Les CDS sont-ils vraiment coupables?

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A la lumière de la crise grecque, Bruxelles envisage d’interdire les opérations purement spéculatives sur des CDS liés à de la dette des Etats. Reste à savoir si cette régulation est possible, et souhaitable.

Interdire l’usage des Credit Default Swaps (CDS) pour spéculer sur la dette souveraine. Voilà une idée attrayante qui fait son chemin en Europe. Aux Etats-Unis aussi, Paul Volcker, conseiller économique de Barack Obama, a appelé samedi à un encadrement plus étroit de ces produits dérivés.

Les CDS, ça sert à quoi ?

Les CDS permettent de se protéger contre le risque de défaut de paiement d’un Etat. D’un côté un créancier paie pour se couvrir au cas où son débiteur ne rembourse pas toute sa dette. En contrepartie, une institution financière lui offre de prendre à sa charge cette dette dans cette éventualité. Plus le risque de défaut augmente, plus cette couverture coûte cher. L’évolution du coût des CDS sert donc aussi à mesurer au jour le jour l’évolution du risque que présente la dette d’une entreprise ou d’un Etat.

Le problème, c’est qu’un spéculateur qui ne détient pas de la dette, et qui n’a donc pas besoin de se couvrir contre le risque de défaut, peut quand même acheter un CDS, et espérer la revendre plus cher par la suite. Cela s’appelle avoir une “position nue” sur le CDS. C’est un peu comme prendre une assurance incendie sur la maison de son voisin et avoir intérêt à ce qu’elle brûle, expliquent volontiers les pourfendeurs des CDS.

Les CDS sont ils responsables de la crise grecque ?

En théorie, la demande de CDS par des spéculateurs fait augmenter leur prix et peut avoir un effet auto-réalisateur. Car ce prix élevé est interprété par les marchés comme une indication objective du risque du pays, qui a, par conséquent, plus de difficultés à emprunter sur le marché obligataire et doit offrir des taux d’intérêt plus élevés.

Le Brésil, par exemple, en a souffert en 2002, quand les marchés se sont inquiétés de l’élection du socialiste Lula. Les hedge funds ont utilisé les CDS pour pousser les rendements des bons à la hausse. Cela aurait coûté au Brésil un milliard de dollars de plus pour emprunter, selon Felix Salmon.

Toutefois, rien ne prouve l’existence d’une spéculation massive contre la Grèce, selon le BaFin, autorité de tutelle du secteur financier allemand : “Le regain d’activité sur les marchés de dérivés est dû essentiellement à une demande croissante pour se protéger du risque crédit de la Grèce”. De fait, peu de positions nouvelles ont été ouvertes sur le marché des dérivés ces derniers jours. “Le volume des CDS aurait augmenté récemment, mais il reste faible par rapport au marché sous-jaceant”, confirme Jean-Louis Mourier, économiste chez Aurel Leven. En effet, le volume de contrats de CDS représenterait 9 milliards de dollars depuis janvier, alors que la dette grecque s’élève elle à 400 milliards.

Surtout, accuser les CDS d’avoir provoqué la crise serait “confondre l’effet avec la cause”, explique le stratégiste crédit Tim Brunne, interrogé par Bloomberg : c’est parce que la Grèce est fortement endettée et que les marchés doutent de sa capacité à rembourser les 20 milliards d’euros qui arrivent à maturité en mai, que les CDS sont élevés. “On pourrait bannir les CDS demain, il y aura toujours une crise de la dette grecque”, affirme le blogueur de The Economist Buttonwood : les investisseurs pourraient continuer de parier sur la baisse du prix des obligations grecques, en les vendant à découvert.

Faut-il réguler le marché des CDS ?

Certes, il serait logique de permettre aux détenteurs de bons de se couvrir contre le risque de défaut avec les CDS et en interdire l’accès aux spéculateurs. D’un autre côté, c’est justement parce que les spéculateurs ont la possibilité de se couvrir qu’ils peuvent se permettre de prendre des positions risquées, ce qui assure de la liquidité au marché. “A un moment où les pays ont des dettes énormes à financer, ce n’est pas le moment de retirer de la liquidité au marché”, met en garde Jean-Louis Mourier. “Pendant la crise, le marché des CDS est l’un des rares à être resté relativement liquide”, souligne le Wall Street Journal.

Est-il possible de réguler ce marché ?

Très difficilement. D’abord, il n’est pas évident de distinguer les spéculateurs des acteurs “légitimes”. Martin Wolf explique dans le Financial Times que certains investisseurs ont “acheté des CDS grecs pour se prémunir contre le risque non pas de bons publics mais d’autres actifs grecs, comme des actions”.

Mais le problème principal est que le marché des CDS est complètement opaque car “over the counter”, ou de gré à gré : il est donc quasiment impossible de surveiller les échanges. Cela signifie aussi que si la vente de ces produits est interdite en Europe, les agents n’auront aucun mal à se retrouver aux Etats-Unis. Une première étape nécessaire serait donc de centraliser le marché dans une chambre de compensation réglementée afin d’accroître la transparence des transactions. C’est cette piste qui est privilégiée dans la directive européenne sur les produits dérivés qui doit être présentée cet été.

Laura Raim

Trends.be, L’Expansion.com

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