Les Bourses chinoises ne sont pas au bout de leur peine

Shanghai - Les Bourses chinoises ont perdu plus de 20% depuis le pic de février. © GETTY IMAGES

Les actions chinoises ont décroché depuis février et sont officiellement en marché baissier. Les perspectives demeurent incertaines, mais certains stratégistes y voient une opportunité à ne pas manquer à long terme.

Il y a un an, les Bourses chinoises étaient plébiscitées. La Chine s’était extirpée bien plus rapidement que le reste du monde de la crise sanitaire et les géants technologiques n’avaient quasiment plus rien à envier à leurs homologues américains. Luca Paolini, stratégiste en chef de Pictet, estimait ainsi que les actions chinoises présentaient les perspectives les plus favorables. Le gestionnaire de fonds suisse tablait sur un rendement annuel de 12,9% au cours des cinq prochaines années. Cela avait plutôt bien commencé puisque l’indice CSI 300 des Bourses de Shanghai et de Shenzhen a atteint un nouveau record en début d’année, dépassant le pic de la bulle de 2015.

Xi Jinping veut réaffirmer son autorité alors qu’il brigue un troisième mandat inédit comme président de la République populaire de Chine.

Disparition de Jack Ma

Les premiers remous étaient toutefois apparus dès la fin de l’année dernière avec notamment l’annulation du projet de cotation de la fintech Ant Group, qui était annoncée comme la plus importante introduction en Bourse du monde. La disparition durant quelques mois de Jack Ma, fondateur d’Alibaba et de sa filiale Ant Group, avait aussi fait tanguer les géants technologiques chinois.

Fin février, la machine s’emballe. Les prises de bénéfices sur les valeurs technologiques américaines plombent les leaders chinois. Début mars, l’agence Bloomberg annonce que les autorités chinoises censurent les termes “marchés boursiers” sur un réseau social chinois, et mobilisent des fonds publics pour stopper la chute des Bourses.

La reprise de Wall Street permet de stabiliser le CSI 300 dans les semaines qui suivent. Mais sans véritable rebond, les investisseurs se montrant plus prudents alors que les autorités chinoises multiplient les enquêtes et sanctions, Alibaba écopant notamment d’une amende de 2,3 milliards d’euros.

Eté meurtrier

Les Bourses chinoises basculent définitivement en juillet. Le 4, Pékin ordonne le retrait de l’application Didi des plateformes numériques quelques jours à peine après son introduction en Bourse de New York, une cotation à l’étranger étant désormais très mal perçue en Chine. Le coup de grâce est donné le 24 juillet. Le géant Tencent est contraint de renoncer à ses droits musicaux exclusifs et surtout l’important secteur du soutien scolaire (en ligne) est à peu près anéanti. Les entreprises doivent s’enregistrer comme associations à but non lucratif, leurs activités sont strictement réglementées et elles ne peuvent solliciter d’investisseurs étrangers. Pékin se justifie en invoquant les coûts élevés de ces cours et la pression sur les enfants. En Bourse, les edtechs s’effondrent: New Oriental Education et TAL Education ont perdu à peu près 90% de leur valeur en six mois.

Le flot de nouvelles négatives continue en août pour les investisseurs en actions chinoises. Pékin serre la vis par rapport aux jeux vidéo en ligne. Les autorités antitrusts chinoises publient les grandes lignes d’un projet de refonte de la régulation du secteur technologique. Pékin s’en prend aussi au secteur immobilier, prié de “mettre de l’ordre” dans un marché surchauffé malgré les mesures prises par les autorités depuis la fin de l’année dernière.

Pis, l’économie chinoise confirme son ralentissement avec une croissance annuelle de 8,5% des ventes au détail et de 6,4% de la production industrielle en juillet contre respectivement 23% et 15,9% au premier semestre. Selon les données de CNBC, les ventes en ligne ont progressé de seulement 4,4% en juillet en Chine contre une moyenne de 21% ces cinq dernières années.

Evergrande, la faillite du géant?

Depuis cet été, les Bourses chinoises sont officiellement en marché baissier, ayant perdu plus de 20% depuis le pic de février, et l’indice S&P China Select ADR, rassemblant les certificats d’actions chinoises cotées à New York, a même perdu la moitié de sa valeur.

Dans cet environnement de méfiance, Evergrande est rattrapé par ses difficultés financières. Le conglomérat est un des plus grands groupes privés de Chine, employant 200.000 personnes et générant 3,8 millions d’emplois au total dans des secteurs aussi divers que l’immobilier, l’assurance, la santé ou le numérique. La banque centrale chinoise considérait ainsi dans un rapport de 2018 qu’Evergrande pose un risque systémique avec notamment des dettes auprès de 128 banques et 121 institutions financières non bancaires. Même après une série de ventes d’actifs, sa dette financière porteuse d’intérêts était toujours de 570 milliards de yuans (75 milliards d’euros) fin juin. L’agence Bloomberg évoque des engagements totaux de plus de 300 milliards de dollars.

