’agences. Et cela d’autant plus facilement pour BNP Paribas Fortis que d’autres l’ont fait avant elle. Comme le fait remarquer Grégoire Tondreau, ” il y a une sorte d’effet d’entraînement qui rend plus acceptable les restructurations qui suivent celle enclenchée par le first mover. ” Bref, le métier de banquier change, et ce n’est pas fini.

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