“Les banques en difficulté doivent être liquidées !”

© Filip Van Loock

Le processus décisionnel politique aux Etats-Unis et en Europe a été détourné par les banquiers, dénonce l’économiste Frank Allen : “Pour obtenir de la discipline de la part des banques, il faut leur faire savoir que, si elles font preuve d’imprudence, elles seront liquidées !”

Il faut mettre en place un système qui génère un niveau acceptable de crises, estime Franklin Allen, professeur à la Wharton School de l’Université de Pennsylvanie et autorité en matière de stabilité financière. Une leçon en trois points : contrôle de la stabilité du système financier, matelas de capitaux plus épais pour les banques, plus grande discipline budgétaire.

Depuis 1970, le monde a connu 147 crises bancaires, 204 crises de change et 72 crises de la dette souveraine. Comment s’explique cette situation chaotique ?

Entre 1945 et 1970, le monde a été pour ainsi dire à l’abri des crises financières, hormis une rare crise monétaire. Au cours de cette période, tout était si fortement réglementé que les banques ne pouvaient prendre de risque. L’Etat contrôlait le système financier et décidait de la façon dont les capitaux disponibles étaient utilisés.

Cette situation a certes engendré un monde financier stable mais cela n’a pas bien fonctionné non plus, car beaucoup de capitaux n’étaient pas affectés à bon escient. Dans un premier temps, dans l’immédiat après-guerre, ce n’était pas tellement difficile pour les gouvernements d’investir les capitaux de façon efficace puisque tout devait être reconstruit. Mais par la suite, ils n’ont plus su dans quels secteurs ou entreprises ils devaient investir. C’est pourquoi les marchés financiers ont été dérégulés : afin de leur laisser la possibilité de prendre les décisions d’investissement. Le revers de la médaille est un risque croissant de crise financière.

Existe-t-il une voie moyenne idéale ?

Oui. Nous devons mettre en place un système qui génère un niveau acceptable de crises. Primo, les politiciens doivent mieux veiller sur la stabilité du système financier. Ces dernières années, ils ont négligé de le faire parce qu’ils partaient du principe que la crise que nous avons connue en 2008-2009, ne pouvait pas se produire.

Secundo, les banques doivent se constituer un matelas de capitaux plus épais. Et tertio, les pouvoirs publics doivent faire preuve d’une plus grande discipline budgétaire pour réduire leur taux d’endettement, et être ainsi à même de faire face à une crise s’il devait en éclater une malgré tout. Dans ce cas, ils auront encore des munitions pour combattre la crise de façon crédible. L’Europe et les Etats-Unis n’ont plus ces réserves de sécurité de sorte que cette fois, les conséquences seraient beaucoup plus graves si la crise devait à nouveau déraper.

Nous devons revenir à un monde dans lequel l’Etat ne protège plus tellement les gens. A la rigueur, on pourrait encore protéger les petits épargnants mais les autres n’ont qu’à veiller eux-mêmes à investir intelligemment. Pour obtenir de la discipline de la part des banques, il faut leur faire savoir que si elles font preuve d’imprudence, elles seront liquidées. Cette forme de régulation de base qui doit s’appliquer à tous ceux qui gèrent l’argent des autres, peut éradiquer du système les excès les plus graves mais la régulation seule n’assurera jamais la stabilité. Les gens doivent s’assumer eux-mêmes et prendre leurs responsabilités au lieu de compter sur les pouvoirs publics.

Le système financier est placé dans un nouveau carcan de régulation. Est-il suffisamment contraignant ou faut-il encore le renforcer ?

La mise au point de ce processus est trop entre les mains des hommes politiques. De ce fait, cela n’a parfois ni queue ni tête. Un exemple. D’abord, l’Europe nie que les banques européennes aient besoin de capitaux supplémentaires, puis Dexia s’effondre. L’Europe admet qu’il faut malgré tout procéder à une recapitalisation des banques alors que, l’été dernier, ce même groupe Dexia a passé le stress test européen sans difficulté. Comprenne qui pourra…

Par ailleurs, nous tenons encore beaucoup trop compte du capital comptable des banques. Or, une banque peut perdre la confiance des marchés si la valeur de marché de ses actifs est inférieure à leur valeur comptable. C’est ce qui arrive actuellement en Europe, et c’est pourquoi une recapitalisation des banques européennes est tellement importante.

Si l’on comptabilise tout au prix de marché, ne pensez-vous pas qu’on injecte plus de volatilité et d’instabilité dans le système financier ?

Les matelas de capitaux des banques n’ont qu’à être suffisamment épais : dans ce cas, la volatilité n’a pas beaucoup d’importance. Les nouvelles exigences que Bâle III impose en matière de capital, sont largement insuffisantes. Je suis d’accord avec les Suisses, qui exigent un matelas de capitaux de l’ordre de 19 %. Je suis content qu’ils le fassent car nous verrons alors si, dans ce cas, la fin du monde est proche, comme les banquiers le prétendent.

Le processus décisionnel politique aux Etats-Unis et en Europe a été détourné par les banquiers, ce qui contraste violemment avec la régularisation qui existe dans d’autres secteurs. La stratégie des banquiers consiste à éviter les discussions. Ils nous menacent mais n’engagent pas le débat. Lorsqu’on élabore une législation antitrust ou environnementale, par exemple, le débat entre les acteurs et les régulateurs se situe à un niveau beaucoup plus élevé.

Si on place les banques dans un carcan suisse, peuvent-elles encore engranger suffisamment de bénéfice pour attirer des investisseurs et des capitaux ?

Oui. Le bénéfice sera moindre mais c’est parfaitement défendable parce que le risque couru par les actionnaires sera beaucoup plus réduit.

Beaucoup de banques sont trop grandes pour qu’on les laisse faire faillite. N’est-ce pas là l’une des plus grandes erreurs de construction du système financier actuel ?

Les gouvernements se sont tout à fait fourvoyés dans leur approche de la crise bancaire. Aujourd’hui, ces grandes banques peuvent continuer à opérer. Or, on ne doit pas sauver une banque en difficulté. Il faut d’abord la nationaliser puis, à terme, la liquider de façon ordonnée, après avoir licencié la direction.

En procédant ainsi, on donne aux banques prudentes l’espace nécessaire pour étendre leurs activités. Dexia Banque devrait être liquidée.

Le système bancaire a aussi besoin d’un certain nombre de banques publiques dont on sait que celles-là, au moins, sont sûres parce qu’elles sont garanties par l’Etat. Dans ce cas, les autres banques sont obligées de les concurrencer et de démontrer qu’elles ne prennent pas de risques exagérés.

Propos recueillis par Daan Killemaes et Patrick Claerhout

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