Les assureurs doivent détenir plus d’actions!
Le cadre réglementaire Solvency 2 qui régit le secteur de l’assurance freine ses investissements à long terme. Il faut l’assouplir pour soutenir l’économie européenne, commence-t-on à comprendre. C’est un des dossiers à traiter cette année par la Commission européenne.
Mises en oeuvre en 2016 mais pensées au lendemain de la crise financière de 2009, les dispositions réglementaires contenues dans la directive Solvency 2 sont très prudentielles, au sens premier du terme, et très marquées par la volonté de la Commission européenne de relancer l’économie, observe Joeri Van Rompuy, responsable risque du département des investissements chez l’assureur AG. Résultat: on s’est braqué sur les risques à court terme, ceux qui ont fragilisé les banques. En perdant un peu (et même beaucoup) de vue que le monde de l’assurance est au contraire axé sur le long terme et peu exposé aux risques à court terme. Et que les assureurs sont de ce fait un pilier de l’économie et un ancrage des entreprises. Noeud du problème: ils doivent immobiliser jusqu’à 39% de fonds propres quand ils investissent en actions d’entreprises européennes, mais pas un euro s’ils acquièrent des emprunts d’Etat, comme l’indique le tableau ci-contre. Une disproportion que la Commission devrait corriger cette année, à l’issue de la consultation clôturée en décembre dernier.
Il faut accroître notre capacité à prendre certains risques.”
Hilde Vernaillen (Assuralia)
Le risque à long terme est surestimé
Membre du comité de direction de l’EIOPA, le régulateur européen du secteur de l’assurance, Jean Hilgers rappelle que la révision de Solvency 2 était prévue dès le départ et considérée comme essentielle. Lors du récent webinaire organisé par la Banque nationale sur ce sujet, il a précisé: “La nouvelle version doit se référer à l’environnement actuel, caractérisé par une croissance faible et des taux d’intérêt bas. Il faut tenir compte de ce dernier point dans les exigences de fonds propres. Ce devrait même être une pierre angulaire de cette révision. C’est l’occasion de prendre en compte d’autres projets importants de l’Union européenne, notamment son marché des capitaux. En tant qu’investisseurs naturellement tournés vers le long terme, les assureurs sont des candidats évidents au financement à long terme de nos économies.” Et Jean Hilgers de préciser: “Il faut améliorer la pertinence des exigences de capital car il faut inciter les assureurs à détenir davantage d’actions que ce n’est aujourd’hui le cas. Nous savons en effet que c’est clairement une faiblesse des dispositions actuelles”.
Présidente d’Assuralia, la fédération professionnelle belge du secteur de l’assurance, Hilde Vernaillen souligne qu’en raison de la focalisation de cette réglementation sur le court terme, le risque présenté par les placements à long terme est jugé de manière excessive. “Il faut accroître la capacité des assureurs à investir et à prendre certains risques. Des exigences de fonds propres très élevées ont réduit leur capacité à financer l’économie réelle. Ce n’est pas normal puisque les assureurs financent traditionnellement les entreprises et institutions à long terme au travers des actions, obligations et prêts.”
La France mène la fronde
La France fut à la pointe de la contestation des dispositions de Solvency 2 en matière d’exigences de fonds propres pour les investissements en actions. En 2018, le gouvernement reprend le flambeau de ce “combat vieux de 10 ans”: la direction générale du Trésor (ministère des Finances) appuie officiellement les propositions faites en ce sens par la Fédération française de l’assurance. Le 25 octobre 2019, à la 11e Conférence internationale de l’assurance, c’est le gouverneur de la Banque de France lui-même qui monte au créneau. Il plaide pour une simplification, en dénonçant notamment la trop grande complexité des modalités de calcul des provisions mathématiques. Il appelle à la réduction de la marge pour risque et souligne qu’il est contre-productif de “baisser artificiellement l’exigence de capital requis en renonçant à des investissements en actions” car cela prive les entreprises de fonds propres. Or, souligne-t-il, ceux-ci ne représentent que 79% du PIB en zone euro, contre 122% aux Etats-Unis.
