Les agences bancaires ont-elles encore un avenir ?

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Face à l’avènement de nouveaux acteurs en ligne et du ‘mobile banking’, les grands réseaux bancaires doivent réinventer une relation de proximité avec des clients de plus en plus connectés, de mieux en mieux informés… et de plus en plus infidèles.

Le numérique transforme le monde bancaire. Mais les agences ne sont pas encore mortes. Du moins pas encore. C’est en substance ce qui ressort d’une étude réalisée par le consultant Roland Berger qui a sondé une soixantaine de dirigeants de banque en Europe (dont huit en Belgique), et dont nous avons pu prendre connaissance en exclusivité.

Faisant le point sur la transformation digitale du secteur, elle montre clairement que l’agence bancaire reste importante dans le dispositif des grandes enseignes malgré l’irrésistible ascension du mobile banking. En effet, la plupart des banques ne s’attendent pas à voir monter en flèche la part de leurs revenus provenant des canaux digitaux. Selon Roland Berger, aucune des huit banques belges sondées pense que plus de 10 % de ses revenus globaux seront générés par le digital à l’horizon 2017. A peine un de ces établissements bancaires sur trois estime que ses revenus digitaux devraient dépasser 5 % d’ici deux ans.

Les banques belges à la traîne

Comment expliquer ces chiffres ? “Tout le monde investit dans le digital mais personne n’est encore allé jusqu’au bout de la transformation, avance Grégoire Tondreau, associé chez Roland Berger, qui a piloté le volet belge de cette étude paneuropéenne sur la banque digitale. C’est vrai pour les banques européennes que nous avons interrogées mais aussi pour les banques belges. Il y a un fossé entre l’amélioration des services et les attentes du client. La transformation digitale des banques belges est en cours certes, mais le processus est loin d’être terminé. Beaucoup de banques ne sont pas construites pour répondre en temps réel aux demandes de leurs clients. Elles ont du mal à s’adapter. Les obstacles sont à la fois techniques, réglementaires et organisationnels. C’est ce qui explique qu’elles ont du mal à identifier les sources de revenus supplémentaires.”

C’est précisément cette faible maturité digitale qui explique, selon Roland Berger, que la totalité des acteurs belges sondés disent perdre des informations sur leurs clients lorsque ceux-ci passent des agences aux canaux digitaux (banque en ligne, applications mobiles sur smartphones ou tablettes) et inversement. Citons également au rayon de ces inefficacités pointées par le consultant, le fait qu’un tiers des enseignes belges n’analyse pas de manière permanente le comportement du client pour simplifier les procédures internes. Plus surprenant encore : 63 % des dirigeants de banques belges interrogés par Roland Berger disent ne pas utiliser de données extérieures liées au client (venant des réseaux sociaux, par exemple) pour enrichir les profils et personnaliser les offres. Résultat des courses : la moitié de “nos” banquiers propose moins de trois offres ciblées par an.

Opérations de base

Moins bien traité par le digital qu’il ne l’imagine, le client visite-t-il régulièrement les agences pour autant ? Pas vraiment. C’est que leur nombre ne cesse de diminuer : on en comptait encore près de 4.000 en 2010, il en restait 3.607 en 2014 (hors agences indépendantes). Motif ? Entretenir un réseau d’agences coûte cher. Or, celles-ci se vident. Les clients les fréquentent de moins en moins. Ils ne s’y rendent qu’en cas de problème, d’urgence ou pour un service très particulier. Chez Belfius, par exemple, entre 2011 et 2014, le nombre de contacts mensuels en agences est passé de 900.000 à 600.000. L’an dernier, toujours chez Belfius, 60 % des clients n’ont pas été une seule fois en agence. Depuis plusieurs années, ils ont pris l’habitude de gérer leurs comptes via PC ou sur mobile. Selon Febelfin, le nombre d’abonnements à la banque mobile a doublé en un an de temps, pour bondir à plus de 2 millions fin 2014. Le nombre de virements effectués via smartphone à quant à lui été multiplié par trois, pour passer à près de 50 millions en 2014.

Stratégie défensive

Les résultats de l’enquête de Roland Berger confirment cette tendance. Ils montrent que la plupart des banques traditionnelles ont bouclé la première étape de la digitalisation au travers d’investissements dans des fonctionnalités qui aident le client lorsque celui-ci procède à des opérations simples : consultation du solde, virement vers un autre compte, etc. “Investir pour permettre au client de réaliser des opérations plus complexes, et donc à valeur ajoutée pour la banque, n’est pas évident, observe Grégoire Tondreau. Le digital est d’abord vu comme un investissement défensif. Les banques investissent dans le numérique parce qu’elles n’ont pas le choix. Mais elles ne sont pas dans une logique offensive, malgré le fait qu’elles communiquent beaucoup sur le sujet. A l’heure où l’environnement économique reste difficile et où le poids réglementaire ne cesse d’augmenter, c’est d’abord un moyen de générer des gains d’efficacité et donc de réduire les coûts. Ce sont d’ailleurs ces économies qui permettent de justifier les investissements dans le numérique. Mais on est encore loin d’un modèle de banque digitale à part entière ; un modèle qui devrait d’ailleurs permettre l’acquisition de nouveaux clients.” La preuve notamment avec l’ouverture d’un nouveau compte qui demande encore que l’opération soit finalisée en agence avec certains documents imprimés : seulement 30 % des banques européennes permettent d’initier la démarche au départ d’un smartphone. Le pourcentage tombe à 25 % en Belgique. Et la finalisation de cette ouverture de compte via smartphone n’est possible que dans 15 % des cas auprès d’une banque en Europe et de 13 % dans le cas d’une banque belge.

