“La révolution digitale, c’est comme le réchauffement climatique”

© Franky Verdickt

Avec l’arrivée de la nouvelle directive européenne PSD2, les banques font face à deux défis de taille. “Les paiements et les données sont les deux grands champs de bataille des années à venir”, selon Max Jadot, CEO de BNP Paribas Fortis, première banque du pays.

Comment le premier banquier du royaume appréhende-t-il la disruption numérique ? Patron de BNP Paribas Fortis, leader du marché en Belgique, Max Jadot nous livre sa vision de la banque 4.0, alors que l’enseigne ne comptera plus que 679 agences d’ici fin 2018, soit 40 % de moins qu’il y a cinq ans. Une réduction progressive du réseau de la banque en Belgique mais qui s’opère plus vite que prévu. D’ici 2020, la filiale belge du groupe français a pour ambition de vendre la moitié de ses produits via ses canaux digitaux.

TRENDS-TENDANCES. En tant que CEO de la première banque du pays, comment voyez-vous la révolution digitale ?

MAX JADOT. Tout va très vite. Le client demande beaucoup. Il veut être mieux servi et plus rapidement. Parmi nos 2,3 millions de clients digitaux, nous comptons aujourd’hui déjà 1,2 million d’utilisateurs mobiles qui attendent toujours plus de fonctionnalités de leur appli. Autrement dit, on ne mesure plus l’importance d’un banquier à son nombre d’agences, comme on ne mesure plus l’importance d’un brasseur au nombre de cafés qu’il possède, mais à son brand, à ce qu’il apporte à sa clientèle, etc. L’an dernier, nous parlions encore d’une pyramide à propos de nos canaux de distribution, avec comme socle les agences et au sommet le mobile banking. Cette image a évolué, plus vite que prévu, vers un cylindre où les canaux digitaux sont d’ores et déjà devenus aussi importants en termes de volume de contacts que les agences.

Les banques sont-elles en mesure de rester pertinentes dans le monde digital ou devront-elles faire de la place à d’autres acteurs ?

J’estime que les banques sont bien placées pour rester incontournables dans le monde digital. Elles bénéficient de la confiance des clients quant à la bonne gestion de leurs données personnelles tout comme ils ont confiance dans la manière dont les banques gèrent leurs avoirs. Comme gestionnaires de risques, nous veillons à ce que les dépôts à court terme soient réinvestis à long terme dans l’économie réelle. Les banques irriguent l’économie. C’est un rôle crucial que les entreprises technologiques ne peuvent pas reprendre.

D’accord, mais les entreprises technologiques ne sont-elles pas plus rapides et plus agiles que les banques, ce qui leur permet de mieux répondre aux besoins du client ?

Nous introduisons aussi de nouvelles façons de travailler dans notre organisation pour stimuler l’innovation et pour accroître l’autonomie, la responsabilité et l’autogestion. Aujourd’hui, pas moins de 2.500 personnes travaillent déjà chez BNP Paribas Fortis de manière agile. Nous avons calculé que cela pouvait représenter à long terme un gain de productivité de 30 %. En même temps, nous engageons de nouveaux profils, et les employés existants sont formés et réorientés, de sorte qu’ils puissent remplir d’autres fonctions.

On présente souvent la révolution digitale comme un tsunami qui ravage tout sur son passage. Etes-vous d’accord avec cette image ?

Non, ce n’est pas juste. La digitalisation n’est pas un choc imprévisible. C’est un processus progressif, comparable au réchauffement climatique. Le niveau de la mer monte inexorablement, et pour toujours, à cause du réchauffement de la planète. Or, certaines banques sont dans les dunes et d’autres sur la digue. La banque du futur est celle qui se trouve aujourd’hui sur la digue, parce que nous ne savons pas pendant combien de temps les dunes résisteront à la montée des eaux.

On ne mesure plus l’importance d’un banquier à son nombre d’agences, mais à son ‘brand’, à ce qu’il apporte à sa clientèle, etc.

Le fait que BNP Paribas Fortis soit une grande banque, qui en plus fait partie d’un groupe international, est-il un avantage ?

