Les banquiers, tous des tricheurs?

/ © Reinhold Foeger

Des chercheurs suisses ont mis en évidence “la culture de la triche” dans le secteur banquier en réalisant une expérience sur 128 employés du secteur à qui ils ont demandé de jouer à “pile ou face”. Les résultats sont sans appel.

Les banquiers sont-ils tous des escrocs et des tricheurs? Ils n’inspirent dans tous les cas pas la confiance. A côté des hommes politiques, c’est en effet le secteur professionnel qui suscite le plus de rejet dans l’opinion. Michel Maréchal, professeur d’économie expérimentale à l’université de Zurich en remet une couche. Avec son collègue de Zurich, Ernst Fehr, et Alain Cohn, de l’université de Chicago, le chercheur vient de publier dans la renommée revue scientifique Nature un article qui met en évidence la “culture de la triche” en vigueur dans le secteur bancaire, ses recherches sont relayées par Le Monde.

Les trois chercheurs ont voulu mener une expérience sur les comportements éthiques ou non des personnes travaillant dans la finance. Suite aux derniers scandales financiers ils estiment important d’établir une sorte de protocole. Ils s’expliquent : “Les récents scandales financiers – dossier Kerviel, affaire du Libor – et la conviction des experts que les normes en vigueur dans le monde de la banque pouvaient expliquer ces dérives nous ont convaincus de la nécessité d’élaborer un protocole“.

Pour leur expérience, ils ont mis sur pied un dispositif basé sur un jeu de hasard des plus simples : “pile ou face”. Pour ce faire, une grande banque internationale a mis à leur disposition, sous couvert d’anonymat, 128 de ses employés, issus de tous les secteurs – banque privée, gestion du risque, traders, ressources humaines – et de tous les niveaux. Le groupe, dont les participants avaient en moyenne onze ans et demi d’expérience dans le secteur, a été scindé en deux. Les chercheurs ont posé à chaque employé une série de questions portant sur leur bien-être, suivie de sept questions distinctes. Le premier groupe s’est vu interroger sur son identité professionnelle (dans quelle banque travaillez-vous ? quelle est votre fonction ?…), le second, a été cuisiné sur d’autres sujets (quel est votre loisir favori ? combien d’heures regardez-vous la télévision chaque jour ?…). Mais le plus intéressant de l’expérience a commencé quand les personnes interrogées ont été invitées à jouer à pile ou face dix fois d’affilée et à noter à chaque tentative le résultat. Détail d’importance: chaque lancer retombant côté “face” rapportait 20 dollars ; “pile”, au contraire, ne rapportait rien. Le résultat dans le groupe de contrôle fut un taux de 51,6 % de lancer “gagnant”, “ ce qui n’est pas significativement différent de 50 %“, indiquent les chercheurs, concluant que les banquiers ne sont pas malhonnêtes par nature.

” Les normes dans le secteur banquier poussent à une attitude malhonnête.”

La tentation était cependant grande, puisque personne n’était présent pour surveiller les résultats du tirage à pile ou face, de tricher lorsque les cobayes ont été placés, cette fois, dans des conditions professionnelles. Les résultats donnent que la pièce tomba du bon côté dans 58,2 % des cas. Ce qui n’a plus rien de normal. En considérant que personne ne triche contre son intérêt, le calcul de probabilité estime à 26 % le taux de tricheurs dans le groupe étudié.

Le même exercice a été reproduit avec des employés d’autres secteurs. Aucune différence statistique n’a été observée entre les joueurs placés en situation professionnelle et le groupe de contrôle. Avec des étudiants : même résultat. En revanche, explique encore Le Monde, un groupe de 80 employés du secteur bancaire venus d’autres établissements se sont avérés très chanceux. Conclusions des chercheurs : ce n’est donc pas la banque d’origine mais bien le conditionnement professionnel qu’il faut incriminer. “ Les normes et règles informelles en vigueur dans le monde de la banque privilégient les valeurs matérielles et poussent à une attitude malhonnête”, concluent les chercheurs. Ces tests pourraient être élargis aux hommes politiques. confrontés à de possibles gains électoraux. “Il n’y a aucune raison de penser que seul le secteur financier soit concerné “, avance Marie-Claire Villeval, professeur d’économie (CNRS, université de Lyon).

Les chercheurs suisses insistent, de leur côté, sur la nécessité de “modifier la culture professionnelle des banquiers”, en mettant en place un “serment” à l’image de celui d’Hippocrate prononcé par les médecins, en supprimant les bonus qui favorisent un comportement en conflit avec l’intérêt du client ou de la société, ou encore, en introduisant des primes qui récompensent une attitude “citoyenne”.

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