Du multicanal à l’omnicanal

C’est dire si le chemin à parcourir est encore long avant d’en arriver à un service 100 % digital. D’autant qu’un autre élément joue : aucun des grands établissements de la place n’envisage de se passer totalement d’agences. Car si on pousse de moins en moins souvent la porte de son agence pour les opérations courantes, on veut encore pouvoir y croiser un conseiller pour discuter de certains dossiers. Même avec la digitalisation des services bancaires, le client a besoin d’un point d’appui pour des services exigeants et sophistiqués qui correspondent généralement à certains moments importants de sa vie : une simulation pour une offre de crédit hypothécaire, un plan pour son épargne, de la structuration patrimoniale, etc. “La possibilité de réduire les coûts a ses limites, souligne Grégoire Tondreau. On risque de perdre des clients quand on ferme une agence. Il y a une demande de proximité et de relation personnalisée de la part des clients. Même si tous les clients qui s’y rendent ne sont pas nécessairement rentables, l’agence n’est pas morte.”

La meilleure preuve en est que les grandes enseignes (ING, Belfius et KBC) misent sur une approche intégrée de l’agence et du numérique via la transportabilité de la relation bancaire. Elles investissent massivement pour suivre le client qui est en train de passer d’un comportement multicanal à un comportement omnicanal : il multiplie les voies d’accès à sa banque et celles-ci sont pour lui complémentaires. Ce qui du côté de la banque nécessite une interaction et un partage d’informations entre les différents canaux de distribution (agences, applications mobiles, etc.). Une opération initiée sur un support (tablette, PC) peut-être ensuite terminée sur un autre (en agence, via smartphone). “Cette complexité coûte cher aux banques”, signale Grégoire Tondreau. Elle explique en grande partie les investissements en centaine de millions annoncés dans le domaine par Belfius et KBC, notamment.

De nouveaux habits

C’est dans cette perspective aussi que les grands réseaux tels que KBC rivalisent de nouveaux concepts pour réinventer leurs points de vente. Et chacun y va de sa petite idée : les annonces d’agences 3.0 ou “nouvelle génération” se succèdent (les murs sont couverts d’écrans, l’argent liquide a disparu, etc.). Dernier exemple en date : CBC. La filiale francophone du groupe KBC a dévoilé le 11 mai dernier une agence virtuelle à Namur. En gros, elle offre les mêmes services de base qu’une agence classique mais par le biais des outils de banque à distance (téléphone, mail, webcam, chat, etc.). Avec à la clé des horaires élargis : ses conseillers sont joignables en semaine de 8 à 22 h et le samedi de 9 à 17 h.

Face à la concurrence des nouveaux acteurs du Web qui tirent les prix vers le bas et détournent les clients des agences, nos grandes banques font donc évoluer leur modèle. “Après avoir incité le client à réaliser un nombre toujours grandissant d’opérations en ligne, résume Grégoire Tondreau, la tendance est à présent à les faire revenir en agence pour leur proposer une vraie valeur ajoutée et une vraie proximité. Le contact direct en agence doit rester le moyen privilégié pour des conseils personnalisés. Dans la pratique, on remarque cependant que les agences sont surtout des points de support techniques : problème de carte, etc. C’est dire si nous sommes partis pour des années de transformation dans le secteur bancaire.” Bref, votre banquier n’a pas l’intention de se laisser enterrer, mais il a du pain sur la planche.

LE “MOBILE BANKING” CARTONNE CHEZ BELFIUS

Tous les banquiers vous le diront : le mobile banking change la manière d’entrer en contact avec sa banque. C’est notamment le cas chez Belfius qui constate une baisse du nombre de contacts mensuels par Internet au profit d’une croissance spectaculaire du nombre de sessions via mobile (smartphone et tablette). En trois ans à peine, le nombre de sessions via ordinateur a ainsi quasiment été divisé par deux, tombant à 4,9 millions en décembre 2014, contre 7,5 millions de sessions fin 2011. Dans le même temps, le nombre de sessions mobile banking est passé d’environ 100.000 en décembre 2011 à plus de 9 millions en décembre 2014 (et à plus de 11 millions fin septembre dernier). Le nombre d’utilisateurs actifs s’élevait lui en septembre 2015 à plus de 500.000, contre 300.000 utilisateurs un an plus tôt (soit une augmentation de 66 %). Quant à la fréquence d’utilisation, les adeptes du mobile banking se connectent aussi nettement plus souvent à leur banque. Ainsi, en 2014, les personnes n’utilisant que le mobile banking se sont connectées en moyenne 22 fois par mois.

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