Les conseils de la BNB au gouvernement: compétitivité, croissance, finances publiques

Jan Smets, gouverneur de la BNB. © BELGA

La Banque nationale de Belgique (BNB) a formulé, à l’occasion de la publication de son rapport annuel 2016, trois recommandations à l’adresse du gouvernement fédéral.

Compétitivité

La BNB suggère tout d’abord de “consolider la compétitivité retrouvée”. Elle constate que le handicap salarial de la Belgique par rapport à ses trois principaux voisins (Allemagne, France et Pays-Bas) en matière de coûts salariaux horaires a été “entièrement effacé” mais il est très important que les coûts salariaux, grâce à la révision de la loi de 1996 sur la compétitivité, restent dans les clous “et qu’on évite à l’avenir un nouveau dérapage et des corrections douloureuses a posteriori comme on a déjà dû le faire”, avertit le gouverneur de la BNB, Jan Smets.

A cet égard, la Banque nationale s’inquiète du niveau plus élevé de l’inflation en Belgique et se dit singulièrement “interpellée” par le niveau d’inflation des services dans notre pays. Un phénomène qui est de nature à rogner la compétitivité de la Belgique via les mécanismes d’indexation (des prix et des salaires) et sur lequel la BNB a décidé de réaliser une analyse minutieuse.

Croissance

La BNB recommande ensuite d’augmenter le potentiel de croissance de l’économie belge, ce qui passe par une “dynamisation” du marché du travail, davantage de formation, plus d’efforts d’innovations. Grâce à diverses mesures prises ces dernières années, “une nette réduction” des sorties anticipées du marché du travail est constatée. “C’est un résultat franchement positif car il importe que les carrières se prolongent dans un contexte de vieillissement de la population. Il faut poursuivre sur cette voie”, souligne M. Smets, tout en constatant que des goulots d’étranglement peuvent apparaître sur le marché du travail et que la Belgique, avec un taux d’emploi de 67%, reste “loin de son objectif et plus bas que la moyenne européenne.” “Il faut davantage d’efforts pour augmenter l’inclusion sur le marché du travail”, plaide le gouverneur. Si un travailleur ne peut plus, comme à une certaine époque, espérer occuper le même emploi toute sa carrière, “il faut une évolution de la sécurité d’emploi vers la sécurité du travail”, via un enseignement de qualité, de l’accompagnement, de la formation tout au long de la carrière et de l’activation.

Augmenter le potentiel de croissance de la Belgique passe également par une stimulation de l’esprit d’entreprise alors que la Belgique est l’un des pays européens où le taux de création brut d’entreprises est le plus bas.

Finances publiques

Enfin, la BNB préconise d’assurer la soutenabilité des finances publiques, après la détérioration constatée en 2016. Le déficit public s’est établi à -2,8% du PIB en 2016, en raison de dépenses plus élevées que prévu (lutte contre le terrorisme, accueil des réfugiés) et d’une baisse des recettes car “le tax shift n’est pas entièrement financé”. Résultat: la dette publique est repartie à la hausse et estimée à 106,6% du PIB (contre 105,8% en 2015).

“Il est absolument nécessaire de maintenir l’objectif et d’évoluer vers un équilibre structurel”, ce qui est essentiel pour la confiance des agents économiques, pour la soutenabilité du budget, pour créer des marges permettant de soutenir la croissance et pour financer le vieillissement de la population, estime encore Jan Smets. “Cela va demander des efforts supplémentaires”, reconnaît le gouverneur. “Comment? Aux yeux de la BNB, l’efficience des pouvoirs publics en Belgique pourrait être augmentée. Il y a de la marge pour une amélioration à ce niveau”.

Dernier constat interpellant: les investissements publics en Belgique sont au plus bas depuis… une trentaine d’années. Malgré le corset budgétaire et la nécessité d’un retour à l’équilibre, la BNB estime qu’il doit être possible de trouver de la marge et de réinvestir, en “réorientant certaines priorités”, en “cherchant des effets de levier intéressants”, à l’instar du plan Juncker à l’échelle européenne, ou, par exemple, via des partenariats public-privé qui permettent “avec des deniers publics limités, d’arriver à de bonnes choses”.

