L’été sera chaud à la Centrale des Bilans

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La saison des dépôts des comptes annuels approche. L’occasion d’examiner les raisons de cette obligation qui prend du temps mais qui fournit des données précieuses pour bon nombre d’acteurs économiques. Une obligation pourtant menacée par une directive européenne…

C’est vers le 31 août que l’envoi des comptes est le plus intense”, indique Antoon Lenaert, patron de la Centrale des Bilans, un service de la Banque nationale. Les sociétés ont l’obligation d’y déposer leurs comptes annuels dans les sept mois qui suivent la clôture de leur exercice – dans 90 % des cas cette clôture a lieu le 31 décembre. Ces sociétés sont tenues de payer une pénalité à partir d’un mois de retard – donc à partir du 1er septembre dans la majorité des cas. Voilà pourquoi la BNB enregistre en août 99.000 dépôts via Internet, contre 12.000 en janvier. L’an dernier, la Centrale des Bilans a reçu au total 388.015 comptes annuels.

La Belgique est l’un des pays européens qui offre l’accès le plus ouvert à ces informations ; depuis 2008, elles sont disponibles gratuitement pour tous, sur Internet, sous forme de fichiers pdf ou de données à intégrer dans des logiciels (format XBRL), sur le site de la BNB (rubrique “Centrale des Bilans”). Il suffit de taper le nom de l’entreprises ou son numéro, et la listes des comptes de plusieurs années apparaît. Pour les grands groupes, des comptes consolidés sont également disponibles.

25.000 utilisateurs par jour

“Environ 25.000 personnes consultent ce service chaque jour”, continue Antoon Lenaert. Nombreuses sont les raisons de consulter ces données. Les banques y trouvent une foule d’informations (pour leur dossier de crédit), de même que les fournisseurs (qui veulent mesurer la solidité de leurs clients ou prospects), les clients ou encore les journalistes économiques. Par ailleurs, les sociétés adorent sonder les chiffres de leurs concurrents, de même que les syndicats et le personnel (lire le tableau en p. 40), sans parler des actionnaires.

Un autre usage, moins visible, est statistique : la BNB exploite en effet cette base de données pour son centre d’études qui réalise des recherches sectorielles. Les chiffres participent de la même manière au calcul du PIB du pays. “Cette mission statistique explique le soin qui a été apporté à la standardisation des chiffres, qui est unique en Europe”, assure Antoon Lenaert.

Les données disponibles sont nombreuses et dépassent le bilan et le compte de résultats, qui fournissent les données de base (chiffre d’affaires, bénéfice, endettement, etc.). On y trouve en effet aussi des informations sur le coût du personnel, les effectifs (en détails), les participations. L’interprétation de ces informations exige une certaine connaissance technique. Certains services payants proposent de les traiter et d’en faciliter l’utilisation, en ajoutant d’autres informations (lire l’encadré “Le service Trends Top”), pour en faire un outil de marketing ou de gestion de risques.

La publication de ces informations ne plait pas à tous les entrepreneurs ; elle prend du temps et de l’énergie. Mais cette contrainte est la contrepartie de la responsabilité limitée des actionnaires dans certaines structures juridiques comme les sociétés anonymes ou les sprl. “Cette contrepartie, c’est la transparence, tous les partenaires de l’entreprises doivent pouvoir disposer d’informations pour en mesurer la santé”, explique Antoon Lenaert. Cette logique explique pourquoi les entités où l’entrepreneur exerce une responsabilité illimitée sur ses biens propres n’ont pas l’obligation de publier des comptes, tout comme les indépendants.

