Les banques menacent de mettre à la porte les Belges possédant la nationalité américaine

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Ilse De Witte Journaliste chez Trends Magazine

Américains accidentels. Voici comment les Européens nés aux États-Unis, mais vivant et travaillant en Europe se décrivent. Leur naissance leur a conféré la double nationalité, mais aujourd’hui, ce passeport supplémentaire a surtout des conséquences négatives. Les banques s’en méfient, par peur de sanctions américaines.

“Dans les années 60, mon papa travaillait aux États-Unis”, explique Charles. “J’y suis né. Quand j’ai eu un an, nous sommes repartis vivre en Belgique. Si vous naissez sur le territoire américain, vous en recevez la nationalité en ‘cadeau’. Pas besoin de Green Card ou de permis de séjour permanent pour pouvoir travailler et habiter aux USA. Pour être honnête, il y a quelques années, j’ignorais encore que j’avais la double nationalité. Je suis belgo-américain. Je n’ai donc pas de passeport américain. Lorsque j’ai dû me rendre deux fois aux États-Unis pour le travail, j’ai demandé un visa comme n’importe quel autre Belge et j’ai rempli toutes les formalités.”

Mais depuis 2019, cette double nationalité se rappelle bien trop souvent à Charles. C’est à ce moment-là que les problèmes ont commencé. “Quand ma grand-mère est décédée, le notaire m’a demandé si je disposais d’un compte chez BNP Paribas Fortis. Ma grand-mère était cliente auprès de cette banque, et il est plus simple d’effectuer des transferts entre comptes de la même banque. J’avais bien ouvert un compte à vue dans cette banque, mais sans plus. Le notaire a fait ouvrir un compte titres à mon nom. L’argent et les titres que j’avais hérités de ma grand-mère ont été transférés dessus.”

Mi-décembre, Charles a reçu un message de BNP Paribas Fortis : ses comptes allaient être clôturés. Il avait deux mois pour transférer leur contenu dans une autre banque. “Cela a commencé par des appels téléphoniques, auxquels je n’ai rien compris. Puis sont arrivées trois lettres m’expliquant la législation”, raconte Charles. “Je leur ai fourni toutes les informations qu’ils demandaient : où je vis, ce que je possède… La banque a demandé une preuve que je payais des impôts aux États-Unis, ou une preuve que j’avais renoncé à ma citoyenneté américaine, mais je n’avais pas cette preuve et l’obtenir n’est pas si facile. J’ai déjà perdu beaucoup de temps et d’énergie, et je crains que cela ne me coûte aussi beaucoup d’argent.”

Charles fait partie des nombreux Américains vivant en Belgique sans Tax Identification Number (TIN). Ceux-ci sont en mauvaise posture, car en 2014, la Belgique a signé le Foreign Account Tax Compliance Act, un accord qui a été intégré à la loi belge en 2015.

“Le FATCA est un règlement du code fiscal américain dont l’objectif est d’empêcher l’évasion fiscale des personnes de nationalité américaine ou ayant des liens avec l’Amérique”, explique Isabelle Marchand, porte-parole de Febelfin. La loi oblige les banques belges à fournir aux autorités américaines des informations sur leurs clients ayant des liens avec l’Amérique.

2000 euros

“Depuis 2020, la loi oblige les banques belges à partager le TIN de leurs clients ou à clôturer leurs comptes”, précise Isabelle Marchand. “Les banques demandent donc aux clients concernés de leur transmettre ce TIN. Pour demander un TIN, il faut d’abord disposer d’un social security number (SSN). “La procédure de demande d’un SSN n’est pas très compliquée, et elle est gratuite. Mais les services compétents de l’ambassade américaine à Bruxelles sont fermés depuis près d’un an, ce qui rend pratiquement impossible toute demande de SSN pour une personne vivant en Belgique”, explique Fabien Lehagre, président de l’Association des Américains Accidentels (AAA). Ce dernier est Français, né aux États-Unis en 1984 et rentré en France avec son père français en 1986.

Une autre option est de renoncer à la nationalité américaine. “Mais c’est une procédure très complexe, qui peut prendre du temps” explique Isabelle marchand. Fabien Lehagre ajoute également que renoncer à la nationalité américaine coûte 2350 dollars. Ce montant converti en euros, les Américains accidentels doivent donc payer 1977 euros pour résoudre leur problème. Bon à savoir : avant le FATCA, renoncer à la citoyenneté américaine ne coûtait que 450 dollars. Charles a analysé la procédure, et la trouve particulièrement compliquée. De plus, il ne comprend pas pourquoi il doit s’acquitter d’une telle somme. “Je n’ai jamais demandé à avoir la nationalité américaine.”

Vincent Wellens du cabinet d’avocats NautaDutilh explique qu’en décembre 2020, les Américains Accidentels ont déposé une plainte contre le State Department, le département d’État américain, pour contester ces coûts élevés. “Si les gens veulent mettre leurs affaires en ordre avec l’agence fédérale des impôts des États-Unis, l’IRS, avant de renoncer à leur citoyenneté américaine, ils devront payer beaucoup plus que ces 2350 dollars. La plupart des Américains accidentels veulent donc se débarrasser de leur citoyenneté américaine sans se conformer à l’IRS.”