Une croissance faiblarde, mais très créatrice d’emplois en 2016

La Banque nationale de Belgique (BNB) explique par ailleurs dans son rapport annuel que la croissance économique en Belgique n’a, certes, pas été à la hauteur des espérances en 2016, avec un faible 1,2%, mais cette croissance n’en a pas moins été très créatrice d’emplois.

Avec un PIB en hausse d’1,2% en 2016, la Belgique a de nouveau fait moins bien que la zone euro (+1,6%) mais la croissance du royaume a notamment été plombée par les attentats du 22 mars 2016. “Un impact franchement difficile à estimer mais qui correspond sans doute à 0,2% du PIB. Cela a mangé une partie de la croissance en 2016”, observe le gouverneur de la BNB, Jan Smets.

Et pourtant, les créations d’emploi ont été particulièrement nourries, étant même plus élevées (+1,3%) que la croissance elle-même, ce qui ne s’était plus observé depuis belle lurette. “Un constat qui doit nous réjouir”, selon M. Smets.

L’emploi intérieur a ainsi augmenté de quelque 59.000 unités en 2016, selon les estimations de la BNB, contre 42.000 créations nettes en 2015, 19.000 en 2014 et 15.000 emplois nets perdus en 2013.

Mieux, l’emploi au sein des branches sensibles à la conjoncture (essentiellement l’agriculture, industrie, la construction, le commerce, l’horeca, les services financiers et aux entreprises) a augmenté de 28.000 unités, après avoir crû de 16.000 unités en 2015 et avoir baissé entre 2012 et 2014.

Parallèlement, le nombre de demandeurs d’emploi inoccupés a reculé de 26.000 unités, ce qui à nouveau est le meilleur résultat des cinq dernières années.

En analysant les composantes de la croissance en 2015 et 2016, la BNB constate que l’apport de la consommation privée a été plus faible en Belgique que dans les trois principaux pays voisins (Allemagne, France et Pays-Bas). “La politique économique menée au niveau de la réduction des coûts salariaux et les efforts de redressement de la compétitivité ont pesé sur le pouvoir d’achat à court terme et la consommation”, souligne Jan Smets. Mais d’autre part, l’amélioration de la compétitivité des entreprises “renforce les exportations et crée un climat plus propice à l’investissement”, poursuit le gouverneur. “Cela se traduira à terme par plus d’activité.

Impact négatif des taux bas sur l’épargne

Alors que des voix s’élèvent, en Belgique et dans la zone euro, singulièrement en Allemagne, contre les conséquences négatives sur l’épargne de la politique de taux bas de la Banque centrale européenne (BCE), la BNB souligne de son côté que les conséquences de ces taux au plancher sur le patrimoine des Belges sont en réalité plus diverses.

Afin de relancer l’inflation, la BCE applique depuis plusieurs mois une politique monétaire ultra-accomodante avec des taux directeurs au plancher, voire négatifs pour le taux de facilité de dépôt (-0,4%), et un vaste programme de rachats d’actifs (obligations d’Etat, de sociétés financières et d’entreprises) à hauteur de plusieurs dizaines de milliards d’euros par mois. Cette politique a mis sous pression les taux d’intérêt des comptes d’épargne, plusieurs établissements en Belgique appliquant le minimum légal de 11 points de base (0,11%), un taux très en-deça du niveau d’inflation, par ailleurs plus élevé en Belgique que dans la plupart des autres pays de l’eurozone.

“Nous savons que cette politique monétaire suscite pas mal de contestations, des critiques et l’une de ces critiques est que l’épargnant en souffre. Et c’est vrai que des taux zéro, surtout si l’inflation remonte, donnent des rendements négatifs en termes réels”, a reconnu M. Smets lors de la présentation du rapport annuel de la BNB. “Mais si on regarde l’impact financier sur le patrimoine des ménages belges, l’image est en réalité assez diverse. Il y a des gens qui ont des dépôts, d’autres des actions, des biens immobiliers… dont la valeur s’est accrue. L’effet de la politique de taux sera différente en fonction de la composition du patrimoine”, a-t-il nuancé.

