Initiative Q: nouvelle monnaie mondiale ou arnaque?

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Lancé en juin, le projet Initiative Q s’est répandu comme une traînée de poudre. En échange de votre adresse mail, le ” système de paiement du futur ” vous promet d’amasser des milliers de Q qui vaudront autant de dollars à l’avenir. Les chances de réussite du projet apparaissent toutefois extrêmement minces et certains évoquent même une arnaque.

Si Initiative Q a pu se répandre aussi rapidement aux quatre coins de la planète, c’est grâce à sa gratuité et à l’aura de son fondateur. Serial entrepreneur, Saar Wilf a fait fortune en 2008 en revendant Fraud Sciences, spécialiste de la détection des fraudes dans les paiements en ligne, à Paypal. Son principal associé pour le projet est Lawrence White, économiste américain, professeur à l’Université George Mason et ardent défenseur des monnaies alternatives aux devises sous contrôle gouvernemental.

Pas une cryptomonnaie

La création d’Initiative Q repose avant tout sur la constatation que le système de paiement actuel (espèces, cartes bancaires, virements) est vieux et dépassé. Les innovations comme les cryptomonnaies ne manquent pas, mais peinent à s’imposer. Initiative Q évoque le paradoxe de l’oeuf et de la poule. Les consommateurs ne rejoignent pas un système de paiement qui n’est pas accepté par les commerçants. Ces derniers ne le proposent pas à leurs clients si ceux-ci ne l’utilisent pas. Saar Wilf a ainsi opté pour un système de distribution par parrainage des Q avant de les valoriser. ” Il faut atteindre une masse critique pour créer une monnaie, et c’est ce que nous essayons de faire “, précise le fondateur.

L’ambition du projet est de créer une nouvelle monnaie numérique mondiale, mais reposant sur les fondations du système financier actuel. Les opérations seraient consignées par les banques. La valeur du Q devrait atteindre 1 dollar. Afin de maintenir cette valeur, les Q des personnes inscrites ne seraient ” libérés ” que progressivement et le Q serait supervisé par un comité monétaire à l’image de la Banque centrale européenne ou de la Réserve fédérale américaine. Sur son site, Initiative Q se veut ainsi surtout un remplaçant des opérations par carte de crédit, promettant un système de paiement à la fois moins coûteux, plus rapide, plus flexible et tout aussi sûr.

Le Q n’est toutefois pas une cryptomonnaie, Initiative Q voulant éviter les écueils tels que les fortes sécurités numériques freinant les transactions ou l’importante consommation d’électricité. Le fonctionnement du bitcoin consommerait autant d’électricité que six millions de ménages.

Saar Wilf, fondateur d'Initiative Q, a fait fortune en 2008 en revendant Fraud Sciences, spécialiste de la détection des fraudes dans les paiements en ligne, à Paypal.
Saar Wilf, fondateur d’Initiative Q, a fait fortune en 2008 en revendant Fraud Sciences, spécialiste de la détection des fraudes dans les paiements en ligne, à Paypal.© PG

2.000 milliards de Q

A l’heure d’écrire ces lignes, tout nouvel inscrit sur Initiative Q se voyait promettre 19.055 dollars, le site partant du principe qu’un Q vaut un dollar américain. Ce montant est largement inférieur aux plus de 140.000 Q promis il y a quelques mois. Cette évolution est liée au système pyramidal utilisé par le projet au fur et à mesure des parrainages.

A noter que vous ne recevez que 10 % des Q promis lors de votre inscription. Vous en recevez 40 % si vous parrainez cinq amis. La seconde moitié vous sera attribuée à l’avenir en fonction de la réalisation de certaines tâches. Initiative Q évoque l’installation d’une application, l’ajout d’informations personnelles ou la réalisation d’achats, sans aucun détail.

Les 2.000 milliards de Q ne devraient par ailleurs pas être tous distribués. Initiative Q en conserve 10 % pour le financement du projet et en réserve 10 % pour la mise en place de la politique monétaire censée s’assurer que la valeur d’un Q demeure un dollar. En cas de succès, Initiative Q et son comité monétaire disposeraient donc au total de 400 milliards de dollars.

Loterie gratuite ?

Les chances de réussite apparaissent toutefois bien minces. Même dans sa Foire aux questions, Initiative Q évoque ” un succès éventuel ” et compare l’inscription à un ticket de loterie gratuit ” même si vous pensez qu’il n’y a que 0,1 % de chance de réussite “. Saar Wilf insiste toutefois sur le sérieux du projet. ” Il ne s’agit pas d’une quelconque combine douteuse pour devenir riche rapidement “, précise-t-il.

Le doute est renforcé par le peu de renseignements concernant le fonctionnement opérationnel du Q. Les principales cryptomonnaies sont par exemple accompagnées d’un livre blanc décrivant leur intérêt et leur fonctionnement. Initiative Q se contente d’un calendrier. Globalement, tout reste à faire : création du système de paiement et des applications, élection du comité monétaire, recrutement du personnel, etc. Le lancement du réseau n’est ainsi prévu que pour la fin 2021. D’ici là, nombre d’inscrits auront complétement oublié le Q et leur mot de passe…

La gratuité convainc évidemment de nombreux sceptiques, ” après tout, on ne risque rien… “. Les plus critiques soulignent toutefois que l’énorme base de données d’adresses électroniques pourrait valoir une petite fortune en cas de revente. Initiative Q souligne dans sa politique de confidentialité qu’elle n’utilise les données personnelles que dans le cadre du développement du projet.