Désaccord européen

Cette approche, développée en Belgique depuis 1978 avec la création de la Centrale des Bilans, n’est pas partagée partout dans l’Union européenne. Depuis 2009 un sourd bras de fer oppose différents pays sur les obligations en matière de publications de comptes. Un nouveau cadre légal est en discussion, sous la forme d’une directive visant à simplifier la vie des petites sociétés. Des pays comme l’Allemagne, les Pays-Bas ou la Grande-Bretagne, sont favorables à un allégement ou à une exemption de l’obligation pour les “micro-entités” (PME). Cette législation distinguerait trois catégories d’entreprises, dont ces micro-entités, qui se situent en dessous de deux des trois seuils suivants : un chiffre d’affaires de 700.000 euros, un total de 350.000 euros au bilan et un effectif de 10 personnes. Soit plus de 85 % des sociétés belges…

Les pays ayant des vues divergentes sur le sujet, la directive devrait laisser à chaque pays le choix de la mesure qu’ils appliqueront, permettant par exemple de choisir d’exempter ou non les micro-entités du dépôt des comptes. La discussion, en Belgique, ne fait que commencer, mais les avis sont assez convergents.

Plus d’obligation de dépôt pour les PME ?

Les fédérations d’entreprises ne sont paradoxalement pas très enthousiastes à l’exemption de l’obligation pour les micro- entités. “Ce n’est pas une bonne idée, car les comptes annuels sont utilisés par des banques, par exemple, pour leur dossiers de crédit”, note Jonathan Lesceux, conseiller économique à l’Union des classes moyennes (UCM). “Si l’obligation est supprimée, les banques vont alors demander des rapports qui exigeront du travail.” La simplification ne serait qu’illusoire. Le FEB est sur la même longueur d’onde. L’UCM estime aussi que l’établissement d’un bilan annuel est une manière, pour l’entrepreneur, d’analyser ses comptes avec son expert-comptable. “Le professionnel du chiffre peut donner un avis, c’est intéressant, continue Jonathan Lesceux. S’il ne faut plus faire de bilan, cet avis n’aura plus lieu.”

“Le système qui est utilisé en Belgique est le meilleur du genre, le plus transparent et le plus accessible, analyse André Bert, président de l’Institut des experts comptables et des conseillers fiscaux. Nous pensons qu’il est plus intéressant pour tout le monde de maintenir le système de dépôt des comptes. Il y a moyen peut-être de simplifier les annexes des comptes annuels (Ndlr, à côté du bilan et des comptes de résultats). On pourrait aussi supprimer l’obligation de publier au Moniteur la disponibilité des comptes, qui coûte de l’argent et n’a plus d’utilité.”

La Centrale des Bilans, bien sûr, s’inquiète de ce que les obligations pour les PME seraient réduites ou supprimées. “Cela supprimerait une source de statistiques importantes”, craint Antoon Lenaert. Il avance aussi un argument fiscal : “Les sociétés donnent leurs comptes annuels avec leur déclaration d’impôt, elles devront de toute manière fournir des chiffres.” Le dépôt des comptes est une manière de fournir une information financière standardisée, une fois pour toutes. La FEB craint aussi qu’une simplification du bilan et des comptes de résultats, proposés dans la discussion de la directive, ne rompe “le lien entre le droit comptable belge et la fiscalité” et débouche sur une insécurité juridique.

Coût pour les sociétés : 73 millions d’euros par an

Tous ces arguments ont été examinés par le bureau d’évaluation de l’Agence pour la Simplification Administrative (ASA) belge, qui calcule que les charges administratives des micro-entités augmenteraient ! Le coût du dépôt des comptes, qui représente actuellement 73 millions d’euros pour les PME, passerait, selon un rapport de cette instance, à “au moins” 167 millions d’euros.

Le cabinet du ministre fédéral de l’Economie, Johan Vande Lanotte (sp.a) en charge du dossier, n’a pas encore pris d’option sur l’adaptation belge de cette directive européenne, car cette dernière n’est pas encore finalisée. Mais il y a peu de chances, en regard du consensus des acteurs autour du sujet et des arguments de l’ASA, que le gouvernement supprime l’obligation de publication des comptes pour les PME.

Robert Van Apeldoorn

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