Le blues des banquiers en ligne

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Rattrapés par les offres digitales des grandes banques, ringardisés par les services innovants des fintechs et disruptés par les géants du Web, les “pure players” de la banque en ligne se cherchent un nouveau souffle.

Il y a des signes qui ne trompent pas : Hello bank! , la filiale innovante et numérique de banque en ligne de BNP Paribas Fortis, est aujourd’hui en mode réorganisation. La banque de la rue Royale a décidé en effet, selon nos informations, de conserver la marque mais de rationaliser son développement. Une décision d’autant plus étonnante que le fleuron digital de BNP, lancé chez nous en mai 2013, avait encore fêté l’an dernier en grandes pompes ses cinq années d’existence, au Docks Dome, à Bruxelles.

Responsable des activités de retail banking chez BNP Paribas Fortis, Michael Anseeuw se félicitait à l’époque des diverses innovations lancées par la banque au logo bleu depuis son arrivée sur le marché belge, des comptes et des cartes sans frais aux prêts hypothécaires 100% en ligne (Hello home ! ), en passant par le financement participatif (Hello crowd ! ) et du fait aussi qu’elle séduisait en moyenne 70.000 nouveaux clients par an, parmi lesquels une majorité de jeunes.

“Fake news” et millénials

Alors, info ou intox : Hello bank ! est-elle vraiment sur une voie de garage ou pas ? ” Nous réfléchissons effectivement sur la meilleure manière de renforcer le développement des activités d’Hello bank ! en ce compris en mutualisant les compétences au travers des équipes de BNP Paribas Fortis, précise Valéry Halloy, le porte-parole francophone de BNP Paribas Fortis. L’objectif est de pérenniser la relation, de construire davantage de synergies entre les plateformes et de pouvoir proposer plus rapidement de nouvelles innovations. La stratégie d’Hello bank ! et son positionnement auprès des millénials ne change pas. Nous conservons l’ADN de nos débuts et nous continuerons dans le futur de répondre aux usages et aux besoins de nos membres et de nos futurs membres et ce en adéquation avec l’évolution des services et canaux digitaux. ” Traduction : c’est juste de la réorganisation interne qui n’a aucun impact pour la clientèle, ni sur la marque. ” Hello bank ! s’est toujours profilé comme l’incubateur bleu de la banque verte, poursuit le responsable presse de BNP Paribas Fortis. Cette relation a permis à Hello bank ! de proposer rapidement différentes innovations sur le marché belge. Ce succès se traduit dans nos chiffres puisqu’ils n’ont pas cessé d’évoluer positivement. Nous comptons aujourd’hui plus d’un demi-million de membres et notre part de marché est d’un jeune entre 18 et 28 ans sur trois en Belgique. L’évocation de la disparition de la marque est une fake news. ”

Les taux d’intérêt négatifs ont rendu obsolète le modèle sur lequel se sont appuyées les banques en ligne de la première génération.

Disruption bancaire

Les propos ont beau être rassurants, ils n’enlèvent rien au fait que les pure players de la banque en ligne ont plutôt la vie dure par les temps qui courent. Comme l’explique, Grégoire Tondreau, partner au sein du cabinet de conseil Roland Berger, ” ces acteurs de la banque en ligne de la première génération doivent se réinventer. Leur position n’est pas évidente à l’heure de la disruption bancaire. De plus en plus de joueurs s’insèrent sur le marché de la distribution des produits et services financiers. Le modèle économique des banques en ligne ciblées est un vrai sujet. ”

Signe de ces difficultés, l’annonce faite fin juillet dernier par MoneYou, filiale du groupe néerlandais ABN Amro spécialisée dans l’épargne en ligne, de mettre un terme à ses activités en Belgique et de céder son portefeuille de clients à Keytrade. Autre exemple : celui de PSA Banque, fin 2016, qui elle aussi a jeté le gant sur le marché belge faute de résultats et cédé son portefeuille d’épargnants online à Keytrade. Laquelle a aussi repris les comptes d’épargne-pension des clients de Rabobank.be. A l’étranger, en France, c’est Orange Bank, la filiale de banque mobile de l’opérateur télécom du même nom, qui peine à faire ses preuves et illustre ses péripéties. Au point que son arrivée en Belgique, initialement prévue pour 2018, ne se fera pas avant l’année prochaine.

