L’Agence de la dette est sur la brèche

© Image Globe / ERIC LALMAND

Pour (re)financer sa dette publique d’environ 350 milliards d’euros sur les marchés financiers, il faut que la Belgique le mérite, jour après jour. Ces derniers mois, la pression s’est accrue mais notre pays n’a pas (encore) fait l’objet d’une véritable attaque.

Jean Deboutte et Anne Leclercq, directeurs de l’Agence de la dette, sont chargés de gérer au mieux la dette publique de la Belgique. Ils doivent notamment la placer auprès d’investisseurs à des taux d’intérêt payables pour le pays. Ils sont à la tête d’une équipe de 35 personnes, font rapport au SPF Finances et disposent d’une ligne directe avec le gouvernement.

TRENDS-TENDANCES. Après la Grèce, l’Irlande, le Portugal, l’Espagne et l’Italie, la Belgique est-elle le pays suivant que les marchés financiers risquent de passer à la moulinette ?

ANNE LECLERCQ. Nous sommes tout de même un cas à part. Notre dette est portée par une économie solide ; à cet égard, nous figurons parmi les pays forts de la zone euro. A court terme, la dette belge est même considérée comme un havre sûr. Mais pour ce qui est des finances publiques, nous sommes beaucoup plus proches des pays méridionaux de la zone euro, qui ont une solvabilité plus faible. Toutefois, nous n’avons pas encore assisté à de véritables attaques contre notre pays. Et lorsqu’une pression à la vente est venue de l’étranger, comme ces dernières semaines ou comme en mai 2010, nous avons vu des investisseurs nationaux se pointer rapidement pour profiter des taux d’intérêt plus élevés.

JEAN DEBOUTTE. En raison de l’ampleur relativement réduite de sa dette, la Belgique est aussi plus facile à attaquer qu’un grand pays. Nous avons longtemps cru qu’il était impossible d’attaquer l’Italie, précisément en raison de l’ampleur de sa dette en cours (environ 1.800 milliards d’euros). Le fait que cela ait malgré tout été possible a fait une forte impression. Quiconque veut vraiment parier et gagner ne misera dès lors pas sur du papier belge. Celui qui est convaincu que l’euro va s’effondrer achètera du papier allemand. Celui qui croit en une solution achètera du papier espagnol ou italien. La Belgique est considérée comme une position qui, lorsque les choses vont bien en Europe, ne rapporte pas autant qu’un investissement dans du papier espagnol ou italien. Et quand les choses vont mal, le papier belge ne rapporte pas autant qu’une obligation allemande. Nous attirons donc un public d’investisseurs intéressés par un rendement relativement constant. Notre spread est volatil mais le taux d’intérêt lui-même ne l’est pas.

Dans quelle mesure le risque politique fait-il grimper le taux d’intérêt belge ?

A. L. Les préoccupations concernant la situation politique ont fait place à des préoccupations concernant la zone euro et le système financier mais il est clair que si nous pouvions enregistrer des progrès au niveau politique, cela nous apporterait un bonus. Un nouveau gouvernement constitue pour beaucoup d’investisseurs une condition de base pour parvenir à des réformes structurelles, comme le rétablissement de la capacité concurrentielle et une réforme des pensions.

Les marchés surveilleront-ils aussi la façon dont le budget sera assaini et si les réformes structurelles auront lieu ? A. L. Les investisseurs surveillent surtout les chiffres du budget. Dans les prochaines années, nous devrons respecter les objectifs budgétaires que nous nous sommes fixés. Le moindre écart aurait de sérieuses conséquences. Nous sommes obligés d’exécuter les objectifs du programme de stabilité et même, de préférence, de publier des chiffres un peu meilleurs. Certains investisseurs seront certes susceptibles de s’interroger sur la manière dont le budget sera assaini mais en fin de compte, ce sont les chiffres qui les convaincront. Le fait que nous ayons déjà stabilisé notre taux d’endettement a déjà fait impression. Grâce à cela, la différence avec la zone euro sera réduite à environ sept points de pourcentage à la fin de l’année. Et nous avons aussi une solide réputation dans le marché. Dans toute son histoire, la Belgique a toujours payé ses coupons à temps. Il n’y a pas tellement de pays qui peuvent en dire autant. Et nous avons une bonne explication pour les deux années au cours desquelles les choses ne se sont pas bien passées : la crise financière et la récession. Dès que ces problèmes s’estompent, notre niveau d’endettement se stabilise. Sans facteurs perturbateurs, nous ne sommes donc pas en retard sur le planning. C’est un signal puissant à l’adresse des investisseurs.