Bien sûr. Vous avez besoin d’une taille minimale pour pouvoir accélérer la transformation digitale, mettre en place une nouvelle expérience client, améliorer l’efficacité opérationnelle et mutualiser les investissements informatiques lourds. Je ne sais pas quelle est la taille de cette masse critique minimale. Par contre, je sais qu’elle augmente constamment. Je peux m’imaginer que certaines institutions ne disposent pas des moyens financiers nécessaires pour procéder à ces investissements et rester au top pour servir les clients.

Vous attendez-vous à une nouvelle vague de consolidation ?

Je sais seulement que cela va devenir de plus en plus compliqué pour les petites banques généralistes. Les petites institutions peuvent opter pour une spécialisation ou une niche, mais tout faire et investir dans tous les domaines, ce n’est pas possible si vous n’avez pas suffisamment d’envergure. Je reviens à ma comparaison avec le réchauffement climatique : les banques qui se trouvent dans les dunes vont essayer de rejoindre celles qui se trouvent sur la digue. En d’autres termes, je pense qu’elles vont comprendre qu’il y aura un temps où elles devront s’adosser à des entités plus grandes et plus solides, y compris en Belgique.

Avec l’arrivée de la nouvelle directive sur les paiements, les banques seront obligées de partager certaines données de leurs clients avec des tiers. A quoi vous attendez-vous à ce niveau-là ?

La grande bataille va se jouer sur le terrain des paiements et des données. La question est de savoir qui va la gagner. Ce n’est pas clair. Ce qui est sûr par contre, c’est que jusqu’ici les paiements ont été un domaine réservé des banques, un quasi-monopole qui vient du cash et qui a été perpétué grâce aux cartes. Ce qui est sûr aussi, c’est que celui qui a accès aux transactions des clients, peut également avoir accès à ses dépôts et à ses crédits. C’est ce que fait d’ailleurs Alipay en Chine. Le défi est donc énorme pour les banques. Mais la confiance que nous accordent les clients nous permet de nous positionner comme un coffre-fort électronique (e-vault, Ndlr), qui protège non seulement les avoirs monétaires du client mais aussi ses données personnelles et sa vie privée.

A vous entendre, vous n’avez pas l’intention de commercialiser les données de vos clients ?

Non, ce n’est pas à l’ordre du jour. Et si jamais nous le faisons, ce sera toujours de façon agrégée et anonymisée. De toute façon, le client devra explicitement nous donner son accord dans tous les cas de figure. Sur le plan des données, il attend selon nous trois choses de sa banque : protect me, serve meanddon’t fool me. En d’autres termes, il attend de sa banque qu’elle protège ses données, qu’elle les utilise pour mieux le servir et, enfin, qu’elle soit transparente, c’est-à-dire qu’elle lui dise ce qu’elle en fait et qu’elle lui laisse toujours le choix.

D’aucuns voient un jour les robots remplacer les employés de banque. Quel est votre avis à ce propos ?

Tant que les clients des banques seront des êtres humains, il y aura des êtres humains pour les servir, mais ils rempliront d’autres tâches qu’aujourd’hui, des tâches à plus grande valeur ajoutée. L’intelligence artificielle va gagner en importance dans le secteur bancaire, il n’y a aucun doute là-dessus. Mais je vois davantage les robots et l’intelligence artificielle comme un moyen pour augmenter les capacités humaines et fournir ainsi un meilleur service aux clients.C’est notre modèle de la banque hybride, c’est-à-dire une banque qui offre un mélange adéquat entre technologies numériques et expertise humaine.

Quand le client verra-t-il les effets de cette transformation interne ?

Aujourd’hui, le client fait surtout l’expérience de la facilité d’utilisation et de l’efficacité des applications mobiles. Mais là où nous concentrons pour le moment nos investissements, c’est surtout dans des systèmes informatiques ouverts qui rendront possible la collaboration avec des partenaires extérieurs, pour proposer de nouveaux services et intégrer l’intelligence artificielle. Ceci améliorera sensiblement le niveau de service fourni, mais le client devra encore attendre quelques années avant de pouvoir en faire l’expérience.

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