Le scepticisme grandit autour de la nébuleuse croissance chinoise

/ © Reuters

Les chiffres officiels de la croissance chinoise font l’objet d’un scepticisme grandissant, tant l’écart se creuse avec des indicateurs d’activité alarmistes, mais Pékin se défend de minimiser le ralentissement de la deuxième économie mondiale, dont l’ampleur véritable divise les experts.

Le Bureau national des statistiques (BNS) a révisé ce mois-ci le chiffre de la croissance chinoise pour 2014, à 7,3% (contre 7,4% précédemment). Elle avait ensuite ralenti à 7% au premier semestre 2015.

Des statistiques “mensongères”, s’est récemment exclamé lors d’une conférence Willem Buiter, chef économiste de Citigroup, cité par l’agence Bloomberg. Pour lui, “on est probablement plutôt du côté de 4,5% ou moins”.

Un panel d’économistes sondés par Bloomberg fin août évaluait à 6,3% la véritable croissance de la Chine sur les six premiers mois de l’année.

De fait, si les marchés mondiaux sont suspendus aux indicateurs chinois, ceux-ci suscitent depuis longtemps l’incrédulité des analystes, qui pointent volontiers leur caractère très politique.

Traditionnellement, “l’importance accordée aux performances économiques pour la promotion des cadres locaux peut les encourager à embellir les chiffres”, rappellent dans une note les experts de Goldman Sachs. La moyenne des taux de croissance publiés par l’ensemble des provinces est ainsi supérieure au chiffre national.

Et le Produit intérieur brut (PIB) est publié avec une célérité déconcertante: il a fallu à peine deux semaines à la Chine pour annoncer le chiffre de sa croissance du 2e trimestre, une fois celui-ci terminé… contre six semaines pour la France.

Les interrogations se sont récemment intensifiées, face à l’assombrissement persistant de la conjoncture et après une soudaine dévaluation du yuan.

‘Baromètre Li Keqiang’

A telle enseigne que le Fonds monétaire international (FMI) a donné de la voix, estimant mi-septembre que la Chine pouvait “encore améliorer” la qualité de ses données.

“Personne aujourd’hui ne considère avec une certitude absolue que (le chiffre officiel) corresponde à la réalité”, a abondé le ministre français des Finances Michel Sapin, en visite à Pékin.

Le BNS a certes dévoilé ce mois-ci un changement méthodologique, avec un PIB désormais calculé pour chaque trimestre indépendamment et non plus sur une base cumulée. Sans convaincre.

“C’est une amélioration. Mais en pratique, les problèmes de fiabilité restent intacts”, soupire Mark Williams, du cabinet Capital Economics.

Et de dénoncer “une faille méthodologique”, le BNS ne corrigeant pas la chute des prix des matières premières importées –ce qui contribue à surévaluer la croissance du PIB réel “de 1 à 2 points de pourcentage”, explique-t-il.

Un facteur également identifié par les experts de Société Générale: pour eux, une croissance “ajustée” en conséquence tomberait “sous 6%” au premier semestre.

L’actuel Premier ministre Li Keqiang avait lui-même reconnu en 2007, alors qu’il dirigeait une province, que les chiffres du PIB étaient “fabriqués artisanalement”, selon un mémo diplomatique révélé par Wikileaks.

Li préférait se fier à trois indices moins sujets à caution: consommation d’électricité, volume de fret ferroviaire et crédits bancaires.

Or, précisement, les composantes de ce “baromètre Li Keqiang” s’essoufflent dangereusement aujourd’hui, à l’unisson d’indicateurs d’activité alternatifs.

La consommation d’électricité n’a crû que de 1,3% au premier semestre, au plus faible rythme depuis 30 ans. Et l’activité manufacturière se contracte lourdement depuis sept mois, selon l’indice indépendant Markit-Caixin.

L’essor des services, un angle mort

La NDRC, l’agence de planification chinoise, est montée au créneau le 23 septembre pour défendre dans une longue note “la crédibilité d’une croissance à 7%”.

La consommation d’énergie et le fret “ne reflètent pas l’économie chinoise”, a-t-elle insisté, car le développement accéléré des services et la “montée en gamme” de l’industrie (vers les nouvelles technologies), fruits des efforts de “rééquilibrage” de Pékin, changent la donne.

Moins énergivore, le secteur des services représentait 49,5% de la croissance du PIB au premier semestre (contre moins de 43% en 2007) — alors que l’industrie lourde ralentit.

Certains experts avancent le même argument, soulignant le manque de statistiques pour jauger le secteur tertiaire.

“Depuis 2012, les services sont le principal moteur de croissance (…) Le revenu par habitant est désormais tel qu’une part croissante de la consommation concerne des services (loisirs, voyages et autres) plutôt que l’achat de biens”, fait valoir dans une note Nicholas Lardy, du Peterson Institute for International Economics.

Faire de la production d’électricité un baromètre pour l’ensemble de l’économie chinoise, ironise-t-il, “c’est conduire une voiture en regardant seulement le rétroviseur”.

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