Jean-Claude Trichet, ex-patron de la BCE: “Pourquoi j’ai confiance dans le retour à la stabilité des prix”

Jean-Claude Trichet © isopix

Ancien président de la Banque centrale européenne, le français Jean-Claude Trichet a expliqué, lors d’une conférence donnée ce lundi matin à Paris, dans les salles lambrissées de l’Académie des sciences morales et politiques, pourquoi les banques centrales avaient tardé à agi devant l’inflation qui s’installait, mais pourquoi aussi il a confiance dans un retour dans les trois ans à la stabilité des prix, c’est-à-dire, pour reprendre la définition de la Banque centrale européenne, une hausse des prix en dessous, mais proche des 2%.

Un peu de nonchalance

D’abord oui, l’inflation s’est réveillée en raison de plusieurs facteurs : la reprise post-covid, la guerre en Ukraine, les incertitudes géopolitiques, une certaine déglobalisation en réaction aux ruptures des chaines d’approvisionnement lors du covid… Mais l’inflation a été poussée aussi par des éléments plus structurels, rappelle Jean-Claude Trichet, comme la nécessité d’investir énormément dans la transition verte ou le pouvoir de négociation retrouvé des salariés, plus particulièrement aux États-Unis.

Au début, avoue l’ancien président de la BCE, les agents économiques, tant publics que privés, ont témoigné face à ce réveil d’une certaine “nonchalance”. Un comportement explicable, ajoute l’ancien banquier central : “Il est toujours difficile d’opérer des changements à 180° lorsqu’on est responsable aussi bien privé que public. Nous avions un solide consensus sur le fait qu’il y aurait désormais après la très grande crise financière une période de très faible inflation structurelle“.

Mais d’autres points expliquent ce retard à l’allumage des autorités : “Le déclenchement de l’inflation a été accompagné d’une hausse des prix de certaines matières premières, du pétrole, du gaz, des produits agricoles. Et dans un cas de ce genre, on a toujours un phénomène plus complexe qu’on peut le penser, avec un impact direct sur l’inflation et en même temps des aspects dépressifs, récessifs “, car cette hausse des prix pèse sur la demande. “On peut donc comprendre qu’un certain nombre de décideurs se soient dit : voyons un peu ce qu’il en est. Après tout, le travail de freinage de la demande va-t-il peut-être être effectué spontanément dans une assez large mesure.” C’était évidemment une erreur, souligne Jean-Claude Trichet, car une Banque centrale ne peut pas rester immobile quand il y a un phénomène inflationniste important. Mais les banques centrales étaient soumises à une pression implicite du privé et du public : “il est tellement agréable d’avoir des taux d’intérêt extraordinairement bas qu’on a tendance à penser que cela continuera indéfiniment”.

Et puis, certains points techniques, comme les modèles utilisés par les banquiers centraux, n’ont pas aidé : “le modèle dominant utilisé par les autorités, s’il rend bien compte de ce qui se passe en période normale de faibles changements structurels, fonctionne mal lorsqu’il y a des changements extrêmement rapides. J’ai connu cela moi-même quand j’étais président de la BCE, au moment de Lehman Brothers, poursuit Jean-Claude Trichet : l’ampleur de la récession était formidablement sous-estimée“.

Les “forward guidances” c’est-à-dire les indications données ex ante par les banques centrales pour informer que quoiqu’il arrive elles iraient dans le sens de la préservation sur le moyen terme des politiques ultra accommodantes pour éviter un risque de récession ont également joué un rôle. “Cela vous compliqué donc la vie quand vous devez faire un changement à 180° parce que justement vous avez dit que vous n’allez pas changer“.

Et un dernier élément technique : des deux côtés de l’Atlantique, on avait établi un lien entre le moment où on s’arrêtait à hausser les taux d’intérêt et le moment où on interrompait les achats nets d’obligations. Les banques centrales ont donc attendu d’avoir presque terminé leurs achats avant de bouger aux taux.