“Il y a aussi des gens qui ont un certain endettement et celui-ci est réduit par les taux bas, par exemple des jeunes mariés qui veulent acquérir une maison”, a encore illustré le gouverneur de la BNB.

La BNB n’en reste pas moins attentive aux taux d’endettement des ménages belges qui, rapporté au produit intérieur brut (PIB) de la Belgique, est passé d’un peu moins de 40% en 2002 à près de 60% en 2016, rattrapant le niveau constaté dans la zone euro. Les ménages belges restent toutefois plus riches en moyenne que leurs homologues européens.

Jan Smets a également souligné que la politique de taux de la BCE avait permis, au sein de la zone euro, une remontée des prêts accordés par les banques au secteur privé. “Cela a conduit à ce qu’il y ait plus de croissance et d’inflation”, a-t-il justifié, tout en reconnaissant que la croissance reste trop modeste.

L’environnement de taux bas n’en reste pas moins un défi pour les banques et les assureurs mais cet aspect relève davantage de la politique prudentielle que de la politique monétaire, selon le gouverneur. “La pression sur les banques est grande et celles-ci doivent réfléchir à leur modèle d’entreprise, par exemple en adoptant des tarifs plus réalistes”.

La numérisation et le secteur fintech sont également des défis pour le monde bancaire et des assurances. Mais avec un rendement moyen sur fonds propres de 10% (au 1er semestre 2016), le secteur bancaire belge ne s’en sort pas si mal et fait même mieux que la moyenne de la zone euro. Un résultat rendu possible par un recentrage des banques belges sur leurs activités traditionnelles et une réduction des coûts. “Le secteur est plus capitalisé, a plus de liquidités, est plus sain aujourd’hui”, résume Jan Smets.

La CSC et la FGTB refusent de cautionner l’ensemble du rapport

Côté syndical, tant Marc Leemans que Rudy De Leeuw, respectivement président des syndicats CSC et FGTB et tous deux membres du conseil de régence de la BNB, ont refusé de cautionner l’intégralité du rapport annuel 2016.

S’ils voient des éléments positifs dans le rapport (comme l’attention accordée à la durabilité, à la cohésion et l’inclusion sociales ou encore l’importance des investissements dans l’innovation, la formation et l’infrastructure), les deux responsables syndicaux jugent d’autres éléments inacceptables.

“Le rapport annuel insiste sur l’assainissement des dépenses, alors que le budget témoigne surtout d’un laisser-aller du côté des recettes fiscales”, déplore le président de la CSC, Marc Leemans, cité dans un communiqué.

“Je ne peux pas approuver ce rapport de la BNB car il ne tient pas suffisamment compte des besoins de nos travailleurs et de notre économie. Le pouvoir d’achat, le travail faisable et la sauvegarde des droits sociaux méritent la priorité absolue dans un rapport de la BNB. Aujourd’hui, force est de constater que la priorité a surtout été donnée à l’agenda des grands patrons et du monde bancaire”, déplore pour sa part le président de la FGTB, Rudy De Leeuw.

Les deux syndicats épinglent plus précisément le constat établi par la BNB selon lequel la politique de réforme du gouvernement commence à porter ses fruits, notamment en matière d’emploi, alors que “l’évolution de l’emploi reste à la traîne par rapport à la moyenne de la zone euro”, selon la CSC et la FGTB. Le plaidoyer de la BNB pour une réforme de la loi de 1996 relative à la norme salariale ne passe pas davantage, “alors qu’un durcissement s’est clairement avéré inutile”. En outre, les syndicats sont déçus que le rapport ne plaide pas “pour un tax shift correct sur la fortune” et “une fiscalité juste”.

Ce n’est pas la première fois que des responsables syndicaux membres du conseil de régence refusent de signer le rapport annuel de la BNB.

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