Amendes

Charles est chanceux et les autres banques où il est client ne s’arrêtent pas à sa double nationalité pour l’instant. Elles ont également accueilli son héritage : “L’argent et la plupart des titres ont été transférés. Il reste encore trois actions américaines (coïncidence ou non) que BNP Paribas Fortis n’a toujours pas transférées sur mon compte titres auprès de l’autre banque. Je n’y ai donc plus accès.” Nous avons demandé à BNP Paribas Fortis de réagir à l’histoire de Charles, mais la banque nous a renvoyés vers Febelfin. “Le problème de l’obtention d’un TIN n’étant pas spécifique à BNP Paribas Fortis, nous vous demandons de contacter Febelfin pour plus d’informations.”

Pourtant, Fabien Lehagre connaît d’autres Belges qui, comme Charles, ont reçu une lettre de BNP Paribas Fortis. On ne sait pas si d’autres banques ont déjà mis leurs clients à la porte. Fabien Lehagre a même reçu une lettre d’un Américain accidentel vivant en Belgique et ayant contracté un prêt immobilier auprès de BNP Paribas Fortis. La banque a fermé tous ses comptes, a donné au client deux mois, jusqu’au 3 mai, pour ouvrir un compte courant et un compte d’épargne auprès d’une autre banque et explique comment les remboursements mensuels du prêt doivent avoir lieu à partir de maintenant. Fabien Lehagre ajoute que la société mère, BNP Paribas, a également mis en attente ses clients américains en France.

Il est possible que la crainte soit plus intense chez BNP Paribas que dans les autres banques, car la banque a dû payer une amende de près de 9 milliards de dollars aux États-Unis en 2014. La banque s’était vu infliger cette amende, car elle était accusée d’avoir violé des embargos économiques en Iran, à Cuba et au Soudan. Mais il est clair que toutes les banques belges sont conscientes du problème des Belges américains.

“Si les banques ne fournissent pas les données des clients américains, envoient des données incomplètes, ou ne clôturent pas le compte si elles n’ont pas les informations nécessaires, elles risquent de lourdes amendes”, explique Isabelle Marchand. “S’ils ne se conforment pas au FATCA, les États-Unis peuvent décider de prélever 30 % sur tous les paiements en provenance des États-Unis vers la banque ou les clients de la banque. Ici, seule une solution politique ou diplomatique fonctionnera. Il ne s’agit pas d’un problème purement belge, mais d’un problème concernant tous les pays en dehors des États-Unis.”

Respect de la vie privée

Le 22 décembre, Vincent Wellens a déposé plainte auprès de l’administration fiscale au nom des Américains accidentels, et ce au Luxembourg et en Belgique. “Nous soutenons que les transferts de données personnelles des autorités fiscales luxembourgeoises et belges vers les autorités fiscales américaines, comme le prévoit le FATCA, sont illégaux selon le RGPD. Nous demandons que ces transferts cessent, car ils n’ont aucune base légale dans le RGPD, ils sont disproportionnés et vont à l’encontre des droits des Américains accidentels.”

Fabien Lehagre ajoute que s’ils n’ont pas de réponse d’ici la fin du mois, les Américains accidentels iront en justice dans les deux pays pour faire annuler la loi. En France, les Américains accidentels ont intenté des actions en justice similaires, mais n’ont pas obtenu gain de cause. Ils demandent donc l’intervention de la Commission européenne. Ils espèrent également que les tribunaux belges et luxembourgeois demanderont un avis à la Cour de Justice, qui s’appliquerait en principe à tous les États membres de l’Union européenne.

L’Association des Américains accidentels de Belgique (AAAB) et Charles ont également déposé une plainte auprès de l’Autorité belge de protection des données en décembre, alléguant que les échanges de données des banques avec les États-Unis vont à l’encontre des dispositions du RGPD. À la question de savoir si la plainte est recevable, l’Autorité de protection des données nous a répondu qu’elle ne pouvait pas se prononcer sur les dossiers en cours.

Charles est très inquiet, car il craint qu’à terme les autres banques ne suivent l’exemple de BNP Paribas Fortis. “Aujourd’hui, il est impossible de vivre sans compte en banque. C’est un vrai casse-tête. Heureusement que je ne suis pas marié avec ma compagne. Sinon, je l’aurais entraînée dans cette débâcle. Un ami s’est récemment demandé si je ne pouvais pas mettre mon argent à son nom, mais cela engendre d’énormes risques.”

La crainte de Charles est fondée, car Febelfin met en garde : “Les banques aideront les clients et leur fourniront des informations sur comment demander un TIN, mais elles ne peuvent pas effectuer les formalités à la place des personnes concernées. Nous allons tout mettre en oeuvre pour aider ces personnes, mais les banques seront quand même tenues de clôturer les comptes.”

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