Monnaies virtuelles, arnaques bien réelles: bienvenue au Far West 3.0

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Le monde des cryptomonnaies est peuplé d’escrocs. Ils profitent de la naïveté des victimes et de leur méconnaissance de ces nouveaux actifs virtuels pour leur proposer des opérations aux rendements soi-disant mirobolants. Même les investisseurs les plus aguerris se laissent piéger par leurs techniques perfectionnées.

“Qui parmi vous a des rêves ? ” Quelques mains se lèvent timidement. ” Qui veut gagner plus d’argent ? ” Des centaines de bras s’agitent, les premiers applaudissements retentissent. ” Oui, c’est pour ça que vous êtes ici “, sourit Jason Tyne d’un air entendu. La scène se passe le 21 février dernier à Ixelles, au centre de conférences MCE, à deux pas de la place du Châtelain. L’événement, qui rassemble près de 500 personnes, est le premier Cryptocurrency Investor Summit, le sommet des investisseurs en cryptomonnaies.

L’Américain Jason Tyne, qui harangue la foule, répétant deux fois chaque phrase pour être sûr de se faire comprendre d’un public hétéroclite et largement francophone, est le représentant de Success Ressources, une société spécialisée dans l’organisation d’événements. ” Notre mission est de changer la vie des gens à travers l’éducation “, explique-t-il à Trends-Tendances. Rien que ça.

Durant toute la journée, les orateurs se succèdent, avec des discours de plus en plus orientés. Jason Tyne se charge d’une introduction sommaire sur les cryptomonnaies, présentées comme le nouveau pétrole de notre société. Message subliminal : c’est le moment ou jamais d’investir dans les devises virtuelles. ” Aujourd’hui, c’est le jour des… ? ” ” … Opportunités ! “, répond la salle en choeur.

Chômeur millionnaire

Nous saisissons au vol le premier participant qui quitte la conférence, après une heure de discours enflammés : ” C’est louche, ça me fait penser à la scientologie “, nous glisse ce quinquagénaire déçu, qui pensait recevoir des informations précises sur les monnaies virtuelles. S’il était resté, il aurait appris qu’en prenant les bonnes décisions, un portefeuille de cryptomonnaies peut générer un rendement de 2.000 % en trois mois. Il aurait également découvert le parcours étonnant d’un des orateurs, qui était au chômage avant de découvrir le bitcoin et de gagner son premier million de dollars.

Surtout, il aurait pu investir dans les différents produits proposés par les représentants de Success Ressources au cours de cet événement ” gratuit “. Le produit phare de la journée n’est autre que le Success Coin. Cet actif numérique, qui n’a pas encore été émis, servira à soutenir la future ICO (Initial Coin Offering ou levée de fonds en monnaie virtuelle) du projet Success Life. La société espère lever jusqu’à 50 millions de dollars pour accélérer le développement de ” la première plateforme globale dédiée au développement personnel “. Y figureront notamment les captations des différentes conférences organisées partout dans le monde par Success Ressources.

La FSMA a publié une liste de 20 sites de crypto-monnaies sur lesquels planent des soupçons de fraude.

A Bruxelles, près de la moitié des participants se ruent vers les Success Coins, proposés au prix plancher d’un dollar pièce. ” J’en ai pris pour 100 dollars, explique Nicolas, un jeune investisseur. Mais j’ai l’impression que la plupart des gens prenaient le package à 1.000 dollars. ” Bien organisée, la société américaine a apporté son terminal de paiement et accepte les cartes de crédit.

Le public se voit également proposer des formations aux investissements en cryptomonnaies, organisées à Londres, au tarif promotionnel de 1.000 euros pour quatre séminaires. Les participants peuvent aussi investir dans le minage de bitcoins (cette activité qui sert à valider les transactions en cryptomonnaies) via la société Genesis Mining, qui propose sur son site des programmes démarrant à 530 dollars sur deux ans. Sans oublier l’affiliation au Bitcoin Mentor Club, un cercle très select qui permettrait d’obtenir des tuyaux en or sur les placements en cryptomonnaies. Dont coût : 2.000 euros pour deux ans.

Pour attirer le public à son étrange et lucrative conférence, la société américaine a misé massivement sur la publicité en ligne. Notamment sur Facebook, juste avant que le réseau social ne bannisse les publicités pour le bitcoin, en raison des nombreuses arnaques qui y étaient associées.

Toutes les personnes qui s’intéressent de près ou de loin l’auront remarqué : les sollicitations en ligne se sont multipliées au cours des derniers mois, dans la foulée de l’explosion du cours du bitcoin en 2017. Une simple recherche sur le terme bitcoin ou un simple tweet comprenant un hashtag (mot-clé) lié aux cryptomonnaies suffisent pour déclencher une déferlante de propositions d’investissements en tous genres, plus douteuses les unes que les autres.

Wall Street du bitcoin

Intrigués par les curieuses organisations qui proposent leurs services en ligne, nous contactons l’une d’entre elles : Crypto All Day, qui se présente sur son site comme le ” Wall Street du bitcoin “. Un certain Steven Wilson nous appelle. Et il n’y va pas par quatre chemins : ” Je viens de consulter mes ‘top analystes’ : d’ici fin 2019, le cours du bitcoin atteindra 50.000 dollars “. En gros, il promet de quintupler nos investissements en un an et demi. Nous pouvons ouvrir immédiatement un compte auprès de sa société, basée à Londres, qui s’occupera des opérations de trading. Son conseil : placer au moins 10.000 dollars, afin de profiter à plein de ce qu’il appelle un ” effet de levier “.

Steven Wilson insiste ensuite pour que nous choisissions une option de paiement : virement ou carte bancaire. Nous demandons d’abord quelques garanties sur la légitimité des activités de son organisation et exigeons qu’il nous envoie les documents à signer. La réponse fuse : ” Il n’y a pas de contrat à signer. C’est ça le monde des cryptos “.

Crypto All Day, qui ne mentionne aucune adresse physique sur son site et affiche des conditions générales fantaisistes, fait partie des nombreuses crypto-officines plutôt douteuses qui pullulent sur le Net. La FSMA a déjà reçu une vingtaine de signalements concernant de telles activités en 2017 ; et le rythme s’accélère puisqu’elle en a reçu 11 depuis le début de l’année. La gendarme du secteur financier vient en outre de publier une liste de 20 sites internet sur lesquels planent des soupçons de fraude. Mais il en existe bien d’autres. Le forum français spécialisé CryptoFR a recensé 240 sites louches.

Ces acteurs peu scrupuleux profitent de la crédulité des investisseurs amateurs et jouent sur un syndrome très humain – l’appât du gain – pour vendre leurs pseudo-services. ” Les cryptos, c’est 99 % d’arnaques “, assure un investisseur aguerri. Bienvenue au Far West 3.0.

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