Evergrande Le conglomérat est au plus mal. Son action a dévissé de 75% depuis la mi-février.
Evergrande Le conglomérat est au plus mal. Son action a dévissé de 75% depuis la mi-février.© GETTY IMAGES

Or, le conglomérat est au plus mal. Il doit brader ses biens immobiliers et activités les plus prometteuses. Son action a dévissé de 75% depuis la mi-février. Parmi ses obligations, son émission arrivant à échéance en avril 2022 se traite à la moitié de sa valeur nominale, illustrant les craintes réelles des investisseurs. L’agence Standard & Poor’s a récemment abaissé sa note sur Evergrande à CCC, le dernier échelon avant le défaut de paiement.

20e Congrès du PCC

Dans ce contexte, les stratégistes de Pictet annonçaient dans une note à la clientèle début août qu’ils allaient réduire la voilure sur la Chine. Goldman Sachs a pour sa part ramené son objectif à 12 mois pour l’indice boursier MSCI China de 20%. “La situation a évolué de mal en pis”, estime également Mark Grant, stratégiste chez B. Riley Securities et invité régulier des médias financiers aux Etats-Unis. Celui-ci souligne que les procédures de contrôle des états financiers des entreprises laissent à désirer et que “les interventions du gouvernement chinois sont incessantes”. Les actifs chinois sont donc à éviter pour Mark Grant qui rappelle “qu’aucune personne

En limitant le pouvoir des grands groupes technologiques, la Chine donne l’opportunité à des petites entreprises d’émerger et d’alimenter la croissance économique.” Thibaut Dorlet (Candriam)

ni institution ne devraient jamais investir dans ce qu’elle ne comprend pas ( comme la politique chinoise, Ndlr) ou quelque chose qui n’est pas contrôlé”. Pékin a d’ailleurs annoncé de nouvelles régulations au cours des prochains mois alors que Xi Jinping veut réaffirmer son autorité tandis qu’il brigue un troisième mandat inédit comme président de la République populaire de Chine lors du 20e Congrès du Parti communiste à l’automne 2022.

Des Secousses temporaires?

Mais tous les observateurs ne sont pas aussi pessimistes. Thibaut Dorlet, senior fund manager chez Candriam, souligne que les autorités chinoises poursuivent trois objectifs via le durcissement des réglementations . D’abord “renforcer l’égalité entre les individus, en donnant, d’un côté, l’opportunité à chaque enfant d’avoir les mêmes chances, et en tentant, d’un autre côté, de parvenir à stimuler la natalité . Puis rappeler aux grandes entreprises (notamment à celles du secteur de la technologie), qu’elles ont une responsabilité sociale, en les engageant à contribuer à l’équité du pays et en empêchant tout monopole. Enfin renforcer l’indépendance nationale face aux pays étrangers, en favorisant les investissements dans des domaines clés (véhicules électriques, énergie solaire, cloud, 5G, santé, etc.)”.

Même s’il redoute un impact sur la croissance à court terme, Thibaut Dorlet se montre plus confiant à plus long terme: “En limitant le pouvoir des grands groupes technologiques, la Chine donne, en outre, l’opportunité à des petites entreprises d’émerger et d’alimenter la croissance économique”. Leona Tan, senior portfolio manager chez Econopolis à Singapour, est globalement du même avis.

“Le programme à long terme

de la Chine consiste à se transformer en une économie socialiste modernisée et à rajeunir la nation d’ici le milieu du siècle. Par rapport aux autres régions, il ne fait aucun doute que les Bourses chinoises sont actuellement une bien meilleure option. La croissance y reste forte et les valorisations sont attrayantes… avec des opportunités en particulier dans des

domaines comme l’innovation technologique.”

Investir en actions locales

Les actions chinoises ne laissent en tout cas pas les stratégistes indifférents avec fondamentalement deux approches opposées. La première rassemble ceux qui estiment que la vague de réglementations actuelle trahit en quelque sorte la vraie nature du régime chinois qui ne considère pas les droits des actionnaires comme acquis. A l’opposé, les plus optimistes considèrent les remous actuels comme temporaires et soulignent les perspectives de croissance de l’économie chinoise.

Toutefois, tous s’accordent sur deux points. Le premier est que la situation risque de rester tendue encore quelque temps à l’approche du 20e Congrès du Parti communiste chinois à l’automne 2022. Le second est que les actions chinoises cotées à l’étranger sont à éviter, Pékin voulant rapatrier les échanges sur son sol.

Investir en actions chinoises locales n’est toutefois pas une sinécure et vous devrez obligatoirement passer par des fonds si vous croyez dans le potentiel à long terme de l’économie locale. Parmi les fonds disponibles en Belgique, les meilleurs sont JPMorgan Funds-China Fund (note de performance historique 5 étoiles, note qualitative Argent) et Schroder International Selection Fund China Opportunities A (4 étoiles et Or), selon Morningstar.

Du côté des fonds indiciels, Xtrackers propose deux ETF. Un premier sur l’indice FTSE China 50 (Bourse de Francfort ; LU0292109856 ; frais annuels de 0,60%) rassemblant les 50 principales sociétés chinoises cotées à Hong Kong avec une forte présence technologique (Alibaba, Tencent, JD.com, etc.). Un second sur le CSI 300 (Bourse de Francfort ; LU0779800910 ; frais annuels de 0,50%) des Bourses de Shanghai et de Shenzhen, un indice plus élargi et davantage porté sur les secteurs traditionnels (banque et assurances, biens de consommation, industrie).

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