Philippe Ledent

Monter les taux… mais jusqu’où?

Philippe Ledent Senior economist chez ING Belgique, chargé de cours à l'UCLouvain.

Il est raisonnable de penser que la BCE n’arrivera pas à relever son taux directeur jusqu’au taux neutre avant que la fin du cycle économique ne vienne lui imposer d’inverser une nouvelle fois la vapeur.

Quand une banque centrale entame une séquence de relèvements de taux, se pose la question de savoir jusqu’où les taux pourraient monter. C’est important pour les marchés financiers dans la mesure où, très rapidement, ces hausses de taux sont intégrées dans les prix des marchés, qu’ils soient boursiers ou obligataires. Autrement dit, l’annonce d’un début de séquence de hausses et l’anticipation de sa durée et de son ampleur a en fait plus d’influence sur les marchés financiers que l’implémentation de celle-ci.

Pour anticiper l’ampleur de la séquence, on peut simplement se demander combien de relèvements seraient nécessaires pour avoir l’effet escompté, indépendamment du niveau de départ des taux. Une autre technique, plus théorique, consiste à évaluer d’abord le taux neutre pour l’économie. Il se définit comme le niveau de taux d’intérêt (de la banque centrale) qui ni ne ralentit ni ne pousse l’économie en avant. Ce niveau peut être évalué soit en se basant sur l’expérience passée, en étudiant les cycles des taux, du PIB et de l’inflation, soit en se basant sur un modèle théorique fondé sur la croissance potentielle de l’économie, elle-même définie par la démographie et les gains de productivité notamment. L’idée est toujours de déterminer le niveau de taux que l’économie peut “supporter” sans que ce dernier ne provoque d’accélération ou de décélération économique.

Les discours actuels des banquiers centraux font régulièrement référence au taux neutre, en signalant que compte tenu de la vague actuelle d’inflation, il sera peut-être nécessaire d’aller au-delà de celui-ci pour reprendre le contrôle de l’inflation. Alors, à quel niveau se situe-t-il? Aux Etats-Unis, les différents travaux académiques tendent à montrer que le taux neutre réel se situe entre 0,5% et 1%. Si l’on y ajoute un objectif d’inflation tendancielle de 2%, cela situe le taux neutre nominal entre 2,5% et 3%. Cela signifierait que très prochainement (peut-être même déjà cet été), la banque centrale américaine atteindra ce taux et le dépassera ensuite. Le frein monétaire va alors entrer en action, ralentir fortement l’économie et calmer l’inflation. C’est important, car cela veut aussi dire qu’il ne sera pas nécessaire que la Fed augmente ses taux à 4 ou 5% comme on peut parfois le lire. Ce serait par contre le cas si le taux neutre était, comme dans les années 2000, plus proche de 4% (en nominal).

En zone euro, les estimations du taux neutre réel sont plutôt comprises entre -0,5% et 0%. En y ajoutant encore une fois l’objectif d’inflation de la banque centrale, cela porte le taux neutre nominal entre 1,5% et 2%. Partant d’un niveau de taux directeur de 0% (le taux refi), au moins six hausses de 0,25% seraient nécessaires avant d’atteindre le taux neutre. Pour juguler l’inflation, il faudra par ailleurs aller au-delà. C’est probablement ce qui explique pourquoi la Banque centrale européenne (BCE) parle actuellement d’une séquence prolongée de hausses de taux.

Mais attention, car dans le même temps, d’autres chocs conjoncturels impactent l’économie de la zone euro. Dès lors, la séquence de hausses de taux prévues sur base des fondamentaux structurels ne sera pas un long fleuve tranquille. Que du contraire, la hausse de la facture d’énergie affaiblit d’elle-même la demande dans l’économie, indépendamment des hausses de taux d’intérêt. Voilà pourquoi il est raisonnable de penser, un peu à l’encontre de la communication actuelle de la BCE, que celle-ci n’arrivera même pas à relever son taux directeur jusqu’au taux neutre avant que la fin du cycle économique ne vienne lui imposer d’inverser une nouvelle fois la vapeur.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content