Quels sont les arguments que vous pouvez encore invoquer pour mettre en valeur le papier obligataire belge ?

J.D. Ces dernières années, l’économie belge a connu une croissance plus rapide que celle de la zone euro. La récession de 2009 n’a pas sévi aussi profondément chez nous et nous avons connu un rétablissement valable. Il en résulte que nous figurons parmi les meilleurs de la zone euro. Le PIB par habitant est ici aussi à peine inférieur de 1 % à celui de l’Allemagne. Autre élément important : notre économie n’est pas vraiment concentrée autour d’un certain nombre de secteurs ou d’entreprises. Nous sommes présents dans tous les marchés. Le risque est donc extrêmement dispersé. On apprécie aussi de plus en plus le fait que le secteur privé belge dispose de grands excédents d’épargne. L’Etat est certes un débiteur net mais le secteur privé est un créancier net, également vis-à-vis de l’étranger. Dans les pays en crise comme la Grèce et l’Irlande, tant le secteur public que le secteur privé doivent importer des capitaux. Chez nous, le secteur privé exporte des capitaux.

Quid si le taux d’intérêt fuse malgré tout ? J. D. Tant que le taux d’intérêt sur 10 ans avoisine 4,5 %, nous pouvons certainement faire face. Provisoirement, le taux n’est pas non plus supérieur à celui qui a été budgétisé. Supposons que le taux (tous les taux à tous les termes) grimpe de 100 points de base (ce qui est déjà beaucoup), la charge d’intérêt augmentera de 0,3 % du PIB en 2014. C’est une charge pour le budget mais il n’y a pas de quoi paniquer. Entre-temps, nous bénéficions aussi d’une baisse des taux à court terme. Etant donné qu’un nombre relativement important de dettes ont été placées à court terme, le taux plus bas à court terme compense en partie le taux plus élevé à long terme. La durée moyenne de la dette a d’ailleurs augmenté jusqu’à 6,7 ans.

On ne peut naturellement pas tout financer à court terme. On courrait un trop grand risque de se retrouver à un moment donné sans financement et que la charge d’intérêt fasse de trop grandes cabrioles. A l’aide de swaps de taux d’intérêt, nous avons encore pu, au cours de la récession, raccourcir quelque peu la durée moyenne, ce qui a entraîné une baisse sensible de la charge d’intérêt. Inversement, au cours de la période d’inflation qui a précédé la crise, nous avons légèrement allongé la durée via des swaps afin d’atténuer l’impact de la hausse des taux d’intérêt à long terme. Les swaps permettent donc d’influencer quelque peu le profil de la dette. Après la récession, nous avons d’ailleurs enregistré 2,1 milliards d’euros de bénéfice sur la vente de ces swaps.

Environ 55 % de la dette belge se trouvent entre des mains étrangères. Cette situation vous pose-t-elle un problème ?

A. L. Supposons que la dette se retrouve entièrement entre les mains d’investisseurs belges, cette dette sera alors concentrée auprès d’un nombre limité de grandes institutions. Peut-on encore dans ce cas parler d’un marché quand huit à 10 acteurs dominent totalement les opérations ? Une telle situation n’est bonne pour personne, certainement pas pour les investisseurs étrangers, qui n’auraient plus aucune influence. La situation actuelle, dans laquelle environ 50 % de la dette sont placés à l’étranger, est dès lors très saine. Après l’entrée dans la zone euro, notre stratégie a précisément consisté à placer la dette belge davantage à l’étranger. C’est la seule manière d’obtenir un marché liquide et de limiter le risque de brusques hausses des taux.

PROPOS RECUEILLIS PAR DAAN KILLEMAES

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