Timide remontée des actions
“Dans la recherche de rendement, il est normal de prendre un risque limité en investissant dans d’autres actifs que les obligations d’Etat: l’immobilier, les obligations d’entreprises et les prêts directs”, embraie Wim Vermeir, chief investment officer (CIO) chez AG. Ces placements représentent près de la moitié du portefeuille. En ce compris les actions, récemment passées de 3 à près de 4% du total. C’est encore peu, beaucoup moins qu’il y a une vingtaine d’années, ici comme chez tous les assureurs. Il n’était pas rare, à l’époque, que les actions pèsent aux environs de 15% du total. Cette (petite) remontée va-t-elle se poursuivre?
Dans la recherche de rendement, il est normal de prendre un risque limité en investissant dans d’autres actifs que les obligations d’Etat.
Wim Vermeir, CIO chez AG
Oui, et pour trois raisons, affirme Wim Vermeir: “D’abord en fonction d’un raisonnement purement économique: on attend un rendement de dividende de 2,5 à 3%, cette année comme en 2022, très supérieur à celui des obligations. Ensuite, si le traitement capitalistique (les exigences de fonds propres, Ndlr) pour les actions a toujours été très négatif sous les réglementations Solvency, il est devenu moins pénalisant en cas de détention à long terme. Enfin, certains changements sont attendus au niveau de la prise en compte comptable de la volatilité observée sur les marchés”.
Le corset régentant les investissements réalisés par les assureurs s’est donc déjà un peu desserré. Sur deux plans en tout cas. Celui du financement des infrastructures d’abord, suite au plan Juncker mis en oeuvre en 2015 et qui avait pour objectif de mobiliser les capitaux privés en faveur de ces infrastructures. Pour ce faire, les exigences de fonds propres furent abaissées de 30%. C’est encore trop cher, jugent les assureurs, car cela surestime toujours largement le risque, mais c’est un progrès… Assouplissement aussi pour les actions: en cas de détention à long terme, on revient de 39 à 22%, ce qui est plutôt spectaculaire.
Tout le monde n’a pas encore compris…
Les exigences de fonds propres seront-elles plus ou moins sensiblement abaissées à l’issue du processus de révision en cours au sujet de Solvency 2? Ce n’est pas certain, à ce stade. Ce qui semble relativement acquis, et ce qui est en tout cas ardemment souhaité, c’est un assouplissement de certaines conditions d’application du “tarif”. Ce dernier n’est en effet pas tout, les conditions qui lui sont liées peuvent s’avérer tout aussi importantes, souligne Wim Vermeir. Ainsi, les règles liées à la détention des actions à long terme sont assez compliquées et sujettes à discussion avec les autorités. “Il doit s’agir d’actions européennes et elles doivent être conservées en moyenne pendant cinq ans, précise Joeri Van Rompuy. Par contre, les fonds investis en actions sont plutôt exclus. On s’oriente toutefois de cette vision très régulatrice vers une vision plus bilantaire. Il faudrait avant tout démontrer que vous disposez de réserves (contrats d’assurance, Ndlr) à long terme, c’est-à-dire avec une duration de l’ordre de 12 ans. Cela ne s’applique donc qu’à une partie réduite des contrats d’assurance actuellement en Belgique.” Cette “poche” de long terme concerne aujourd’hui un tiers environ des actions détenues par AG, proportion qui, à terme, tendra probablement vers la moitié, signale Wim Vermeir.
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N’étant pas certain qu’on puisse attendre monts et merveilles du nouveau Solvency 2 en gestation, ce dernier s’avoue quand même heureux qu’on se soit écarté de la “vision à un an” qui prévalait au départ! Même si tout le monde n’a apparemment pas compris que favoriser les investissements à long terme des assureurs joue en faveur de l’économie européenne, y compris dans l’ancrage des entreprises face aux éventuels appétits étrangers.
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