Cela ne convainc toutefois pas David Gerard, critique des cryptomonnaies et auteur de l’ouvrage Attack of the 50 Foot Blockchain : Bitcoin, Blockchain, Ethereum & Smart Contracts. Sans remettre en cause la bonne foi des porteurs du projet Initiative Q, il souligne que de futurs investisseurs en capital-risque pourraient exiger l’utilisation de cette base de données en contrepartie de capitaux.

” Une liste de personnes pensant qu’elles peuvent gagner de l’argent grâce à un système pyramidal ” est potentiellement d’une grande valeur pour les escrocs qui ne manquent pas, comme l’illustrent les mises en garde régulières de la FSMA.

David Gerard, auteur et
David Gerard, auteur et ” blockchain sceptique ” ” Une liste de personnes pensant qu’elles peuvent gagner de l’argent grâce à un système pyramidal est potentiellement d’une grande valeur pour les escrocs. “© PG

Demandeurs d’un système alternatif

Il est toutefois intéressant de constater que le post publié par David Gerard sur son blog concernant Initiative Q atteint des records de vues, dépassant même ses posts publiés en pleine bulle du bitcoin. Les réactions directes de Saar Wilf et de Lawrence White ont certainement attisé l’audience, mais cela démontre également le succès populaire d’Initiative Q.

La perspective d’un gain ” gratuit ” y a contribué. La chute des cryptomonnaies a en effet pu coûter cher à ceux qui y croyaient comme l’a illustré le Bitcoin Challenge de notre collègue Gilles Quoistiaux. En trois mois, il avait perdu 34 % des 5.000 euros investis.

La vitesse à laquelle le projet Initiative Q s’est propagé aux quatre coins du globe, attirant plus de 100.000 nouveaux inscrits par jour, peut toutefois également être interprétée comme le signe que de nombreux consommateurs sont prêts à changer de système de paiement et à accueillir les innovations en cours.

Les monnaies locales

Le succès du Chiemgauer bavarois dans la foulée de la crise financière a donné des idées à de nombreuses autres localités. Le Toreke (Gand), le Ropi (Mons), le Val’heureux (liégeois évidemment), le Zinne (bruxellois) ou le SolAToi (Ath) ont fait ou feront leur apparition dans les portefeuilles. Dans le monde, on compte aujourd’hui environ 5.000 monnaies locales dont la valeur est souvent associée à une devise de référence (1 Val’heureux = 1 euro par exemple) ou à une référence de temps (1 unité = une heure par exemple) pour les systèmes d’échange locaux (Sel).

Certaines comme le Chiemgauer sont des monnaies fondantes, c’est-à-dire qu’elles se déprécient dans le temps. Ce système, défendu par le sociologue Paul Jorion chez nous, décourage la thésaurisation et encourage les échanges. Il peut être particulièrement utile dans le cas de monnaies locales que beaucoup d’utilisateurs ont tendance à conserver (comme souvenir). L’Eco-Iris à Bruxelles avait ainsi été rapidement abandonné. Cette dépréciation risque toutefois de freiner son adoption, le Chiemgauer (soumis à un démarrage de 2 % par trimestre) connaissant ainsi un net ralentissement ces dernières années alors que le bon comportement de l’économie n’incite plus les ménages et entreprises à chercher une alternative, selon son fondateur Christian Gelleri.

Le succès des monnaies locales apparaît aussi très dépendant de l’identité régionale, à l’image du succès de l’ eusko basque disponible tant en billet que sur compte (avec carte). Il est notamment utilisé par la mairie de Bayonne, au grand dam de la préfecture des Pyrénées-Atlantiques. La plus grande réussite est toutefois le franc WIR en Suisse. Fondée en 1934, la banque coopérative WIR est l’une des rares rescapées des monnaies alternatives ayant vu le jour dans les années 1930. Elle s’adresse aux PME, se rémunère par des commissions sur les transactions et offre des crédits sans intérêt. Le WIR est utilisé par une entreprise sur cinq en Suisse. Selon Hervé Dubois, ancien responsable de la communication de la banque, la pérennité du WIR est avant tout liée à la possibilité d’octroyer des crédits. Chez nous, le réseau RES, créé en 1996, s’est inspiré de la banque WIR et compte plus de 5.000 commerçants membres, surtout en Flandre.

Des cryptomonnaies officielles

Le bitcoin, l’ethereum et les autres cryptomonnaies célèbres sont des monnaies décentralisées, indépendantes du système financier et d’une quelconque autorité de supervision (banque centrale). Le concept de blockchain sur lequel elles sont basées a toutefois attiré l’attention des banquiers centraux. Christine Lagarde a ainsi affirmé la semaine dernière que ” les banques centrales doivent réfléchir à leur propre cryptomonnaie. La technologie évolue, nous devons donc changer nous aussi “, explique la directrice générale du FMI qui constate que la cryptomonnaie répond à l’évolution du secteur financier et de l’économie mondiale. Les banques centrales pourraient ainsi émettre des monnaies 2.0 ” réglementées, fiables et pouvant être utilisées dans tous les secteurs “.

Le Canada, la Chine, la Suède et l’Uruguay envisagent déjà sérieusement d’émettre leur propre ” crypto nationale ” afin de profiter des atouts de la blockchain. Koen De Leus, économiste en chef chez BNP Paribas Fortis, souligne notamment que cette technologie permet ” de réduire la paperasserie et les intermédiaires en gardant un haut niveau de sécurité “. Les deux grandes banques centrales mondiales, à savoir la Réserve fédérale américaine et la Banque centrale européenne, ont par contre adopté une position plus attentiste jusqu’à présent. Contrairement aux cryptomonnaies ou au Q, il n’est toutefois pas question de monnaie mondiale.

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