Le marché de l’art chinois tiraillé entre qualité et tiroir-caisse

Détail d'une oeuvre de Cui Ruzhuo. © http://www.artnet.com

La sérénité des peintures de paysages à l’encre de Cui Ruzhuo, l’artiste chinois vivant le plus lucratif, contraste avec le tumulte d’un marché de l’art contemporain guidé par l’argent, au détriment parfois de sa valeur artistique.

A contre-courant de la tendance générale, les lavis de montagnes boisées et de lacs paisibles de M. Cui se sont arrachés l’an dernier dans les salles d’enchères, y générant 120 millions de dollars, soit +69% sur un an, selon une étude de Hurun Report.

“Lorsqu’un artiste crée, il doit, c’est très important, rester sincère et responsable vis-à-vis de son art”, a déclaré Cui Ruzhuo, 74 ans cette année, lors de la cérémonie de publication du rapport.

“Ne considérez pas vos oeuvres juste comme des produits”, a lancé l’artiste multimillionaire à l’adresse de ses confrères, tout en confessant lui-même surveiller “d’assez près” le marché.

Car l’argent domine aujourd’hui les conversations, au grand dam des experts.

“Le marché de l’art chinois est une vraie pagaille. Les gens cherchent des normes pour évaluer les oeuvres, mais l’art, ce n’est pas comme les jeux Olympiques”, souligne Xie Chunyan, artiste et chroniqueur.

“Un saut en longueur, ça se mesure en mètres. Mais pour l’art, ce n’est pas aussi simple. L’argent peut constituer une unité de mesure, mais ce n’est pas le seul critère.”

Pour le président de Hurun Report, Rupert Hoogewerf, le classement édité par son organisation sert ainsi de guide pour les personnes comme lui, “qui aiment l’idée d’être intéressées par l’art” mais “n’en ont pas une solide compréhension”.

“Ces gens souhaitent être plus éduqués, plus cultivés, et pénétrer dans le monde de l’art. Mais ils ne savent pas par où commencer”, explique-t-il, en référence aux “nouveaux riches”.

Bakchichs

Et pour cause: le marché chinois de l’art contemporain est gangréné par les tares et les incohérences, soulignent des sources internes.

Une dérive parmi d’autres: les critiques se voient parfois remettre de généreux bakchichs en échange d’articles laudateurs, contribuant ainsi à l’envolée virtuelle du prix des oeuvres.

M. Hoogewerf l’admet volontiers, ses statistiques basées sur les résultats d’enchères “sont loin” d’être parfaites.

“Tout le monde sait que les prix des enchères peuvent être gonflés et que certaines oeuvres ne sont en fait jamais payées au final, convient-il. Les problèmes sont nombreux.”

Des cotes surévaluées qui menacent la qualité et le développement du marché, selon artistes et critiques.

“Un milieu artistique focalisé sur l’argent ne peut que générer des artistes à la valeur nette élevée. Pas des artistes importants ou véritablement exceptionnels”, déplore Li Mo, calligraphe et historien à l’Université de Pékin.

“Le marché de l’art et la création artistique sont comme les deux ailes d’un oiseau. Si l’aile de la création est atrophiée et celle de l’argent forte et puissante, le milieu artistique ne peut que tourner en rond.”

‘Comme une passoire’

Le résultat cumulé des ventes aux enchères des 100 premiers artistes chinois vivants a atteint l’an passé 565 millions de dollars, une chute de 45% par rapport à 2014, selon Hurun Report.

Un plongeon justifié par l’effondrement des volumes, avec 6.863 oeuvres vendues en 2015 contre 15.921 l’année précédente.

Le marché, souligne le critique Qi Jianqiu, a par ailleurs été durement frappé par le ralentissement économique et la campagne anticorruption du président Xi Jinping.

Et pour le peintre Zhang Zhaohui, si les ventes de certains artistes ont tout de même progressé, c’est “en raison de leurs bonnes relations avec les bureaucrates et les nantis”.

“Ce ne sont pas de très bons artistes, mais ils travaillent leur réseau. Ils utilisent peut-être 10% de leur énergie et de leur matière grise à peindre, et 90% à exploiter ces relations.”

Mais les années sauront faire la différence, prophétise-t-il, entre les productions surcotées et les trésors intemporels.

“L’histoire, c’est comme une passoire. Elle filtrera toujours les oeuvres qui ne résistent pas à l’épreuve du temps, alors que celles de qualité se transmettront de génération en génération.”

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