La faute aux taux d’intérêt

Plusieurs éléments expliquent ce blues des pionniers de la banque en ligne. Les taux d’intérêt négatifs, d’abord. Ils ont complètement rendu obsolète le modèle sur lequel se sont appuyées ces banques en ligne de la première génération pour séduire les épargnants et se rémunérer sur leurs dépôts. ” Le champ de bataille de la banque en ligne s’est en effet déplacé à cause des taux d’intérêt qui ont fortement chuté et qui restent très bas, explique Grégoire Tondreau. Jouer sur l’écart de taux pour attirer de nouveaux clients est une possibilité qui a disparu. Quant à la gratuité des cartes et les frais limités, ce n’est plus un argument de vente non plus en Belgique. C’est devenu quasiment une commodité dans le monde digital. Il faut donc essayer de trouver de nouvelles manières de se démarquer en diversifiant son offre dans le conseil en investissement ou dans les activités de crédit pour transformer l’épargnant en investisseur et générer ainsi d’autres sources de revenus. Mais ce sont des métiers moins naturels, qui demandent des investissements énormes et présentent d’autres degrés de risque. ”

Se diversifier pour combattre les taux bas, c’est ce que font les deux plateformes belges MeDirect et Keytrade. Cette dernière propose d’ailleurs une palette de services allant bien au-delà du trading en Bourse et des services de banque au quotidien (carte de banque, compte d’épargne). Son offre s’étend désormais jusqu’aux produits de placements (fonds, etc.), en passant par la gestion de portefeuille en ligne et le crédit hypothécaire online. Une diversification qui n’a toutefois pas empêché Keytrade, de devoir elle aussi ramener le taux d’intérêt de son compte d’épargne de base (Azur) au minimum légal de 0,11%.

La technologie s’est généralisée

Mais au-delà des taux d’intérêt, l’autre grande raison qui explique ce mouvement, c’est bien sûr la déferlante numérique et les applis bancaires. ” Si certaines petites banques d’épargne en ligne ont pris un coup de vieux, c’est aussi parce que les banques traditionnelles ont évolué. Elles ont massivement investi dans leur approche de banque directe et sont aujourd’hui capables d’offrir des solutions technologiques compétitives en termes d’expérience-utilisateur, note Grégoire Tondreau. A cela s’ajoute la deuxième directive sur les paiements (PSD2) qui impose aux banques traditionnelles d’ouvrir leurs systèmes d’information pour l’agrégation de comptes bancaires et l’initiation de paiement. De ce fait, elle permet à de nouveaux acteurs de distribuer ces services sans avoir à les assurer eux-mêmes, en jouant sur une expérience client encore mieux pensée, ce qui donne un coup de vieux supplémentaire aux petites banques en ligne. ” Jouant la carte des frais limités et de la facilité d’usage, fintechs et autres néobanques séduisent et grappillent des parts de marché sur le terrain de l’épargne (Birdee, Mozzeno), des services de paiement (Revolut, N26).

L’offensive des Gafa

Et puis, n’oublions pas non plus les géants américains de la tech, les Gafa comme on les appelle (pour Google, Apple, Facebook et Amazon). Ils s’intéressent de plus en plus à la mine de données sur les utilisateurs que représentent les services financiers. Dernière initiative en date après Amazon et son alliance avec JP Morgan l’an dernier, Apple et sa carte de crédit en mars, Facebook Pay voici quelques jours et Uber Money il y a trois semaines : celle de Google. Le moteur de recherche devrait lancer dès 2020 aux Etats-Unis des comptes en banque en partenariat avec Citigroup. Bref, la disruption de la banque en ligne est bel et bien en marche.

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