Confiance et vigilance

Mais Jean-Claude Trichet exprime néanmoins sa confiance dans un retour à moyen terme à la stabilité des prix. Pourquoi ?

D’abord en raison de la détermination des banques centrales. “Elle ne me paraît pas faire de doute. Depuis mars nous avons eu aux États-Unis six hausses de taux en neuf mois, dont quatre pour un montant de 75 points de base, ce qui est sans précédent. On ne peut pas dire quand on documente ce qui a été décidé par la Banque centrale américaine que nous ne sommes pas en présence d’une institution qui dit : je prends très au sérieux mes responsabilités. En Europe nous avons eu trois hausses, dont deux de 75 points de base. Jamais en Europe personne n’a augmenté les taux de manière aussi importante aussi rapidement”.

“Nous avons eu des deux côtés de l’Atlantique, de manière très solennelle, la réaffirmation de l’objectif des 2%. Jérôme Powell (le président de la Réserve fédérale) a dit que son objectif à moyen terme, c’est-à-dire environ 3 ans, est le retour à 2% (d’inflation). Et de ce côté de l’Atlantique, la BCE aussi a réaffirmé cet objectif des 2%”.

Alors oui, il y a des écarts entre les États-Unis et la zone euro : six hausses de taux là-bas, qui ont porté les taux directeurs américains à 3,75-4% ; trois hausses seulement ici, avec un taux directeur européen aujourd’hui à 2%. Et écart se traduit notamment dans les taux de changes avec un euro revenu à parité avec le dollar.

Est-ce que cette différence se justifie ? “Quelques chiffres, répond Jean-Claude Trichet. L’inflation totale en Europe, en ce moment, est de 10,7%. Aux États-Unis elle est de 7,7%. Il y a trois points entiers de différence. Cela signale qu’effectivement nous avons probablement un impact de la hausse du gaz, du pétrole et des matières premières agricoles supérieur en Europe. En revanche, l’inflation sous-jacente est la même des deux côtés de l’Atlantique : 6,4% en Europe ; 6,3% aux États-Unis“. Une banque centrale, dans une période inflationniste de ce genre, doit poursuivre deux objectifs fondamentaux, ajoute Jean-Claude Trichet. Le premier est d’atténuer la force de la demande. L’autre est de prévenir contre les risques de hausse des prix de second tour. “Or à ce niveau, l’inflation sous-jacente, sans les prix du gaz, du pétrole et sans les prix des produits agricoles, est la même. Il y a donc le même besoin des deux côtés que la banque centrale donne le clair message qu’elle ne laissera pas s’incruster des éléments de hausse de prix de second tour, comme cela est déjà le cas, puisque 6,4% ou 6,3% c’est trois fois plus que l’objectif d’inflation. Mais, ajoute Jean-Claude Trichet, ce n’est pas incompatible avec un retour à 2% dans un espace de trois ans, si la banque centrale est crédible, réaffirme son objectif avec force et est elle-même capable de démontrer qu’elle fait ce qu’il faut faire en matière de politique monétaire.

En revanche, il y a clairement une pesée sur la demande européenne dans son ensemble qui est supérieure aux États unis : avec 10,7% d’inflation et 6,4% d’inflation sous-jacente, cela signifie que 4,3% sont liés à cette hausse des prix du pétrole, du gaz, des matières premières. La BCE n’est pas infondée de dire que l’économie réelle fait une partie du travail et est donc fondée à être relativement plus prudente que la Réserve fédérale américaine. Mais ce qui compte, ce sont les anticipations d’inflation : oui ou non, l’ensemble des agents croient-ils que nous allons revenir à 2% d’inflation dans trois ans ? Rien, aux États-Unis ni en Europe, ne nous permet de dire que ceci est considéré par les entreprises et les ménages comme étant invraisemblable. Mais, souligne l’ancien patron de la BCE, il y a un devoir de vigilance essentiel”.

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